LA CHRONIQUE DE MARTINE

Les menstrues, de Marie à nous

Martine Lacroix, groupe Phœbé, L’autre Parole

Marie était-elle menstruée ? Si elle a accouché de Jésus, Marie avait vraisemblablement des règles… comme nous toutes ! Plusieurs religions ont pourtant considéré les menstruations comme une forme de souillure. Au banc des accusées figurent entre autres l’islam, le christianisme et le judaïsme.

« La femme qui aura un flux, un flux de sang en sa chair, restera sept jours dans son impureté. » Ces lignes connues par plusieurs initié·es du domaine religieux sont tirées du Lévitique, soit l’un des livres de la Torah. Quant à la Bible, le récit le plus célèbre en cette matière serait celui d’une femme  qui  saignait  depuis 12 ans. En plus de ce calvaire physique, l’hémorroïsse subis- sait un chemin de croix psychologique puisqu’elle était mise à l’écart de la commu- nauté. Par chance, Jésus l’a guérie. C’est-y pas beau cette histoire-là ? Peut-on pousser plus loin un bref essai sur le statut des menstruations à l’époque biblique ? Peu d’informations sont dispo- nibles à ce sujet. Il est toutefois permis d’imaginer que la maman de Jésus qui discutait avec ses copines ne parlait pas de la pertinence d’employer ou non le terme « personne menstruée ».

Avant de lapider les religions qui concevaient les menstruations comme impures, un brin de réflexion s’impose. Répondons avec honnêteté à la question suivante : les sociétés dans lesquelles nous évoluons sont-elles à l’aise avec les menstrues ? Dans un article publié par Montréal en santé au printemps 2019, on apprenait que « selon une enquête réalisée par NewsWire en 2017, les milléniaux […] rapportent le plus haut niveau de dégoût et de honte envers la semaine du mois ». Plutôt inquiétant, non ? Cette génération représentant l’avenir va-t-elle contribuer à reproduire les tabous qui sévissent aux quatre coins du globe envers les menstruations ? Autre exemple de malaise ? Quelle couleur est le sang qui s’écoule, ou s’écoulait, de votre vagin ? Rubis. Pourquoi alors le sang menstruel représenté dans les publicités de produits sanitaires a-t-il souvent été… turquoise ?

La saga de l’émoticône menstruations est-elle parvenue à vos oreilles ? En 2019, le consortium Unicode a dévoilé un émoji sur les menstruations, soit une simple goutte de sang. Des organismes rêvaient cependant d’une émoticône un peu plus révélatrice comme une p’tite culotte tachée de sang !

Que penser du discours vert mené tambour battant par Greta Thunberg et par ses émules à travers le monde ? Suis-je la seule à m’étonner de leur discrétion quant aux dommages causés par les produits menstruels jetables ? Faut-il rappeler qu’une personne qui les emploie en jette entre 10 000 et 15 000 dans l’environnement au cours de sa vie ? En juin 2019, paraissait dans le Journal de Montréal un reportage sur les effets néfastes du plastique sur notre planète. Parmi les produits qu’il fallait interdire le plus rapidement possible selon les scientifiques figuraient les applicateurs de tampons. Pourtant, c’est du bout des lèvres que l’on aborde ce sujet lors des manifestations promulguant l’écoresponsabilité. Cela s’explique-t-il uniquement par la crainte de culpabiliser les utilisatrices de Tampax, Kotex et compagnie ? Ne serait-ce pas plutôt la gêne qui subsiste envers les menstruations ?

Finalement, jasons 28 mai ! Ne vous faites point hara-kiri si vous ignorez que cette date correspond à la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle. Le chiffre 28 évoque le laps de temps qui s’écoule entre les cycles. Quant à mai, il a été choisi parce qu’il s’agit du cinquième mois de l’année et que la période menstruelle dure environ cinq jours. Cette journée existe depuis 2014. En avez-vous entendu parler souvent dans les médias ? Est-il nécessaire de rappeler que les menstruations touchent pourtant toutes les personnes qui sont nées dans un corps de femmes, cela, depuis les débuts de l’humanité ?

