JE SUIS D’UNE GÉNÉRATION « DE SACRIFICE »

JE SUIS D’UNE GÉNÉRATION « DE SACRIFICE »

Mirela Anghel – Roumaine

de religion catholique orthodoxe

ayant le statut de réfugiée au Québec.

Se dire catholique dans un pays où les citoyens sont orthodoxes à 80%, ça demande des explications.

Un brin d’histoire…

Pour les Roumains, l’attachement à la religion orthodoxe va de pair avec la lutte contre les pouvoirs étrangers. L’Église orthodoxe a fait office de refuge et de forteresse face aux offensives de l’islam et du catholicisme. De par sa position géopolitique, la Roumanie a dû, en effet, se constituer en bastion de résistance contre l’Empire ottoman et l’Empire russo-soviétique à l’Est, et, à l’Ouest, contre la domination de l’Autriche-Hongrie. Cette dernière puissance contrôlait la Transylvanie où vivaient les Roumains, menaçant leur identité et les contraignant à abandonner langue maternelle et traditions religieuses.

Au plan religieux, la Roumanie se trouvait donc confrontée, d’une part, au catholicisme du pouvoir austro-hongrois et, d’autre part, à la puissante tradition orthodoxe de Byzance. Un compromis s’est fait: les Roumains de Transylvanie acceptent le catholicisme, mais ils gardent la liturgie byzantine. Ainsi est née l’Église gréco-catholique de Roumanie ou Église unifiée si admirablement dévouée à

incarner les aspirations nationales des Roumains. Des hommes politiques (dont Juliu Manu) et les membres du clergé de cette Église ont beaucoup fait pour la cause nationale. Des prêtres et des évêques on t subi le martyre dans les prisons politiques où les enfermèrent les communistes et où fut exterminée l’élite du royaume de Roumanie à la suite de la deuxième guerre mondiale. Voilà pour l’histoire.

Mon appartenance à la tradition orthodoxe

En ce qui me concerne, j’ai été baptisée en secret par un prêtre à la retraite, qui se cachait sous un faux nom pour éviter d’être poursuivi et emprisonné, parce que l’Église unifiée avait été déclarée illégale par les communistes athées. J’ai grandi dans le respect et l’admiration pour la grande tradition orthodoxe. Sans être une croyante pratiquante – car je suis d’une génération « de sacrifice » à laquelle on donna une éducation athée – , je suis fort attachée aux traditions religieuses orthodoxes. Ces dernières, je l’ai dit, se sont confondues avec les traditions culturelles. Elles ont donné forme à d’impressionnantes fêtes folkloriques qui marquent les grands moments du calendrier chrétien-orthodoxe.

Mes deux enfants, baptisés dans l’Église orthodoxe, portent les noms significatifs d’André, en l’honneur de l’apôtre qui a fait les premiers disciples chrétiens en territoire roumain et de Matei ou Mathieu, l’un des quatre évangélistes.

Ici, à Montréal, je fus heureuse de trouver quelques communautés orthodoxes, regroupées autour de petites églises qui, même si leur architecture n’a rien de spécial (quelques-unes sont abritées dans des annexes d’églises catholiques) demeurent, pour les immigrants de l’Europe de l’Est, un lieu privilégié de rencontre. Je suis contente, comme chrétienne et comme roumaine, vivant loin de son pays d’origine, de refaire contact avec des traditions qui m’apportent un soutien au plan spirituel et me rappellent mon identité.

Caractéristiques de la tradition orthodoxe

Les limites, en ce qui concerne ma religion, je crois qu’elles viennent, paradoxalement, de ses qualités spécifiques. L’accent y est mis sur la perception humaine de la transcendance et, surtout, sur la tolérance dont fait preuve l’Église orthodoxe à l’endroit de ses sujets qu’elle estime capables de trouver par eux-mêmes le droit chemin et la « vraie croyance » grâce à la purification et à la métamorphose spirituelles. Cette tolérance de l’Église orthodoxe – celle de Roumanie tout particulièrement – si propre à l’esprit souple et raffiné de Byzance lui a fait oublier de consolider son pouvoir, comme sa soeur occidentale, l’Église catholique romaine. Ainsi, beaucoup de gens ont pu reprocher à l’Église orthodoxe roumaine son manque d’organisation et son incapacité à combattre la souffrance, la pauvreté et la misère.

Le hiératisme (fixité rituelle de la liturgie) est une autre caractéristique de la religion orthodoxe. Pour la plupart des jeunes gens, le message religieux reste incompréhensible à moins qu’il ne s’accompagne d’une préparation spirituelle et culturelle appropriée. Aussi, l’ignorance est-elle la cause principale de l’éloignement de plusieurs fidèles de leur propre tradition pour rejoindre l’une des nombreuses sectes qui pullulent en Amérique.

L’Église orthodoxe de Roumanie fournit un émouvant exemple de la capacité des gens de ces pays de l’Europe de l’Est de se regrouper autour d’une Église nationale pour résister au virus athée et pour combattre la maladie sociale causée par 70 ans de présence communiste. Pendant les événements de 1989, bien des gens, se sont comportés comme des héros dignes des premiers martyrs chrétiens en manifestant pendant des semaines, des icônes à la main, et en criant: « Nous mourrons et nous serons libres ». C’est le cas également de la Pologne catholique.

Catholique orthodoxe et immigrante

Vivre à l’intérieur de mes traditions religieuses « en femme égale et engagée… » c’est possible. L’esprit élevé de ma religion et la tolérance dont elle fait preuve font qu’aucune restriction n’est imposée aux femmes.

II m’est, par contre, plus difficile de me réaliser comme immigrante au Québec être égale, engagée et autonome exige la possibilité d’exercer un métier Or c’est bien connu I équivalence d’un diplôme ne donne pas le droit à l’exercice d’une profession On est donc obligé de refaire des études pour passer les examens des ordres professionnels (celui des architectes, dans mon cas) tout en acceptant en même temps n’importe quelle tâche comme travail.