JARDINER LA PAIX

JARDINER LA PAIX

Léona Deschamps, Houlda

D’entrée de jeu, je salue tous mes lecteurs et toutes mes lectrices avec le mot SHALOM qui signifie « Paix en moi », « Paix sur toi », « Paix entre nous ».  Cette salutation peut à elle seule jardiner la paix au quotidien.

Elle y parvient en décourageant l’agressivité, en prévenant la violence, en dissuadant un conflit d’opinion et en contrant une confrontation de personnes.  Peu à peu, ce SHALOM oriente vers la plénitude de l’être humain.  Mais encore faut-il vouloir de tout cœur cette paix…

Malgré certains échecs, des déceptions et de la lassitude, ne reléguons pas trop vite la paix dans le domaine des utopies.  À l’aube du XXIe siècle, nous pourrions entreprendre le jardinage de plates-bandes de paix avec foi et espérance afin de créer peu à peu un monde pacifique.

Aujourd’hui, mon bref témoignage le démontrera.  Oui, il est possible de récolter des fruits savoureux en jardinant la paix en soi, dans la famille et chez les jeunes.

… En soi

Étant fille de cultivateur, mes souvenirs d’enfance évoquent des moments indescriptibles de liberté et de grande paix vécus dans la nature mais aussi l’apprentissage du respect nécessaire à la survie de chaque espèce d’êtres vivants.

Au fil des jours, acculée à intégrer le clair-obscur de ma vie, j’ai été conviée au jardinage de la paix pour unifier en moi de façon créatrice les tendances dispersées ou contradictoires de mon être et apprendre à régler de façons pacifiques les conflits interpersonnels qui ont ponctué mes diverses relations familiale, personnelle, communautaire et sociale.  Pour ce faire, mon engagement dans la vie spirituelle, mes lectures de témoignages démontrant l’efficacité de la non-violence et ma participation à diverses sessions m’apprirent à jardiner diverses pousses de paix favorables au développement harmonieux de ma vie.  Peu à peu, l’évolution de la densité de mon être apaisé me permit de vivre tous les contretemps quotidiens comme des appels à faire naître de nouveaux surgeons : des regards pacifiques neufs, des langages sans agressivité à inventer, des gestes inédits à poser et des prières pour la paix à intensifier comme à partager.

Au cœur de ma prière nourrie de l’Évangile, j’ai vécu en alternance la foi-confiance qui procure une paix faite de sérénité et d’abandon à la tendresse de Dieu et la foi-croyance en cette Parole incarnée qui dissout les doutes contraires à la vie en plénitude.

Aujourd’hui, je pense que la paix de Dieu, en devenant chair de ma chair, me permet non seulement d’aimer inconditionnellement mais encore de dénoncer dans la société ce qui provoque la violence des unEs et la résignation des autres.  De plus, elle me donne l’audace d’aider certaines personnes à retrouver leur dignité pour développer selon leurs talents de nouveaux jardins de paix.

… Dans la famille

Malgré les ruptures et les blessures familiales de divers ordres, je continue à croire que la famille est le sanctuaire de l’amour inconditionnel propice au jardinage de la paix.

En effet, quand je rencontre  des parents qui s’émerveillent devant leur enfant qui vient de naître, je décode facilement,  dans cet accueil de l’autre avec tout son mystère, la profondeur de leur amour. Certains choisissent l’adoption pour vivre cette expérience de don de soi.  Chez d’autres qui ont dû vivre des séparations, j’ai souvent noté combien de démarches ils ont dû faire pour vivre à l’amiable ces ruptures parfois inévitables et ainsi sauvegarder un minimum de paix nécessaire à la croissance de leurs enfants.

Et que dire de la tendre attention offerte sereinement à un enfant qui vit avec un lourd handicap ? La paix que dégagent ces parents  dans leur passion pour la vie de leur enfant, s’exprime dans un accueil amoureux de chaque parcelle de réussite de leur enfant conduisant à l’expression au maximum de ses possibilités.

Lors des marches organisées pour la paix, j’ai souvent rencontré des familles entières, faisant le parcours avec leurs enfants pour témoigner d’une part de leur foi dans la construction d’un monde sans violence, mais surtout pour entraîner leurs enfants à jardiner la paix.