Le 28 mai 2023, j’avais une bonne raison de me réjouir. Militante depuis des décennies pour la cause menstruelle, j’avais soumis une proposition sur la précarité menstruelle à la Fédération des femmes du Québec. Le 17 février 2023, après moult débats, elle fut adoptée. Youpi ! Par contre, au pays de la fleur de lys, nous avons remplacé « hygiène menstruelle » par « santé menstruelle », car selon certaines femmes, le terme « hygiène » donnait l’impression, une fois encore, que les menstruations sont sales.

Le 28 mai, comme j’étais fière de participer à cette première célébration publique de la Journée de la santé menstruelle organisée par le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale nationale. Notre coup d’éclat a eu lieu dans le Vieux-Québec, près des fortifications. On l’avait annoncé largement dans les médias virtuels, traditionnels et autres. De plus, on avait envoyé une lettre ouverte adressée à la ministre responsable de la condition féminine. Pas moins de 210 organisations en étaient signataires ! Grosso modo, on demandait à Martine Biron de « mettre les menstruations au cœur du débat public, de les normaliser afin de créer un environnement favorable à leur vécu ». Combien étions-nous lors de ce rassemblement tenu sur la Place d’Youville ? Une douzaine de participantes ont pris la parole et approximativement une trentaine de personnes, tout au plus, nous écoutaient devant les marches du Palais Montcalm. C’était un dimanche et le soleil nous bénissait de sa chaleur. Comment ne pas y voir une autre preuve que les menstruations dérangent toujours… même en 2024 ?

Ne nous répète-t-on pas qu’il faut voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide ? Depuis que plusieurs municipalités du Québec offrent des subventions aux personnes désireuses de se procurer des produits menstruels durables, on cause davantage menstrues dans l’espace public. Eh oui, lorsque la créature politique a osé poser un regard plus ou moins attentif sur les menstruations, comme par magie, leur importance semble avoir crû.

Les subventions, c’est bien ! La gratuité, c’est mieux ! Mille mercis à l’ancienne première ministre d’Écosse, Nicola Sturgeon, d’avoir instauré la gratuité des produits menstruels sur son territoire en août 2022. Une sorte de plafond de verre n’a-t-il point été franchi à ce moment ? L’expression « précarité menstruelle », tout doucement, a commencé à prendre sa place dans notre discours. Il était temps ! Est-ce normal que des jeunes filles, surtout des Africaines, ne puissent se présenter en classe parce qu’elles n’ont pas de produits menstruels ? Pas trop loin de chez nous, des femmes sans domicile fixe en sont réduites à bourrer leur sous- vêtement de serviettes de table, gracieuseté des chaînes de malbouffe, parce qu’elles n’ont pas accès à des produits menstruels. Dans une société riche comme la nôtre, comment ne pas s’indigner que certains organismes qui viennent en aide aux femmes en situation de vulnérabilité se retrouvent quelquefois dans l’incapacité de répondre à la demande de produits menstruels ? Ouf ! On commence toutefois à remédier à la situation. Un peu partout, des organismes sollicitent des dons en argent ou en produits menstruels afin de répondre à ces besoins. J’ai moi-même participé à des collectes du genre. Dans certains États comme l’Espagne, le Japon ou l’Indonésie, on instaure des congés pour celles qui souffrent de règles particulièrement douloureuses.

En décembre 2020, Catherine Fournier, alors députée indépendante, avait fait adopter à l’unanimité une motion sur la gratuité des produits menstruels dans les établissements publics. Même si un pas a alors été franchi, au Québec, la cause menstruelle fait figure de queue de train plutôt que de locomotive. Aux dernières élections provinciales, quelques formations politiques ont évoqué la précarité menstruelle dans leur programme. La plus sérieuse d’entre elles était Québec Solidaire. Qu’en est-il du parti actuellement au pouvoir ? Brillaient par leur absence toutes références aux produits menstruels dans la plate-forme électorale de la CAQ.

Comme pour l’ensemble des revendications féministes chrétiennes, les appuis comptent tous pour faire avancer les droits des personnes menstruées. Imaginez si Barbie mettait sa popularité ressuscitée au service des menstrues…