Extrait d’une entrevue Radiophonique1 avec Jacqueline Lemay
réalisée par
Denyse Marleau, animatrice
Auteure-compositeure-interprète, Jacqueline Lemay vient de lancer un nouveau disque « Écris-moi un mot ». En même temps, elle publie le livre « Le temps d’une chanson ».
1 Entrevue diffusée à CHUO-F.M., le 6 mai 1998.
Qu’est-ce qui t’a incitée à écrire ce livre qui parle de sept années de ta vie ?
D’abord je voulais écrire un vrai livre. J’étais en Grèce lorsque je me suis dit : « Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? J’ai un sujet extraordinaire : les années que j’ai vécu chez les Oblates missionnaires de Marie Immaculée, un Institut séculier. » J’avais alors dix-neuf ans. La mentalité de l’Institut était axée sur la pensée positive. C’était d’avant-garde. On avait des exercices religieux mais c’était toute l’action quotidienne qui était imprégnée de spiritualité.
Tu as été enseignante, directrice d’école à 20 ans…
J’ai commencé à enseigner à dix-sept ans. J’avais des grands garçons dans ma classe. J’ai trouvé ça dur. Le soir, je faisais de la musique, de la chanson populaire. Et puis je suis entrée chez les Oblates, poussée par un mysticisme qui, malgré les apparences, me hantait par période depuis l’enfance. J’étais une bout en train, j’adorais la danse. Ma mère était découragée de me voir sortir tous les soirs. Mais en même temps, j’avais soif de vie intérieure et j’aspirais à quelque chose d’exceptionnel. Et je suis entrée dans l’Institut en me disant : « J’abandonne la chanson, la musique et tout, je me donne entièrement ». Et c’est là que j’ai commencé à composer.
Est-ce que tu penses que tu aurais tout de même débouché dans le milieu de la chanson ?
Peut-être, mais peut-être pas comme auteure-compositeure. Chez les Oblates, ça a jailli de source. Je méditais le matin. C’était tellement total et irradiant. J’ai vraiment vécu une expérience spirituelle extraordinaire. C’est sorti en chansons. J’ai découvert que je pouvais composer les paroles et la musique en même temps et tout cela a eu un succès instantané. On en a fait des disques. J’ai chanté dans toutes les écoles et dans tous les sous-sols d’église du Québec.
Tu aurais pu faire carrière en France…
Oui. C’est comme si j’étais passée à côté de quelque chose. J’avais tout ce qu’il fallait. J’ai fait un disque en 1964. En France, j’ai eu des critiques extraordinaires. Le contexte de mes chansons avait commencé à changer, à aller vers des sujets plus réalistes, des satires sociales. J’étais à une époque où je ne cherchais pas la réussite à tout prix.
Laquelle des tes chansons t’a le plus marquée et laquelle a marqué le plus les autres ?
La chanson Paix du soir est passée à travers le temps. Les louveteaux la chantent encore. Personnellement celle qui m’a le plus marquée est Je crois en toi. C’était plus près de mes méditations. C’était comme un cri du coeur. Vingt-cinq ans après, je suis encore touchée par le texte de cette chanson. Il en est de même pour Le jeune homme riche, sur mon premier quarante-cinq tours, ainsi que pour Route claire.
As-tu compté le nombre de tes disques ?
J’ai écrit au moins quatre-vingts chansons à cette époque. Une trentaine sont sur disques. À cela s’ajoutent les chansons pour enfants — j’en ai tout un bagage — et les disques de musique instrumentale.
D’où t’est venu le titre Le temps d’une chanson ?
Au départ, je voulais le titre Le fil de la rivière, à cause de la continuité de la vie. J’ai d’ailleurs une chanson qui porte ce titre. C’est durant les années où le Québec vivait un bouleversement que j’ai fait mes premiers pas dans la chanson. Il y a eu une métamorphose, le temps d’une chanson. J’y dépeins l’environnement culturel qui changeait, mes nombreux déménagements, nos premières lectures interdites comme Camus, et le bouillonnement culturel qu’il y avait autour de nous. On me demande parfois pourquoi je suis sortie. Je réponds : « Entre vingt et vingt-sept ans, j’ai fait un cheminement en prononçant des voeux annuels. En sortant, je n’ai pas eu l’impression de rompre. C’était une sortie naturelle, sereine aussi. »
que tu as toujours conservée ?
Oui la base est toujours là, la base et même plus.
Aujourd’hui comment vis-tu : es-tu mariée ? As-tu des enfants ?
Non, je suis un bon Gémeaux. J’aime être seule mais avec des gens. Je n’ai pas d’enfant mais je ne me sens nullement frustrée. Les enfants des autres me donnent beaucoup. Je fais des animations dans les écoles et le fait de créer donne l’impression d’enfanter quelque chose.
Peut-on espérer qu’il y aura un tome 2 ?
Je prépare un deuxième livre, pas un tome 2. Ce sera soit une fiction soit un livre qui donne une idée de la suite qui s’appellerait peut-être On a tous le même âge mais pas en même temps.
Quelle est la personne qui t’a le plus marquée ?
La personne qui m’a le plus épatée récemment s’est Antonine Maillet. Je l’ai croisée à Yellowknife alors qu’elle rencontrait les élèves du secondaire et moi du primaire. Véritable puits de renseignements sur la culture, la langue, la connaissance des humains, elle a de plus un sens de l’humour fantastique. C’est une personne brillante, extraordinaire. Mais il y a aussi d’autres personnes qui ont été importantes pour moi comme le Père Parent…
Parle-moi du disque Écris-moi un mot
C’est un disque qui parle d’identité et qui va chercher des chansons qui ont été composées à différentes périodes. Ce sont des chansons que je trouvais dommage de ne pas retrouver sur un disque compact. Dans le ciel du Nord, il est question de l’Abitibi avec ses couchers de soleil. Mon aïeule acadienne est une chanson humoristique sur un rythme country. Ma grand-mère maternelle était acadienne. Edith Butler en a écrit la musique. // neige. C’est le genre de chanson où parole et musique surgissent d’un trait. Je l’aime beaucoup et les Français aussi. Il s’agit d’une neige fine, une poudrerie qui ressemble un peu à des étoiles. Un vrai tableau impressionniste ! Ce que j’ai vu au matin décrit la démarche intérieure de toute vie qui s’en va vers l’aurore, vers l’horizon malgré certaines déceptions, des oublis des amis. Le Québécois est une chanson nationaliste qui date des années 70, époque où on sentait le besoin d’affirmer la fierté québécoise. La moitié du monde est une femme est en version instrumentale. La version chantée sera sur un prochain disque, du moins je l’espère.
Quelle est ta chanson la plus récente ?
Écris-moi un mot. Je l’ai sortie d’un tiroir. Je ne l’avais jamais chantée. C’est invitant comme texte : Quels que soient les virages que tu prends dans la vie, prends le téléphone, fais-moi signe, écris-moi.
Écris-tu encore beaucoup ?
Je suis à terminer un album pour enfants. Je dois aller à plusieurs salons du livre. Où trouver le temps pour plonger dans le lac de la sérénité. La sérénité de fond, je l’ai. Je m’arrange pour la retrouver. Je trouve important l’aspect intériorité dans la vie, l’aspect culturel aussi. Mais la création ça prend aussi du temps et malheureusement il m’en manque. Merci!