DU QUÉBEC À KABOUL Lettres à une femme afghane
Colette Beauchamp Montréal, Éditions Écosociété, 2003, 330 p.
Francine Dumais, Hould
Sur une période de huit mois (du 6 novembre 2001 au 25 juin 2002), l’auteure expédie 24 missives plutôt volumineuses où elle livre à sa correspondante Shoukria ses réactions face aux horreurs et aux aléas de la guerre.
Par sa volonté d’aller au fond des choses (voir son abondante section Références à la fin du volume), Colette Beauchamp explore les dessous de cette façon violente de régler un problème ou une situation ce qui amène quantité de comportements non tolérés en temps de paix tels les viols collectifs (ou non) ainsi que les massacres de civils sans armes.
Cet ouvrage est formé, selon son titre, de longs monologues s’apparentant tantôt à l’essai, tantôt au journal intime puisque les lettres de Shoukria ne sont pas publiées, peut-être pour des raisons de sécurité ou de droits d’auteur. Les lettres de cette dernière nous auraient permis de mieux la connaître. Nous ne savons pas non plus de quelle manière l’échange de correspondance se faisait car l’auteure ne le précise pas dans son avant-propos. Mais tout au fil des lettres, nous apprenons que son amie Shoukria est déjà une militante féministe, qu’elle est veuve et mère de cinq enfants.
Le 22 novembre 2001, Colette Beauchamp dévoile ainsi sa sympathie: « J’ai le cœur partagé, Shoukria, réjouie et rassurée de te savoir avec tes trois filles, tes deux petits derniers et la population kaboulie hors de portée des raids aériens, toujours peinée par l’injustice et les torts incommensurables causés à ton peuple par cette guerre. » Dans cette même lettre, une forte solidarité féminine apparaît entre elles car « jamais rien ne pourra défaire les liens que nous tissons entre femmes par-dessus leurs guerres, leurs guerres contre nous, leurs guerres contre les enfants, leurs guerres contre la Terre. »
De plus ces liens de solidarité l’incitent à lui faire parvenir vêtements, duvets, jouets, articles divers ainsi que des suppléments alimentaires et même des « barres tendres ». Puis, pour la réconforter spirituellement, elle lui envoie des disques compacts de Pauline Julien et de Marie-Claire Séguin. Le tout constitue plusieurs colis qu’elle lui adresse via Mme Gujjar de Peshawar au Pakistan (est-ce donc cette dame qui s’occuperait aussi des échanges épistolaires?). L’auteure a même pensé à lui télégraphier de l’argent pour que sa protégée puisse s’offrir un lecteur de disques.
Une lecture rapide de l’ouvrage nous porterait à penser que l’auteure sombre dans le manichéisme entre la culture de la paix chez les femmes et celle de la guerre chez les hommes. (Voir la critique de Louis Cornellier dans Le Devoir du 18 janvier 2004, « Lamento contre la culture de la guerre »). Le passage suivant me permet de nuancer cette observation (voir lettre du 26-01-2002, p. 211) : « Je constate aussi que dans leur militantisme, que ce soit pour la paix, les droits de la personne, l’écologie ou nombre d’autres causes, ou dans le bénévolat dont elles tiennent les rennes à travers le monde, elles cherchent à rétablir et à mettre au premier plan les valeurs humaines, à créer des moyens de résistance et de contestation innovateurs, non violents et non hiérarchiques, (…). » Bien que n’ayant pu parcourir son ouvrage intégralement, je reste sous l’impression que l’auteure n’essaie pas de stigmatiser l’identité sexuelle masculine comme étant la seule explication de l’origine de la violence dans ce monde. Ce serait une voie sans issue comme celle de blâmer l’Ève de la Genèse (ainsi que la gent féminine) d’avoir introduit le péché originel en croquant le fruit défendu pour connaître le Bien et le Mal.
Évidemment le livre se lit souvent difficilement à cause de la lourdeur des émotions soulevées. Mais il faut parfois se pencher sur un sujet qu’on aimerait bien voir disparaître pour toujours de l’histoire humaine. Puissions-nous connaître enfin mille ans de paix sur notre planète bleue! Mille ans, c’est déjà un petit bout d’éternité, en tout cas un bon début!
NB: Ce livre m’a été gracieusement prêté par Marie-France Dozois