EN ATTENDANT LES MÉMOIRES DE PAULINE, LISONS CEUX DE MADELEINE ! Madeleine ALDRIGHT
avec la collaboration de Bill Woodward, « Madame le Secrétaire d’État… », mémoires, Paris, Albin Michel, 2003, 652p. Monique Hamelin – Vasthi
Il est trop tôt pour que Pauline Marois nous donne à lire ses mémoires, souhaitons seulement qu’elle nous fasse cette grâce et nul doute qu’ils sauront nous captiver autant que ceux de l’Américaine Madeleine Albright.
Contrairement à Pauline Marois, Albright a commencé tardivement son entrée en politique et son parcours est passé par les hautes sphères de la diplomatie. Elle avait 39 ans. Auparavant, son univers avait été celui de sa famille, ses trois enfants dont des jumelles, ses études de doctorat, le bénévolat. Puis, ce sont quelques campagnes de financement pour différentes œuvres et son univers s’étendant, des levées de fonds pour les démocrates. Enfin, sa formation l’amène également à agir à titre de conseillère en matière de politiques étrangères.
Albright nous livre des mémoires inhabituels en politique, j’ose dire des mémoires que seule une femme, une féministe, une femme engagée peut nous livrer. Elle reste préoccupée par les nombreux dilemmes des femmes – comment réussir sa vie amoureuse, élever sa famille et occuper un emploi intellectuellement stimulant. Durant 700 pages, elle réussit à se situer comme femme, mère, et travailleuse et à nous rendre la politique vivante, c’est presque un roman policier ! Cette lecture a teinté ma manière de voir la politique étrangère, en arrière des manchettes, je vois les personnes. Je comprends mieux la diplomatie moulée par des individus avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs espoirs et leurs regrets.
Elle est née en Tchécoslovaquie, le 15 mai 1937 exactement deux ans avant l’invasion allemande. Dix jours plus tard, le 25 mai 1939, sa famille s’exilait d’abord à Belgrade puis à Londres. Six ans plus tard, soit après la fin de la guerre, sa famille retourne au pays de sa naissance. Son père, proche du gouvernement en exil, est rapidement promu ambassadeur à Belgrade. Mais après l’invasion allemande, les communistes menacent le pays… parents et enfants prennent à nouveau le chemin de l’exil. Muni d’un passeport diplomatique de l’ONU, le père demande l’asile politique aux États-Unis. Pour la mère et ses enfants, à nouveau, Londres, puis, cette fois, un bateau pour l’Amérique, le pays de la liberté. Le 11 novembre 1948, la mère, accompagnée de son aînée, de sa cadette et de son jeune fils débarquent dans le port de New York. Madeleine parle déjà quatre langues : tchèque, serbo-croate, français et anglais. La famille vivra dans l’ouest américain, le père sera professeur dans une université.
Baptisée sous le nom de Marie Jana, on la surnommera Madla, puis Madlen. À 10 ans, apprenant le français, elle trouve la version qui lui plaît : Madeleine. Par ailleurs, même avec tous les bouleversements que connaîtra son existence, son certificat de naturalisation, sa licence de mariage portent le nom de Marie Jana Korbel.
En 1992, Clinton est président et lui demande d’être l’ambassadrice américaine à l’ONU. Rapidement, elle réalise qu’elle doit naviguer dans un monde d’hommes. Sur 180 pays à l’ONU, elles ne sont que six femmes représentantes officielles de leur pays ! La difficulté provient surtout des hommes – ceux de son parti et des élus au gouvernement – c’est là qu’elle rencontrera le plus de résistance et non dans les rencontres officielles soit avec les pays arabes ou autres car son arrivée dans l’avion des États-Unis d’Amérique lui confère un statut qui est respecté. Après avoir siégé comme ambassadrice, Clinton lui demande d’être Secrétaire d’État. La plus haute fonction en politique américaine après le président! La première fois que le poste sera occupé par une femme. C’était le 5 décembre 1996.
Parmi les leitmotivs qui ont marqué son enfance et sa vie : toujours bien faire ce qu’on a à faire et se battre pour accomplir ce qui doit être fait usant non de la force mais des dons qui sont nôtres. Adulte, elle en ajoute un autre : il faut regarder ce que l’on a et non s’arrêter à ce que l’on n’a pas. Je vous laisse découvrir comment elle en arrive à ce cheminement, comment elle passe le fait de se sentir seule, puisqu’elle n’a plus de conjoint, à un sentiment de grande liberté. Une liberté qui lui permettra de s’investir à fond dans de hautes fonctions alors qu’elle aurait sans doute hésité à prendre ce chemin avec un conjoint…
Vous revivrez donc de grands moments historiques, vous serez aux premières loges de grandes négociations (Traité pour la non-prolifération des armes, les relations entre le Département de la Défense et la CIA, entre le National Security Council et le Département d’État, entre membres de l’ONU, etc.), et des drames humains qui ont secoué et continuent de hanter plusieurs nations dont la Somalie, le Rwanda, Haïti, l’Iraq, l’Iran, la Palestine, Israël, l’Afghanistan, la Yougoslavie, Bosnie, Croatie, le Kosovo, la Serbie, Chine, Taïwan, Russie, Corée du Sud, etc. tout comme des portraits percutants des grands leaders de ce monde. Et parallèlement, c’est une femme qui vit des drames personnels – baptisée catholique, son futur mari lui demande de devenir épiscopalienne; elle donne naissance à un enfant mort-né; à 45 ans, son mari demande le divorce. De plus, ce sont les médias – ou presque – qui lui apprennent qu’elle est juive, alors qu’elle se pensait chrétienne et qu’une douzaine de membres de sa famille (grands-parents, tantes, oncles, cousins, cousines) sont morts au moment de l’Holocauste. Et ces deuils, elle ne peut les vivre tranquillement, avec sa sœur, son frère car publiquement, on blâme sévèrement ses parents de ne pas avoir raconté à leurs enfants leurs origines. Pour Albright, ces derniers ont sans doute tout simplement voulu leur éviter la douleur de la séparation, l’agonie de ne pas savoir et enfin la terrible peine de savoir ! Et nous dit-elle, mes parents m’ont donné la vie deux fois, à ma naissance et en s’exilant, j’ai ainsi évité les camps de la mort contrairement à près de 80 000 Tchécoslovaques d’origine juive morts dans les camps.
Et je pourrais continuer encore longtemps mais je vous laisse découvrir au fil de votre lecture des mémoires d’Albright qui sont ses héroïnes, quelles sont ses forces, son implication pour les femmes comme enseignante, les relations de pouvoir quand on est une femme, les briefings de la première dame des États-Unis – Hilary Clinton, les dîners politiques, comment on apprend à négocier, les outils, et le sentiment du devoir accompli, de la fierté et aussi des regrets de laisser cette vie trépidante quand la démocratie s’exprime et que l’on vous signifie votre congé. Bonne lecture !