Faudra-t-il la mort du catholicisme pour que l’Église entende enfin les revendications de l’ecclésia ?

Faudra-t-il la mort du catholicisme

pour que l’Église entende enfin les revendications de l’ecclésia?

Nathalie Tremblay, Groupe Phœbe

Le projet d’écriture par deux sociologues des religions, Danièle Hervieux-Léger (DHL) et Jean-Louis Schlegel (JLS) « Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme »1 trouve racine dans le premier confinement de la pandémie Covid-19. Le livre se veut une construction dialogique entre l’autrice et l’auteur sur une série de thèmes liés à la sociologie du catholicisme. Deux événements de l’espace médiatique ont servi de point de départ : d’abord, en juin 2020, la suspension des célébrations du culte pendant la pandémie ainsi que l’enquête sur les scandales sexuels dans l’Église. Le livre propose un dialogue des tempêtes qui traversent présentement l’Église de France. En publiant cet ouvrage, DHL et JLS se sont donné comme objectifs de présenter une compréhension de l’état actuel du catholicisme, d’offrir un éclairage sur la période de transition dans laquelle l’Église est engagée depuis quelques décennies en vue d’identifier des pistes pour la synodalité de l’avenir. La question lancée par DHL et JLS est de savoir « comment, en quels lieux et dans quel état l’Église catholique subsistera » (p. 8). Je reprends ici les grandes idées développées au fil de l’ouvrage ainsi qu’une appréciation personnelle.

Ces dialogues se veulent une analyse partant de constats sociologiques : la situation du catholicisme en France, les implications pour l’institution romaine et son système de pouvoir, dans un contexte culturel traversé par de nombreux changements depuis la seconde moitié du XXe siècle. Les dix dialogues sont regroupés autour de quatre thèmes : 1) deux séismes (les scandales sexuels et la pandémie de la Covid-19), 2) l’enculturation du catholicisme, 3) une brève histoire d’une Église bloquée et 4) les perspectives pour le futur de l’Église.

À l’automne 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) publiait son rapport, révélant que 330 000 enfants, sur une période de 70 ans, auraient été victimes d’abus sexuels commis par des membres de l’Église (prêtres, religieux, religieuses, agentes de pastorale et employé.e.s des paroisses). Ce scandale révèle une structure institutionnelle préoccupée d’abord par sa propre sauvegarde, le cléricalisme, valorisant depuis trop longtemps une culture du silence difficile à briser. Le deuxième événement d’envergure est la pandémie de la Covid-19, dont le confinement obligatoire a eu des effets directs sur la vie religieuse. Les lieux de culte ont été directement touchés par l’interdiction des rassemblements, ce qui a fait émerger le questionnement autour du caractère essentiel ou inessentiel du droit à la messe. La pandémie a vu naître au sein de l’Église des initiatives de petits groupes proposant de nouvelles façons de célébrer le culte. La multiplication des cérémonies en ligne (groupes de prière, messes, lectures bibliques) a révélé une vitalité afin de vivre l’Église autrement et favoriser le développement possible de nouvelles sociabilités religieuses.

DHL réfère d’une part à un catholicisme éclaté qui peut évoquer à la fois une fracture, entre politique et religieux et un clivage qui dresse face à face des camps irréconciliables. D’autre part, elle montre l’effritement d’un système, un affaissement de ce qui tenait ensemble ses éléments.

Une autre idée importante développée par l’autrice est celle de l’enculturation. Ce terme fait référence à la sortie de la culture, phénomène engendré par le déclin quantitatif du recours à l’Église et la disqualification de l’institution. Elle est thématisée comme le résultat de trois éléments sociologiques : la dislocation de la société rurale avec un déplacement des populations vers les villes, la révolution de la famille avec des changements juridiques comme le droit au divorce ou l’accès libre à la contraception. DHL qualifie ce dernier événement de

« étant la date clé qui fait basculer l’histoire, après la Révolution française » pour décrire l’ampleur de la transformation sociale qu’a permis la régulation des naissances. Ce qu’elle y voit ? La capacité des croyant.e.s de se positionner comme sujets d’action, mais aussi les limites de la portée du message de l’Église qui se considère bien souvent comme porteuse du monopole de la vérité.

