FEMMES ET PRISON
(Monique HAMELIN, Éditions du Méridien, Montréal, 1989)
II est agréable, durant les vacances, de traîner dans ses bagages un livre écrit par une amie! Celui-là l’est puisque, depuis longtemps, L’autre Parole compte cette auteure parmi ses membres.
Il est touchant de se laisser parler de femmes qui nous semblent, pour la plupart, si loin de nous et que nous découvrons si proches par leur sensibilité et souvent par leur vulnérabilité.
Il est intéressant de lire un livre dont le sujet fait habituellement la manchette des journaux sensationnalistes et qui, cette fois, fait l’objet d’une cueillette de données systématique et d’une étude rigoureuse de ces données, alliant l’analyse théorique à l’analyse empirique. Cependant, si la qualité, qui a valu à son auteure une maîtrise en criminologie, est garantie par ce dernier aspect, l’ouvrage lui est par contre tributaire de certaines exigences tant par le fond et par la forme que par le langage disciplinaire utilisé. Certains chapitres, plus que d’autres, risquent parfois de dérouter la lectrice peu habituée aux recherches académiques. Qu’on ne se laisse surtout pas intimider par un chapitre consacré à l’étude des statistiques ou à une revue de la littérature car Monique réussit, avec un rare bonheur, à intéresser et à captiver. Le sujet est restitué dans sa dimension sociale tout en redonnant aux femmes interviewées, leur identité personnelle: un visage, un coeur, une sensibilité et une vie à poursuivre.
Nous trouvons, dans ce livre, un aperçu du système pénal en général. Un bref survol des conditions de vie des femmes dans la société permet ensuite de mieux situer les femmes pénalisées afin de saisir l’impact spécifique que cet accident de parcours peut avoir sur la poursuite de leur vie. Les analyses féministes, posant leur regard sur ces conditions de vie et sur les places des femmes dans l’organisation sociale, montrent que les effets négatifs d’une trajectoire semblable ne sont pas tout à fait les mêmes selon que l’on est homme ou femme et/ou pauvre ou riche. Pour la première fois, une étude porte sur la vie des femmes en prison à partir de leur mise en accusation jusqu’à leurs tentatives de réinsertion sociale.
L’ouvrage est divisé en huit chapitres suivis d’une conclusion. Le chapitre premier, consacré aux données officielles sur la criminalité au Canada et au Québec, est présenté par des tableaux statistiques. Ces données factuelles renseignent sur les différentes étapes de l’administration de la justice, sur les caractéristiques objectives des pénalisées (sexe, âge, statut etc.). Elles nous renseignent aussi sur les peines(amende, probation, emprisonnement, durée), sur les délits (nature, gravité, circonstances) et cela tant au pénal qu’au criminel. Ainsi, les juridictions fédérales et provinciales, les infractions au Code criminel ou pénal, la population des hommes et celle des femmes, voilà autant de variables auxquelles il faut être attentives en se servant de ces tableaux pour mieux saisir le portrait global dans ses différentes particularités. L’auteure, par ses commentaires judicieux et précis, nous y aide grandement.
Le deuxième chapitre passe en revue plusieurs études portant sur des sujets apparentés. Cependant, « aucune n’a examiné de façon globale les conséquences de l’intervention du pénal pour les femmes justiciables », nous dit Monique Hamelin. Elle examine donc la place accordée aux femmes justiciables dans l’ensemble de ces travaux: conditions de détention, rites d’entrée en prison, marque indélébile du casier judiciaire, notion des coûts sociaux, place des femmes en général dans la structure de classes de la société, problématique des femmes-mères incarcérées, problématique du travail avant l’incarcération, à l’intérieur des murs, après la sortie ainsi que la spécificité des femmes au foyer et de celle des cheffes de famille monoparentale.
Ce chapitre plus théorique permet de rentrer dans l’univers de la criminologie et d’avoir un aperçu des concepts dont se servent ses professionnels pour analyser les phénomènes d’une composante importante de la vie en société. C’est cette revue de la littérature qui démontre que, dans la théorie comme dans la pratique de la criminologie, on se retrouve d’abord aux prises avec l’invisibilité des femmes. Et
quand d’aventure on en parle, dans la société comme à l’intérieur des prisons, on rencontre les mêmes stéréotypes qui les décrivent, les modèles moralisateurs qui les enferment, les inégalités des traitements qui leur sont réservés, la pauvreté et le manque de pouvoir sur leur propre vie qui les caractérisent. « Les femmes justiciables forment une minorité dans un système dont les lois sont faites majoritairement par des hommes pour gérer des actes commis le plus souvent par d’autres hommes. »
C’est au troisième chapitre que l’objet d’étude proprement dit est vraiment cerné. Aller en prison a toujours des conséquences sur la vie des personnes qui sont ainsi punies. Ces conséquences peuvent être d’ordre social (perte d’emploi, d’enfants, etc.), psychologique (stigmatisation, perte de l’estime de soi, agressivité envers la société etc..) et juridique (existence d’un casier judiciaire). Traditionnellement, des mécanismes sont mis en place par les individus eux-mêmes, par les réseaux dans lesquels ils s’inscrivent ou par la société, pour contrer ces effets négatifs. Une capacité financière adéquate, une connaissance de la culture judiciaire, l’existence de réseaux de soutien efficaces peuvent favoriser une meilleure intégration sociale et affective après l’incarcération. Or, les conditions réelles de la vie des femmes n’ont jamais été prises en compte dans des études sur le sujet. Les femmes ont-elles, à un degré moindre, recours à ces ressources? Existe-t-il des conditions qui leur sont particulières et qui feraient obstruction à l’utilisation de ces ressources?
