FÊTER?… UNE DÉCOUVERTE OU UNE CONQUÊTE?
Rita Hazel –Myriam
II y a 500 ans, les Européens débarquaient en Amérique. Depuis, nous cohabitons avec les premiers habitants de cette Terre nouvelle… les connaissons-nous?
L’Histoire nous enseigne que lorsque Jacques Cartier accosta en Gaspésie, il y planta aussitôt une croix pour signifier qu’il prenait possession du pays « au nom de Dieu et de son roi ». Mais de quel droit?
Conquérir… dominer… croire à sa suprématie humaine, convertir à sa foi, à ses valeurs, imposer sa vérité, sa morale, mépriser l’altérité, refuser une autre parole…
Comment mieux définir le machisme et le patriarcat? Depuis ma découverte du féminisme, les héros de mon enfance ont bien pâli…
Et les héroïnes?
On m’a mise en garde: « Si tu abordes ce sujet, tu impliques aussi les bâtisseuses de ce pays. »
Les premières femmes de la colonie avaient naturellement été moulées dans la culture et la religion françaises de l’époque, toutes deux déterminées par le patriarcat. Leurs convictions et leur comportement en portaient donc la couleur. D’autre part, celles qui s’embarquaient pour le Nouveau Monde démontraient ainsi une grande soif de liberté et d’aventure, égale à leur courage. Elles ont vite fait éclater certaines contraintes de la « féminité » imposée, jusqu’à devenir, entre autres, de véritables chefs d’entreprise agricole.
Leur engagement dans les oeuvres caritatives, leur influence sociale semblent avoir déterminé le mode même de la colonisation, comme l’a écrit Marie Gratton.
« Si le Québec n’est pas une province comme les autres, si la colonisation telle qu’elle s’est effectuée en Nouvelle-France diffère profondément de ce qu’elle a été en Amérique du Sud par exemple, ou même aux États-Unis (mais pour des raisons tout à fait différentes), on le doit pour une bonne part à l’influence des femmes venues ici au tout début de la colonie. Le rôle important qu’elles ont joué, la mission dont elles s’estimaient investies ont eu des retombées jusqu’à nos jours. Leur héritage s’exprime à travers des valeurs qui ont inspiré nos politiques sociales, conditionné plusieurs de nos choix et fait de nous une « société distincte » qui se reconnaît, par delà tous les accords ou désaccords constitutionnels.1
Et nous, aujourd’hui?
Plutôt facile de blâmer les conquistadors… Sommes-nous exemptes de l’esprit de conquête, ou de cette structure mentale qui rend incapable d’apprendre de l’autre, de la façon d’être de l’autre?
Quelle est notre attitude, par exemple…
… vis-à-vis celles qui refusent de se dire féministes, ou qui se sentent bien à l’aise dans l’Église en tant que femmes? Tentons-nous de les « convertir »?… ou d’enrichir notre propre réflexion par la discussion? Troublante question.
… et vis-à-vis les Amérindiennes? Ne sont-elles pas les plus oubliées de nos soeurs? plus ignorées que les femmes immigrantes? Elles sont pourtant nombreuses à être violentées, pauvres, chargées d’enfants… invisibles parmi nous (même sur la page couverture du présent numéro!). Existerait-il en nous un tout petit reliquat des années 1500?… une indifférence totale (ou presque) pour la culture autochtone?
Les autochtones
Nous sommes nombreuses à refuser de porter la culpabilité des siècles de colonisation, des iniquités commises par des gouvernements que nous n’avons pas élus. Cependant, il nous semble primordial de ne pas contribuer à perpétuer l’injustice.
C’est dans cette optique que nous avons décidé de fêter le 8 mars, cette année, au Mouvement des femmes chrétiennes de Montréal, dirigé par Mme Lilianne Plante. Nous y rencontrerons quelques Amérindiennes, dont Mme Anne Archambault de la nation malécite, en vue de mieux nous connaître et d’établir des liens de solidarité. Déjà, Anne nous a fait découvrir la revue Rencontre dont un numéro récent était entièrement consacré aux femmes autochtones. En voici quelques extraits qui permettent d’évaluer l’étendue de notre ignorance (!):
… Il y a 55 villages amérindiens et inuit au Québec, dont trois sont dirigés par des femmes: un chez les Cris, un chez les Algonquins et un chez les Inuit.
… Environ 15 000 Autochtones, majoritairement des femmes, vivent à Montréal. La métropole est donc « la plus grande réserve du Québec », blague-t-on!
… C’est par centaines que les Amérindiennes quittent leur village ou leur communauté pour s’installer dans les villes:
-Elles viennent soit pour reprendre des études, soit pour se faire soigner, ou pour accoucher, sort pour fuir car « la raison majeure qui semble amener les femmes en ville, c’est la violence et les abus sexuels dont elles ou leurs enfants sont victimes ». (Ce serait le cas pour les deux tiers des femmes qui vont à Québec.) Elles ont alors besoin d’aide pour trouver logement, meubles, carte d’assurance-maladie, etc.
-Dans la seule région de Québec, près de 200 familles amérindiennes attendent un logement convenable. La grande majorité d’entre elles sont monoparentales et dirigées par des femmes. »
… En milieu inuit, « les femmes occupent la plupart des emplois dans les divers services: au CRSSS et dans les centres de services sociaux, dans les hôpitaux et les dispensaires, dans les écoles, les coopératives et les services gouvernementaux. Elles sont aussi présentes en politique, dans les conseils municipaux, à Makivik, à l’Administration régionale Kativik, bien qu’en nombre moins élevé. On les retrouve même dans les métiers moins traditionnels, policières ou gérantes d’hôtel par exemple. » Naturellement, elles s’occupent aussi de la famille et des enfants…
Source: Revue Rencontre, Québec, Vol. 12, No 4, juin 1991.
1 Marie Gratton, « Femmes d’hier -pays d’aujourd’hui », L’autre Parole, no 49, « Les Québécoises et l’avenir du Québec », mars 1991, p. 6.