On est dans ce que DHL nomme un monde postchrétien, désignant un catholicisme modelant l’univers culturel à partir notamment du système de valeurs qu’il véhicule. Sa vision de l’extinction du religieux désigne, non pas une disparition complète de celui-ci, mais plutôt une transformation drastique de la religion institutionnelle, au profit de pratiques relevant de ce que Claude Lévi-Strauss décrit par la notion de « bricolage » ou, pour Michel de Certeau, de « braconnage ». DHL soutient qu’on ne peut attribuer au Concile Vatican II la seule responsabilité de la rupture entre l’institution et les pratiques religieuses. Depuis le début du XXe siècle, des signes laissaient présager le déclin de l’institution. Plusieurs intellectuels avaient commencé à sonner l’alarme (Gabriel LeBras en 1931, Henri Godin et Yvan Daniel en 1943, François Routang en 1966), car le décalage entre l’Église et le monde social était de plus en plus flagrant. Si on met en parallèle la révolution sexuelle avec la posture de l’Église, réitérée à plusieurs reprises par des papes condamnant la contraception, l’homosexualité, la masturbation, la cohabitation hors mariage, l’utilisation de préservatifs, l’avortement, on comprend que ces discours n’ont fait que souligner les divergences entre l’Église et la société.

Au lendemain des manifestations de mai 1968, la publication de l’Encyclique Humanae Vitae statuant l’interdiction de l’utilisation de la contraception a l’effet d’une volte-face. À cela s’ajoute le refus de l’Église de réfléchir à la question des ministères, et particulièrement au sacerdoce des femmes, préférant la sécurité du statu quo du cléricalisme et du pouvoir des hommes, mais continuant à magnifier les femmes dans des fonctions qui leur sont traditionnellement associées. Il ne faut pas oublier les abus du clergé qui ont délégitimé non seulement l’institution, mais aussi la figure du prêtre, soulignant la nature déséquilibrée des exigences du célibat de la vie sacerdotale. Enfin, n’oublions pas le caractère violent des conquêtes missionnaires qui visaient la destruction des cultures autochtones. On voit apparaître, à la même l’époque, la perspective du travail accompli par les prêtres-ouvriers influencés par la théologie de la libération : ils ont fait partie de ceux qui ont procédé à une remise en question de la mission. DHL en vient à parler de maladie auto-immune pour désigner le cléricalisme et les maux dont l’Église est atteinte, en référence aux différents scandales qui la traversent. Les éléments centraux pour expliquer cette situation soulignent le manque de cohérence entre les paroles et les actions des membres du clergé : un système qui repose sur la loi du silence, sur la sacralité des prêtres qui s’accompagne bien souvent d’un sentiment de toute-puissance, à l’abri de l’autorité divine.

Ceci amène les auteurs à se pencher sur la question de savoir « comment rester catholique ? ». DHL propose deux positionnements du catholicisme : un catholicisme hospitalier et un catholicisme contre-culturel. Le catholicisme hospitalier c’est l’idée selon laquelle l’Église est encore à venir; elle se veut une Église en construction, jusqu’à l’avènement de la fin des temps. Le catholicisme contre-culturel quant à lui, désigne « la pluralité des manières de penser et de vivre l’Église, dans une société qui se passe parfaitement d’elle et ne lui reviendra pas » (p. 336- 337). Dans un tel contexte, il est permis, je pense, d’espérer qu’il y ait une suite à cet ouvrage, car avec le vieillissement des membres des communautés religieuses (sujet qui n’a pas été abordé), il ne peut y avoir, à mon avis, que transformations du paysage religieux et du rapport au religieux.

Le cléricalisme étouffe l’élan de vie du catholicisme. D’ailleurs, JLS fait état du fait que les consultations synodales allemandes incluront la participation paritaire de femmes et d’hommes. Ces consultations seront l’occasion de réfléchir sur des thèmes actuels de la vie de l’Église : la place des laïcs et des femmes, les normes ecclésiales en matière de sexualité, la séparation des pouvoirs au sein de l’Église, l’obsolescence du droit canon, etc. Soulignons que cette démarche nationale indépendante du synode a tout de même valu à l’Église allemande un rappel à l’ordre au risque de briser l’unité en abordant de tels sujets2. Cette lecture, qui se veut actuelle et intéressante du point de vue historique et sociologique, manifeste une maîtrise dans la richesse des échanges entre DHL et JLS qui ponctuent l’ouvrage. Si elle fait certains comparatifs avec la situation des États-Unis, il aurait été intéressant d’y trouver davantage de parallèles avec la société québécoise, plutôt rares, pour ne pas dire absents.

Sans aucun doute, l’information contenue dans le livre est la plus à jour possible avec, par exemple, l’évocation du synode sur la synodalité dont les conclusions sont attendues en 2023-24. Le pontificat de François, qui a consacré des encycliques à l’environnement et à la situation des migrants a, par ces initiatives, tenté de s’ajuster « aux signes des temps ». Malgré tout, le pape a rencontré certaines oppositions de la part des traditionalistes de la droite catholique, ce qui ne fait qu’entretenir le statu quo.

1 Danièle HERVIEU-LÉGER et Jean-Louis SCHLEGEL, Vers l’implosion? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme, Paris, Éditions du Seuil, 400 p.

2 Consulté le 18 janvier 2023. www.cath.ch/newsf/le-saint-siege-recadre-fermement-le-chemin-synodal- allemand/