Pour trouver des pistes de réponses à ses questions, Monique Hamelin, interviewera 15 femmes qui ont toutes été en prison et en étaient sorties au moment des interviews. Elles sont scolarisées à des degrés divers; elles ont occupé et/ou occupent des emplois plus ou moins stables sur le marché du travail; mariées, divorcées ou célibataires, plusieurs ont des enfants, certaines sont cheffes de famille monoparentale et d’autres ont un mari et des enfants qui les attendaient; quelques- unes ont une orientation lesbienne. Enfin, elles ont été emprisonnées pour des délits plus ou moins graves mais, en général, plus graves que la moyenne des délits recensés chez les femmes dans le chapitre sur les statistiques. Nous sommes donc en présence d’un échantillon non aléatoire, c’est-à-dire ne correspondant pas à la moyenne, mais ayant été établi pour répondre à des exigences particulières. Il est bon, à cette occasion, de revenir au chapitre premier qui fait état des moyennes statistiques et des statistiques concernant la population des hommes incarcérés.
Dans les chapitres quatre, cinq et six, nous écoutons la parole de ces femmes. Monique Hamelin a gardé à cette parole tout l’impact émotif et les reflets psychologiques des interviewées. C’est un plaisir pour la lectrice mais ce fut, sans aucun doute, un travail délicat de décodage et d’interprétation car l’auteure devait se servir de ces témoignages pour donner à la recherche ses fondements scientifiques, en vérifiant dans la trajectoire de la vie réelle de ces femmes, les difficultés propres à la place qu’elles occupaient déjà dans la société avant leur entrée en prison et qu’elles occuperont après. Même si l’échantillon présente un éventail de caractéristiques propres à chacune, l’auteure retrace des constantes qui ont trait à leur sexe, constantes plus ou moins tempérées par la place qu’elles occupent dans la société. C’est là le grand mérite de la thèse.
La parole de ces femmes décrira leurs relations avec les policiers et les avocats de la défense avant l’incarcération. Les non-initiés comme les sans-le-sou et les minoritaires sont très vulnérables à ce moment du passage dans le système pénal. Elle parlera de la vie en prison au quotidien: rite d’entrée, fouilles à nu et fouilles vaginales-rectales, crédibilité, santé, pratique sexuelle, déboursés financiers pour vivre en prison (mais ouil), modalités des séparations d’avec les enfants, douleurs de l’éloignement, libération de jour et enfin, crainte de la sortie.
Le chapitre sept est consacré à l’événement de la sortie ou l’après incarcération. La déception à l’occasion de cette sortie va jusqu’à la peur d’affronter la liberté pourtant tant désirée. En effet, ces femmes sont marquées subjectivement par la stigmatisation attachée à cette période de leur vie et de plus elles le sont, objectivement, par un casier judiciaire qui les suivra partout. Les problèmes de retrouvailles, que ce soit avec les conjoints, les amis, les familles ou les enfants, sont nombreux et complexes. Au dehors, l’isolement les guette. L’aide est bien mince tant au point de vue psychologique, économique qu’en ce qui a trait à la recherche d’un emploi et à la rentrée sur le marché du travail.
Le huitième chapitre, et c’est là un apport original dans des travaux de ce genre, parle de l’impact du passage en prison sur la mobilité sociale et professionnelle de ces femmes. Pour elles, comme pour toutes les autres femmes, une scolarisation peu poussée, la charge d’enfants sans conjoint, les emplois sous-payés en perspective en font des prisonnières de leurs conditions de vie. C’est dans ce chapitre que l’auteure reprend sa parole et nous livre les réflexions qu’ont fait naître en elle ce long contact intime avec les interviewées. Les conclusions auxquelles elle arrive sont non seulement pertinentes et inscrites dans la droite ligne de la criminologie critique, mais elles sont, aussi, humanistes. Je vous laisse les découvrir vous-mêmes. Par ailleurs, même si les propositions concrètes qui en découlent n’effacent pas tous les impacts négatifs d’un passage dans le pénal, (pour employer le jargon des criminologues), il n’en reste pas moins qu’elles représentent une bonne base de négociation avec les autorités patriarcales. Celles du système pénal d’abord, afin d’aider les justiciables à reprendre une vie de citoyennes normales après avoir payé leur dette à la société. La société en général, sans doute, tirera, elle aussi, profit de ces brèches pratiquées à tous les niveaux de son organisation et initiées par des femmes qui, comme Monique, ont écouté professionnellement d’autres femmes parler de leurs conditions réelles d’existence.
Judith Dufour – Vasthi