Georgia O’Keeffe, il n’y a pas que les fleurs

Georgia O’Keeffe, il n’y a pas que les fleurs1

Peut-être connaissez-vous Georgia O’Keeffe (1887-1986) par ses toiles aux fleurs immenses : « callas », iris blancs, iris clairs, iris foncés, pavots d’orient rouges, rosés ou blancs, fleurs de magnolia ou de datura, pensées… Est-ce la fleur, la couleur, la lumière ou les formes naturelles qui retenaient son attention et retiennent la nôtre ?

Le Nouveau-Mexique avec ses montagnes, sa lumière si particulière, ses paysages arides, la présence forte des cultures amérindienne et espagnole exerceront sur elle, comme sur bien d’autres artistes, un attrait et une séduction qui lui feront adopter ce coin de pays si différent du reste des États-Unis. Si O’Keeffe découvre le Nouveau-Mexique en 1917, ce n’est qu’à partir de 1929 qu’elle y fera des séjours annuels de trois à six mois et après seulement le décès de son compagnon de vie, en 1949, qu’elle s’y installera en permanence.

Elle avait 23 ans de moins que son mari, Alfred Stieglitz, le célèbre photographe qui fit d’elle l’une des femmes les plus photographiées au monde : photos de ses mains, de son cou, de sa figure et de son corps nu. Un autre photographe reconnu et ami de longue date, Ansel Adams, fit aussi de nombreuses photographies de Georgia de même que Karsh et quelques autres artistes de la photo un peu moins connus. La plupart des livres portant sur l’oeuvre de O’Keeffe vous permettront de découvrir des photos d’une grande qualité esthétique. Élégance, dignité, intériorité, beauté d’un corps habité par l’âme sont autant de caractéristiques des photos de cette femme au regard austère.

Le fait d’avoir côtoyé ces grands photographes a sans doute influencé sa conception de l’art et son choix du gros plan comme technique. Imaginez une toile d’un mètre carré où l’espace est trop petit pour y faire entrer deux fleurs de pavots d’Orient. Remarquez la couleur, la luminosité des lignes courbes ou spirales, du pistil et du stigmate des fleurs. Reconnaissez l’iris dans sa forme stylisée. Toutes ses peintures nous donnent accès à l’essence des choses. Le même phénomène se produit lorsqu’elle peint les montagnes du Nouveau-Mexique ou les gratte-ciel de New York. Partout le souci de l’artiste, en peignant des choses aimées, est de nous faire partager ses émotions en nous laissant soupçonner, à partir de la mise en scène d’un seul segment, le tout envisagé. Les critiques et historiens de l’art affirment qu’elle a réinventé les natures mortes. Sa présentation d’un crâne de vache et d’un pelvis peuvent surprendre au premier abord. Mais, dans un deuxième temps, ça devient presque une abstraction.

En 1946, elle est la première femme à qui le Musée d’art moderne de New York consacre un hommage en organisant une rétrospective de ses oeuvres. Dans les quelques 2000 peintures, que nous a laissées O’Keeffe, où les fleurs sont partout présentes, nous pouvons admirer aussi la majesté des pins du Lac George, certains peupliers près des cours d’eau en bordure du désert ; les gratte-ciel de New York de même que des granges et des étables dont les formes la facinent, des églises et des croix de chemin du Québec qui lui paraissent tellement plus aériennes que celle de sa terre d’adoption. Si elle a peint tant de croix de chemin, c’est qu’elles étaient omniprésentes, à l’époque, tant au Nouveau-Mexique qu’au Québec qu’elle visite en 1932. À la fin des années 20 et au début des années 30, elle peint aussi une église aux perspectives différentes de celles de Assissi Mission Church de San Francisco, un chef-d’oeuvre d’architecture pueblo, construit du temps des Espagnols. Si vous passez à Taos, allez visiter cette église en adobe aux lignes arrondies. Ses formes blanches découpant le ciel bleu vous laisseront émerveillées. Et si vous vous rendez à Santa Fe, ne manquez pas le Musée Georgia O’Keeffe et laissez-vous envoûter par la lumière, les formes, les paysages qui ont marqué cette artiste.

MONIQUE HAMELIN

1 Livres consultés : Benke, Britta. Georgia O’Keefe —1887-1986, Fleurs du désert, Taschen : 2000.
Garden Castro, Jan. The Art and Life of Georgia O’Keefe, The Rivers Press/New York : 1985,1995.
Norman, Dorothy. Alfred Stieglitz, Nouvel Observateur/Delpire, Paris : 1976.
O’Keefe, Goergia. Goergia O’Keeffe, The Viking Press/New York : 1976.
Rennolds, Margaret B. National Muséum ofWomen in thé Arts, Harry N. Abrams, Inc./New York : 1987.
Sills, Leslie. Inspirations Stories About Women Artists, Albert Whitman & Company/Niles, Illinois : 1989.