ENTRE LE MYTHE ET LA RÉALITÉ: FRANÇOISE GIROUD

ENTRE LE MYTHE ET LA RÉALITÉ: FRANÇOISE GIROUD

Monique Hamelin – Vasth

En janvier 2003, Françoise Giroud tirait sa révérence… Avant sa mort, elle avait accepté d’être «biographiée» par Christine Ockrent1. Elle lui a ouvert sa porte, ses archives, accordé les entretiens nécessaires… les seules restrictions, qu’elle n’ait pas à lire ce livre et qu’un seul domaine de la sphère privée qui lui était particulièrement cher soit respecté.

L’auteure et l’éditeur tinrent promesse sans que la biographie qui s’ensuivit soit une hagiographie. Ockrent est capable de faire ressortir les bons coups comme les travers de Giroud et sous sa plume enlevante nous suivons, selon les chapitres, la fille, la sœur, l’amante, la fondatrice, la ministre, la mère, la répudiée, la survivante, la patronne, l’écrivaine, et l’icône.

Marquée par la répudiation du père qui eut souhaité avoir un fils, marquée par une absence de père, marquée par une idéalisation du père par la mère, elle ne cesse de demander pardon d’être une fille. Sauf que, Giroud déclare : j’ai choisi d’être une fille qui réussit et non un garçon manqué. Mais toute sa vie, elle voudra séduire et c’est ce qu’Ockrent nous montre. Et ce désir de séduire, elle ne semble pas l’avoir compris même au terme de sa vie… peut-être y a-t-il de ce besoin de l’acception de l’autre même si le père ne l’a pas fait.

Dire ce que l’on pense, jamais ce que l’on ressent et travailler – c’était là le leitmotiv de la mère, c’était tenir son rang, c’était le moyen de la réussite à qui était née dans la bourgeoisie mais n’avait plus les ressources financières. Le travail fut une vertu. Le travail fut présent jusqu’à la fin de sa vie. S’abrutir de travail soigne les impasses financières et les mots du cœur.

Avant la guerre, le hasard l’amène dans le milieu du cinéma. Il fallait se débrouiller. Elle raconte : «À part les actrices, il n’y avait que des hommes, qui à tous les niveaux exerçaient leur droit de cuissage…On couche, on fait son chemin comme on peut, on serre les dents…»

Protectrices et formatrices lui ont appris les rudiments de l’écriture journalistique – l’attaque, la chute… et elle fera de même pour nombre de jeunes femmes. Je vous laisse découvrir cela au fil de votre lecture.

En 1939, pour une émission de radio, elle changera de patronyme… il y a un personnage à construire et c’est ce qu’elle fait et fera même dans ses écrits. Ainsi, sur l’un des grands amours de sa vie, deux récits nous sont donnés: le sien et celui de JJSS – le Jean-Jacques Servan-Schreiber. Son rôle diffère. Est-ce l’embellie? Est-ce la nécessité de contrôler l’action? Est-ce le personnage à mettre en scène? Les questions restent. Et ce célèbre couple règnera non seulement comme couple fondateur de L’Express mais de façon plus large dans le monde de l’information.

La construction du personnage se retrouve aussi lorsqu’il est question du débat de la fameuse loi Weil sur l’avortement. Les deux femmes sont ministres, récits et silences de l’une et l’autre nous donnent deux moments de l’histoire à réconcilier.

Giroud-Weil, Giroud-De Beauvoir, rien ne colle entre ces femmes, pourquoi ? Giroud a initié nombre de jeunes femmes au journalisme, elle a ouvert des portes aux femmes dans le milieu, elle a écrit pour le droit à la contraception, à l’IVG et contre le machisme… Elle a fait carrière… Est-ce parce que chacune, à sa manière, est une reine-abeille qui préfère se retrouver seule avec les hommes ou alors elles sont avec des femmes-disciples? Ockrent nous dirige par allusion vers une telle piste. C’est un peu court.

Lorsque le travail ne suffira plus à garder Giroud sur le côté de la vie, c’est la cure psychanalytique avec Lacan qui lui permettra de sortir lentement de la dépression et de retrouver sa liberté intérieure. À noter que son fils et sa fille seront également suivi par Lacan… On est sans voix devant une telle mise en scène, devant le drame qui ne saurait que suivre… d’ailleurs, elle vivra l’un des plus grands drames d’une mère – enterrer son enfant.

Juive, élevée dans le catholicisme, elle ne saura rien de ses origines avant l’âge adulte. Considérant sa connaissance du mal, de l’horreur de 39-45, quelles traces tout cela peut-il laisser? Bien peu de choses nous sont données dans cette biographie.

Giroud adorait les mots, elle les ciselait, traçant des portraits justes, sévères parfois,  et si nous gardons en mémoire le leitmotiv de la mère – ne jamais parler de soi, de ses sentiments… alors il est peu surprenant qu’elle ait voulu brouiller les cartes. Peut-on lui en vouloir, ne gardons-nous pas une version de la vie avec laquelle nous pouvons vivre, ne reconnaissant que ce que nous pouvons au moment où nous le pouvons.

Icône des temps modernes nous disent nombre de ses proches. Icône du féminisme, icône du journalisme et même mère du journalisme moderne – Françoise Giroud, c’est tout cela. Ockrent nous raconte qu’elle est au journalisme ce que Sagan et Duras ont été au roman moderne.

Biographie de Giroud ou livres par Giroud, c’est une convocation à d’heureux moments. Réunir des lectrices et lecteurs, choisir les mots pour le festin de la langue, réunir des amis autour de sa table, préparer le foie gras pour les régaler, soigner les dédicaces de ses livres pour les uns et les autres, c’est la grande dame, c’est Françoise Giroud.

  1. Ockrent, Christine. Françoise Giroud – Une ambition française. Fayard – Le Livre de Poche: 2003.