JEANNE LE BER, RECLUSE DE VILLE-MARIE 1662-1714

JEANNE LE BER, RECLUSE DE VILLE-MARIE 1662-1714

Yvette Laprise – Myriam

S’il vous a été donné de visiter la crypte de l’ancien cimetière de la Congrégation de Notre-Dame situé derrière l’actuelle maison-mère de cette communauté, vous avez pu lire sur une plaque de marbre: « Ci-Gît Jeanne Le Ber, Bienfaitrice de la Congrégation de Notre-Dame de Montréal, Recluse 20 ans dans la retraite qu’elle s’était faite ici. Décédée le 3 Octobre 1714, à l’âge de 52 ans. »

Cette femme de chez nous, qui a passé les vingt dernières années de sa vie complètement retirée du monde, dans un petit appartement attenant à la chapelle de la Congrégation de Notre-Dame, quel héritage nous a-t-elle laissé? a-t-elle un message à nous transmettre?

Née d’une famille des plus prospères et des plus respectées de la Nouvelle-France, ayant vécu parmi les premiers colonisateurs de Ville-Marie, Jeanne Le Ber symbolise de façon impressionnante ce que l’on a appelé « l’épopée mystique de Montréal ». Rien d’extraordinaire dans la vie de cette femme, pourtant considérée comme l’une des figures les plus étonnantes et les plus fortes de la Nouvelle-France, si ce n’est la modalité exceptionnelle dans laquelle elle vécut.

Ayant refusé une demande en mariage et ne se sentant attirée par aucune des congrégations religieuses alors présentes, Jeanne choisit une vie de réclusion perpétuelle. Sur la porte de sa cellule, on pouvait lire: « C’est ici ma demeure pour les siècles des siècles. J’y demeurerai parce que je lay choisy. » Alors que ses compatriotes, en proie aux assauts constants des Iroquois et des invasions anglaises, devaient s’ingénier à se défendre, la recluse de Ville-Marie n’avait qu’une seule arme: sa foi totale en Dieu. Telle Geneviève veillant sur Paris, elle intercédait pour les habitants de sa ville. Aussi dans tous ses besoins et ses détresses, le peuple de Ville-Marie avait-il recours à son intercession.

Durant toute sa réclusion, Jeanne a partagé sa vie entre la prière et le travail. Austère pour elle-même, elle n’acceptait que des vêtements usés et confectionnait ses propres souliers en paille de blé d’Inde. Ses repas se résumaient à du bouilli le midi et une soupe le soir. Son silence était strict. Elle ne communiquait que par des billets déposés sur son guichet. Comment l’enfant volubile qu’elle était a-t-elle pu contenir pendant tant d’années le flot intarissable de ses paroles sinon par un dialogue constant avec Dieu? En plus de l’Eucharistie, qu’elle appelait sa « pierre d’aimant », elle se nourrissait si bien de la Parole divine qu’elle savait presque par coeur les psaumes et le Nouveau Testament.

Outre la prière contemplative, la recluse de Ville-Marie s’adonnait aussi aux arts qu’elle avait appris durant son pensionnat chez les Ursulines: couture, tricot, broderie, dessin, calligraphie… Au dire de M. de Belmont, « Jeanne se fit une main si savante en broderie qu’elle charme non seulement les coeurs mais aussi les yeux. » Après sa mort, elle aura fourni toutes les paroisses d’alors en chasubles, devants d’autel et autres ornements liturgiques. Quelques-unes de ces pièces sont conservées au Centre Marguerite Bourgeoys à la maison-mère des Soeurs de la Congrégation de Notre-Dame, où l’on peut encore les admirer.

Mystique et artiste, Jeanne est aussi bienfaitrice. Grâce à ses dons, plusieurs petites filles amérindiennes seront instruites gratuitement.

À la fin de septembre 1714, Jeanne, frappée d’une « oppression de poitrine » au pied du Saint-Sacrement, rendra bientôt son âme à Celui qui l’avait séduite dès sa jeunesse. « L’odeur de sainteté dans laquelle est morte cette grande servante de Dieu a été suivie d’une confiance générale de tout le peuple à son intercession. » Femme de chez nous, laïque, vouée radicalement à Dieu comme recluse au coeur de la cité, Jeanne porte toujours devant Dieu l’appel de l’humanité et de l’Église. En ce 350e anniversaire de fondation de Ville-Marie, elle continue de veiller sur sa ville.

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En novembre dernier, à la demande de l’Archevêque de Montréal, on a procédé à l’ouverture d’un tombeau dont les restes pourraient appartenir à la célèbre recluse. « Il y avait dans le tombeau, rapporte l’un des témoins, une bouteille contenant un message, devenu malheureusement illisible. » Que disait-il? Qu’avait-il à nous révéler? Nous ne le saurons sans doute jamais. À chaque lectrice et lecteur de le reconstituer selon ses propres fantasmes. Le silence que Jeanne a su si bien garder durant sa vie ne sera donc pas rompu après sa mort…

Texte inspiré de « Jeanne Le Ber, recluse de Ville-Marie », en coll.