Contrer la violence aux aînées : pour une pratique féministe de la non-violence

Contrer la violence aux aînées :

pour une pratique féministe de la non-violence

Marie-Paule Lebel1

Les diverses formes de violence dont sont victimes les personnes aînées deviennent un phénomène de plus en plus préoccupant dans nos milieux de vie, familles, quartiers, jusqu’à l’échelle institutionnelle et gouvernementale. Ces violences affectent davantage les femmes et recouvrent toutes les facettes de l’identité : psychologique, physique, sexuelle, financière.

Devant tant de défis, y a-t-il des chemins possibles où faire émerger un monde « maternel », un lieu favorable à la création et à la promotion d’une culture de bientraitance ?

Contexte sociodémographique

Ce n’est un secret pour personne : le Québec connaît d’importants changements démographiques et sera, d’ici une vingtaine d’années, l’une des plus vieilles sociétés en Occident. Et si la population de personnes de 65 ans ou plus se compose de 55 % de femmes et de 45 % d’hommes, les femmes seront de plus en plus nombreuses à en être les protagonistes.

En effet, l’accentuation du caractère féminin de la population survient avec l’avancement en âge : chez les 90 ans ou plus, plus de sept personnes sur dix et neuf centenaires sur dix sont des femmes. Comme celles-ci ont un revenu équivalant à 70 % de celui des hommes du même groupe d’âge, l’appauvrissement de la population vieillissante ne fera qu’augmenter. Sans conteste, la pauvreté et son corollaire, l’isolement, auront de manière exponentielle, un visage de femme.

Pistes pour le « prendre soin » économique des femmes

Les taux de pauvreté augmentent et ont récemment atteint un seuil pour les aînées. Dans une perspective de solidarité sociale, des politiques gouvernementales doivent prendre en compte ce phénomène. Les résultats espérés sont la prévention et l’éradication de la pauvreté.

À un autre niveau, plusieurs secteurs de vie touchent les préoccupations économiques des aînées, dont le logement sous forme d’unités locatives ou de résidences communautaires pour les personnes aînées âgées de 65 ans et plus. Les médias font régulièrement état des problèmes relatifs à la disponibilité de logement, à sa qualité et aux prix exorbitants non justifiés qu’exigent des promoteurs immobiliers adeptes de la religion du capitalisme sauvage. À Montréal, l’épreuve déclenchée à la Résidence Mont-Carmel, une résidence privée pour aînés (RPA), par un avis d’éviction le 31 janvier 2022, est un exemple flagrant de violence financière, sociale et institutionnelle.

Pour contrer cette violence, bien des actions citoyennes sont à notre disposition : s’engager dans les organismes de nos quartiers, manifester notre appui aux requêtes pour des changements de lois pour la défense des droits locataires, etc. La lutte « Sauvons le Mont- Carmel » est un exemple d’engagement citoyen rassembleur pour défendre, auprès du gouvernement et devant la justice, le maintien et la qualité des services des résidences pour aînées à travers tout le Québec.

Autre nom de la violence économique : l’exploitation financière

L’exploitation financière à l’égard des personnes aînées en situation de vulnérabilité est une réelle préoccupation. Les abus financiers prennent diverses formes. Parmi les moyens couramment utilisés, on note la manipulation ou le chantage affectif, la pression pour convaincre les aînées de vendre certains biens, de liquider des placements, de consentir un prêt ou de léguer l’héritage.

Le premier geste de bientraitance est d’avoir le courage de voir et de dire, de dévoiler. En effet, le signalement est essentiel, car il permet d’intervenir et de protéger les personnes vulnérables victimes de maltraitance. La ligne téléphonique Aide abus aînés est un excellent recours.

Créer des milieux de vie et d’entraide

Une vie sociale riche contribue significativement au vieillissement actif et en santé. Elle est associée à la réduction de la mortalité et des maladies, à une amélioration de la qualité de vie ainsi qu’à la capacité de prendre soin de soi. La participation sociale permet également de mieux s’intégrer à sa communauté en plus d’y contribuer et de l’influencer.

Dans notre entourage et au fil du quotidien, ne connaissons-nous pas une personne aînée ? Une personne en attente peut-être d’un geste de bientraitance à son égard ? Lui téléphoner pour prendre de ses nouvelles, lui rendre visite, lui proposer d’aller faire une petite promenade, de prendre un repas avec elle, de l’accompagner à un rendez-vous. Et si les bruits familiers se sont tus, s’inquiéter, car un problème sérieux est peut-être survenu.

Ces façons d’être et d’intervenir reflètent notre vécu à la Résidence Mont-Carmel habitée majoritairement par des femmes. Voici quelques exemples : faire du porte-à-porte pour prendre des nouvelles ; effectuer des courses pour les personnes ayant des problèmes de santé ; réunir le groupe une fois par semaine pour échanger, pour s’informer et pour verbaliser les soucis et questions par rapport à la situation difficile, même intolérable créée et maintenue par le propriétaire. Comme expression de cohésion et de force communautaire dans la résistance que nous soutenons depuis février 2022, nous organisons aussi des fêtes et des rencontres diverses.

Enfin, sans oublier une nouvelle forme émergente de violence faite aux femmes, la cyberviolence2. Toutes les situations évoquées nous mettent en garde contre l’âgisme. Cette attitude, comprise comme étant une forme de discrimination fondée sur l’âge, porte préjudice aux personnes âgées et prépare le terrain de la négligence et de la violence. À l’inverse, la bientraitance vise à placer la personne aînée au centre des actions, en favorisant l’autodétermination, l’empowerment, l’inclusion et la participation sociales. Les mouvements féministes tels que La Marche mondiale des femmes, La Fédération des Femmes du Québec, Relais- Femmes, etc., militent pour une intégration pleine et entière des femmes aînées dans la société.

La pratique d’une non-violence féministe exige une grande force intérieure afin que notre action soit constructive et libératrice. Les mots d’ordre des organisations féministes à travers le monde en incarnent la réalité. Voici deux exemples à l’appui : De nos sœurs militantes de la République démocratique du Congo :

                                                    « Je dénonce, je dis non et j’agis en marchant ».

De l’Association LGBTQ au Liban,

« Nous refusons, nous nous unissons, nous bougeons ».

Avec détermination, sans bombes et sans armes, fortes et solidaires, controns la violence des aînées un geste à la fois !

 

1 L’autrice est membre du comité « Sauvons le Mont-Carmel » pour la défense des usagères et usagers de la Résidence Mont-Carmel à Montréal (RPA).

 

2 Cyberviolence : acte agressif, intentionnel, perpétré par un individu ou un groupe aux moyens de courriels, SMS, réseaux sociaux, jeux en ligne, etc.