Dans d’autres familles, je vois la paix se construire, même en période difficile, quand les « Fiche-moi la paix » occasionnels cèdent la place à l’amour qui seul peut favoriser l’épanouissement individuel et collectif de chacun..

Actuellement, quand j’accueille parents et enfants dans les parcours catéchétiques, je me sens en communion avec eux dans la foi en Jésus qui est venu instaurer la paix dans les cœurs et dans le monde. C’est très bon à vivre !

… Chez les jeunes

Au cours de mes quarante années d’enseignement, j’ai développé une pédagogie de l’entraide favorable à la gestion de la paix en classe.  L’implication de tous les élèves à la réussite de chacun générait un climat de justice et de cordialité favorable à la croissance de tous et de toutes.

Actuellement, le « Programme de formation de l’école québécoise », version approuvée 2001 pour le primaire, consacre le  chapitre « Domaine de l’univers social » (p. 163-187) au développement de l’ouverture des élèves à des  valeurs et des  croyances autres  que les leurs pour renforcer les attitudes de respect essentielles à une vie sociale harmonieuse.  Tôt, les jeunes s’initient à jardiner la paix.  Et le programme d’éthique et de culture religieuse annoncé pour l’automne 2008 incitera à développer des moyens de vivre en paix dans un contexte de pluralité de croyances.

Ainsi, peu à peu, les jeunes s’initient aux droits des personnes, à la recherche respectueuse de la vérité à travers l’analyse, le jugement, l’intérêt porté à divers points de vue afin de se mettre en garde contre des préjugés, des jugements globaux ou du racisme.

Longtemps, les thèmes d’ouverture sur le monde proposés par Mond’Ami furent des sources d’inspiration de plusieurs projets éducatifs scolaires typiquement centrés sur l’éducation à la paix au primaire.  En 2002, des élèves de 6e année de l’École des Mélèzes ont publié dans le cadre du dossier « As-tu fait le tour de ton univers ? » un album intitulé « Violence ou paix à l’école … un choix ! » afin de lutter contre la violence physique, psychologique et verbale persistante dans leur milieu.  À l’école de mon quartier, cette année, les élèves du primaire exploitent un ancien projet  de Mond’Ami « La paix : un art de vivre » afin de réagir aux conflits quotidiens et devenir des jeunes plus pacifiques.

De plus, à l’automne, 70 jeunes de la 6e année du primaire, que j’ai inscrit dans des parcours catéchétiques en paroisse, ont réfléchi avec leurs parents sur le thème « La guerre ou la paix !  Un problème planétaire à résoudre » développé dans leur manuel « Libre et responsable » (Fides, Médiaspaul, 2005).  Après réflexion, on admit que le meilleur moyen de résoudre des conflits était de jardiner efficacement la paix, en développant des attitudes d’ouverture, d’écoute, de dialogue, de justice, de respect et de confiance les unEs envers les autres.

Dans les diverses catéchèses, la prière attribuée à François d’Assise : « Seigneur, fais de moi un instrument de paix » s’avère toujours une supplique appréciée des jeunes.  Ceci manifeste bellement leur désir de s’engager à jardiner la paix.  Cette intercession du cœur les stimule à respecter leur vie et celle des autres, à libérer leur générosité et à réinventer la solidarité dans le quotidien.

…Vers un jardinage mondial de la paix

Le jardinage mondial de la paix promu dans la Charte mondiale des femmes pour l’humanité stimule et confirme l’importance du jardinage de cette valeur en soi, dans les familles et chez les jeunes en laissant entrevoir qu’un autre monde s’avère possible.

Avec clarté, cet autre monde plus pacifique m’est apparu en 2005, quand  les 5500 groupes de 163 pays et territoires se sont engagés dans la Marche mondiale des femmes.  Des millions de personnes furent alors sensibilisées aux six affirmations de la valeur paix proposée par la Charte mondiale des femmes pour l’humanité.

Dans le quotidien, ces affirmations m’offrent un éventail de suggestions touchant le jardinage des plates-bandes de la paix, comme la recherche de l’égalité entre les sexes, le respect de la diversité, la promotion de la négociation pour en arriver à des solutions pacifiques, justes ou équitables en cas de conflits.

Puissions-nous, à l’exemple de Jésus, maintenir notre audace de jardiner la paix, à temps et à contre temps pour la survie de l’univers.  N’a-t-il pas, il y a 2000 ans, jeté une semence inédite de paix dans notre humanité ?