Deux femmes en marche vers quelque part…
Célébration des 50 ans de présence auxiliatrice au Québec 15 août 1999
Homélie : Commentaire de l’Évangile selon Mathieu 28,1-10 par YVONE GEBARA* *Soeur de Notre-Dame, théologienne brésilienne, amie des Auxiliatrices.
Il y a deux situations qui m’impressionnent dans ce texte de l’Évangile de Mathieu que vous avez choisi. J’aimerais bien les commenter brièvement en ce beau jour de fête La première situation fait référence à l’arrivée matinale des femmes au tombeau de Jésus et la deuxième se réfère à l’annonce que Jésus leur a faite, d’aller dire à « ses frères » de se rendre en Galilée.
Nous sommes persuadées que devant un texte qui nous est en même temps familier et étranger on peut avoir des interprétations différentes. Le texte lui-même est l’interprétation de quelque chose, d’une expérience ou d’un événement significatif. Le texte n’est pas l’événement, mais l’interprétation d’un événement. Et nous, nous interprétons l’interprétation ou des interprétations d’un événement duquel nous n’avons que des traces. Pourtant, quand on interprète un texte, on n’explicite pas ce que l’expérience a été pour les gens qui l’ont vécue. À ce sujet, on peut dire vraiment très peu de choses. Quand on interprète, le texte devient dans un certain sens un prétexte pour expliciter notre propre recherche, pour dire quelque chose de la quête de sens pour notre propre vie. C’est bien dans cette perspective que je me situe dans ce bref partage.
Les femmes arrivent de grand matin et veulent revoir le sépulcre de Jésus. Arriver quelque part de grand matin veut presque dire qu’on était dans l’attente pendant toute la nuit. Cela veut dire que notre nuit était habitée par une attente matinale, par un souci, un espoir, une rencontre, un quelque chose qui puisse nous arriver et changer notre vie.
Le grand matin arrive enfin… et l’attente des femmes semble devenir encore plus grande… C’est comme si la longue attente gardait en elle-même la possibilité et la proximité de quelque chose de bon… La beauté renouvelée d’un nouveau jour contraste avec le tombeau qui contient la tristesse et la mort, la déception d’une espérance, le corps sans vie du bien-aimé ou de tant de bien-aimés… Cela est notre quotidien… Cela est le quotidien des pauvres gens, de celles et de ceux qui attendent un espoir nouveau dans la nouvelle journée qui commence. Cela est le quotidien de tous ceux et celles qui, même pendant le repos de la nuit, ne se lassent pas de garder l’espérance du lendemain.
Le texte que nous avons entendu nous dit qu’un ange vint rouler la pierre du tombeau. Pourquoi rouler la pierre du tombeau et en présence des femmes ? Qui leur a demandé de rouler la pierre ? Le texte ne nous parle pas de l’intention de ces deux femmes de rouler la pierre, ni d’une demande particulière à quelqu’un de le faire. Mais, c’est comme si l’ange représentait ce qu’il y a de plus profond dans leur désir. Rouler la pierre… rouler la pierre d’un tombeau… pour être sûres de quoi ? Rouler la pierre pour revoir un corps déjà en processus de décomposition ? Pourquoi rouler la pierre ? Que cherchaient-elles dans ce lieu de tristesse et de mort ? Que cherchaient-elles au milieu des pierres, des poussières et des souvenirs ?
Il y a tant de pierres qui ferment non seulement des tombeaux, mais qui ferment des processus de vie, des processus d’épanouissement des personnes et des groupes ! Mais, il y a tant de petits mouvements, parfois désorganisés, souvent méconnus qui sont capables de mouvoir nos pierres personnelles et nos pierres communes… Il y a tant de femmes et d’hommes qui jusqu’à leurs vieux jours ne se lassent pas d’aider à mouvoir des pierres…
C’est bien ces mouvements multiples que nous sommes en train de célébrer aujourd’hui… Nous partageons joyeusement notre foi et notre espérance dans notre capacité de rouler des pierres ! Nous sommes des femmes et des hommes engagés dans la recherche d’un sens humain pour la vie ; nous sommes de ces femmes et de ces hommes fatigués des sens cachés dans les tombeaux de nos traditions et dans les systèmes hiérarchiques de pouvoir.
