FRANGINE LARIVÉE : UNE ARTISTE EN «MOUSSE »
Francine Larivée pourrait se définir comme une artiste qui s’est laissé imprégner par la nature sous son aspect végétal.
Dès la fin de son exposition solo La Chambre nuptiale (1976), elle s’est consacrée à sept années de recherche qui ont abouti à une première oeuvre-jardin, soit Enfouissement de traces, Mousses en situation — Test 3. Cette oeuvre fut exposée dans les Silos du Vieux-Port de Québec, lors de l’événement Québec 1534-1984. Son matériau de base, la mousse des bois, l’a amenée à transplanter des mousses vivantes et à préserver leur vitalité durant et après l’exposition. Mais c’était là un défi de taille car les mousses, étant des végétaux fragiles, exigent un « protocole » d’arrosage et d’éclairage précis si on les sort de leur milieu naturel.
Quel objectif poursuivait-elle ? « Faire entrer le spectateur en contact avec sa propre spiritualité, dit-elle, et susciter une réflexion sur les périls menaçant le globe »1.
Or les mousses séchèrent sur place car cette oeuvre végétale aurait nécessité une installation biotechnique, n’existant pas à l’époque. Cela est plus complexe que d’exposer des mousses séchées ou mortes en apparence. Voulant quand même illustrer sa propre démarche écologique,elle recycla une partie de ses mousses mortes dans ses oeuvres subséquentes dont L’Offrande, présentée au Centre international d’art contemporain en 1990, à Montréal.
Suite à cela, elle décida de ne plus utiliser des mousses vivantes à l’intérieur des édifices. Cependant à l’automne 1991, elle revint sur sa décision lorsqu’elle présenta sa sculpture-humidificateur à la galerie Circa de Montréal. Elle avait enfin trouvé le moyen idéal de conserver les mousses vivantes à l’intérieur, soit un brumisateur qu’elle remarqua en visitant des serres en Floride. Ce procédé ingénieux de brumisation permettra de rendre les lieux publics plus vivables, souligne-t-elle. Elle voit le brumisateur comme la fontaine de l’an 2000 : intuition extraordinaire où l’art et la science se rejoignent pour le mieux-être de l’humanité. Il reste à mettre au point les systèmes d’arrosage et d’éclairage dans les édifices publics qui hébergeront des mousses vivantes.
Elle a continué quand même à utiliser des mousses vivantes mais à l’extérieur dont Un paysage dans le paysage, oeuvre permanente installée en 1993-1994 dans les Jardins de Métis.
Pourquoi se passionne-t-elle ainsi pour les mousses ? Son instinct lui souffle que l’eau et le soleil sont aussi bons pour les humains que pour les mousses. Elle suggère de les utiliser comme plantes d’intérieur dans les universités, les hôpitaux et les bureaux. Comme les mousses indiquent par leur fragilité toute anomalie dans la qualité de l’air que nous respirons à l’intérieur des édifices, elles nous serviraient d’alerte à l’air vicié, donc nocif, ajouterais-je à sa suite.
Son souci d’éthique écologique la pousse à ne pas dévaster les mousses des sous-bois et à n’en prélever qu’un petit peu ici et là par respect pour le milieu naturel, très lent à se régénérer.
Toute cette recherche artistique sur les mousses a été rendue possible grâce au programme Recherche et innovation du Ministère des Affaires culturelles. Ce programme fournissait en 1983 un appui financier sur une « étude exhaustive des conditions biotechniques favorables à l’utilisation des mousses, menée avec des consultants »2. Parmi ceux-là, on retrouvait un architecte, des horticulteurs, des ingénieurs, des écologistes et des techniciens.
Par le biais de l’art, cette recherche a permis de montrer la fragilité environnementale de cette modeste forme végétale terrestre, analogue aux algues.
En juin 1995, délaissant les mousses, Francine Larivée poursuit sa démarche d’artiste écologiste en participant au Symposium international de sculpture qui s’est déroulé au parc Marie-Victorin, près du fleuve, à Longueuil. Son oeuvre porte un titre évocateur : Terre gravide…émergence.
FRANCINE DUMAIS, HOULDA
1 Véronique Robert, « Art écolo ou ÉCOLOS ARTISTES ? », L’Actualité^ » avril 1992, p.58.
2 Francine Larivée, « De la mousse, comme une peau sous laquelle toute trace était enfouie, à un art du geste dans le paysage », Revue Quatre-Temps, vol. 19, no 4, hiver 1995, p. 22.