Nous voulons toucher à un sens nouveau de la vie, nous voulons quelque chose de différent dans ce nouveau matin qui s’ouvre à nous. Nous voulons devenir ensemble des gens qui roulent des pierres, qui ouvrent des chemins d’espérance et de solidarité. Nous voulons être des « auxiliatrices » les unes des autres, les uns des autres, sages-femmes, auxiliatrices de nouvelles espérances. Nous sommes de celles et de ceux qui sont fatigués des gardiens de tombeaux qui sont là pour retenir le sens, pour le rendre prisonnier des dogmatismes de toutes sortes… Nous sommes fatigués de ceux qui racontent des mensonges ou des demi-vérités de peur des réactions du peuple…
Qui nous aidera à rouler la pierre du tombeau et des tombeaux ? Qui nous aidera à retrouver le sens de la vie de nos morts, comme geste pour retrouver le sens de notre propre vie ? Qui nous aidera à retrouver le temps de la gratuité, le temps de la fête, le temps de l’amitié, le temps qui permet de contempler les merveilles de toute vie ?
L’Évangile nous dit que ce sont deux femmes qui vont au tombeau… deux à deux elles sont allées. Personne ne les a envoyées… sauf le mouvement de leur coeur, la passion silencieuse qui les habitait, la complicité entre elles. Il y a un sens nouveau qui semble se construire dans l’aurore féminine… Les deux femmes au tombeau ne sont pas appelées disciples, ni soeurs de Jésus. Heureusement, on sait au moins leurs noms… les deux sont Maries, chacune avec son histoire propre. Mais, ce qui les caractérise le plus est le fait d’être deux femmes qui marchent vers quelque part, ensemble avec un but précis, deux femmes « auxiliatrices » l’une de l’autre. Elles vont au lieu des tombeaux, au lieu où on n’attend plus de vie. En silence, elles cherchent quelque chose ensemble, peut-être à mouvoir la pierre pour être sûres que le bien aimé est là. Peut-être, veulent-elles un signe d’espérance, quelque chose pour s’assurer que l’amour vit encore…
Elles s’aperçoivent subitement que ce qu’elles cherchent n’est pas là, à l’intérieur des tombeaux, mais en Galilée, au milieu des gens. C’est là le lieu du sens nouveau ou simplement le lieu du renouvellement du sens. Mais, pour arriver à cette intuition, il faut d’abord veiller, attendre patiemment l’arrivée de l’aurore, courir, traverser l’immobilité des tombeaux pour que finalement des petites poussées de lumière arrivent… Les deux femmes sont enceintes d’une nouveauté, de « quelque chose » qui ne peut pas être retenu dans un tombeau, de « quelque chose » qu’il faut crier fort sur les toits, de « quelque chose » qui fait peur à cause de la force et de la liberté provoquées… Le vieux sens doit nous renvoyer toujours vers le nouveau sens, celui qui est en gestion au milieu des gens simples et des gens assoiffés de liberté. Quel est ce sens en dehors des tombeaux ? Qu’est-ce qu’il faut trouver en Galilée ? Qu’est-ce qu’il faut faire pour arriver là-bas ? Où se trouve aujourd’hui notre Galilée, nos Galilées ?
Chacune et chacun de nous peut aller en Galilée, la Galilée qui est loin ou proche de nous. Elle est à chercher à chaque jour, dès l’aube, de grand matin… Et c’est là qu’il faut trouver les ressuscites, les gens qui, comme Jésus et Marie fêtée spécialement aujourd’hui, cherchant à maintenir leur lampe allumée pour que tant d’autres puissent en jouir et retrouver leur humanité perdue. C’est dans les Galilées du monde que tant de personnes vous ont trouvées chères amies auxiliatrices… c’est parmi vous qu’elles ont pu à nouveau rendre grâce à la vie, à la vie qui renaît toujours au-delà de nos attentes et prévisions. C’est parmi elles que, vous aussi, vous avez trouvé le sens de vos vies, le sens renouvelé de la résurrection et l’amour qui nourrit votre existence. Vous et tant d’autres amies et amis sont allés en Galilée de grand matin pour essayer de vous redire et nous redire qu’il faut espérer contre toute espérance parce que la vie, toute vie, est don, mystère et grâce et mérite d’être vécue avec justice et tendresse.
Merci d’exister et d’être des auxiliatrices de l’aurore.