LA CHRONIQUE DE MARTINE De pro-vie à pro-choix. Pourquoi ?

De pro-vie à pro-choix. Pourquoi ?

Martine Lacroix

L’autrice de ces lignes a déjà été pro-vie ou anti-choix, c’est selon. Mon petit doigt me dit que vous allez parcourir cette chronique en fronçant les sourcils. Si vous étiez déjà pro-choix dans le ventre de votre génitrice, la sensibilité contenue dans ces lignes risque de vous tomber sur les rognons. Et si vous êtes de l’autre côté de la clôture, soit pro-vie, le mot traîtresse vous trottera peut-être dans le ciboulot.

 

Transition de pro-vie à pro-choix

Qu’est-ce qui me motivait à me définir comme pro-vie ? Le désir de sauver des fœtus ! Avec toute ma candeur, je songeais qu’il valait mieux poursuivre une grossesse non désirée afin de secourir des couples pour qui la reproduction paraissait un rêve impossible. Un jour, je me suis toutefois posé la question suivante : me retrouver avec un pain au four, confrontée à la perspective de cet événement malheureux à mes yeux alors qu’il devrait être supposément heureux, aurais-je le courage de mener ma grossesse à terme dans le seul but de donner l’enfant en adoption ? Non. Même si l’interruption volontaire de grossesse demeure à mon sens un acte empreint de tristesse, je crois maintenant qu’il vaut parfois mieux interrompre une grossesse pour le bien-être des personnes concernées.

Telle une paire de chaussures neuves, je trouvais toutefois mon changement de position un peu inconfortable. Mes nouvelles pompes enfin cassées, je me suis finalement sentie capable de militer pour le droit à l’avortement. J’ai d’ailleurs participé à quelques manifs, dont l’une est demeurée tatouée dans ma mémoire. Des dizaines de personnes vêtues de noir, inertes sur le bitume au cœur d’une place publique de la métropole et dans nos mains… un cintre ! Les conditions inacceptables et dangereuses dans lesquelles certaines femmes ont avorté, avortent et avorteront encore dans le futur, voilà ce qui a blindé mes convictions quant à l’IVG. Par contre, m’habite toujours un élan de tendresse envers ces femmes qu’on appelait entre autres les « faiseuses d’anges » et qui ont tenté, depuis l’Antiquité, d’en aider d’autres avec les moyens du bord. Eau de javel dans l’utérus ou instrument pointu, peut-être mal stérilisé, enfoncé dans le liquide amniotique, rien de moins. En mai dernier, La Presse nous informait de ce cas d’avortement clandestin pratiqué au Québec par un préposé aux bénéficiaires. L’objet employé… des brochettes à barbecue ! En plus de la crainte d’être pointées du doigt comme des sorcières ou conduites devant les tribunaux, la culpabilité ressentie par ces femmes devant les séquelles mentales et gynécologiques permanentes infligées à une autre femme (sans parler de sa mort), devait être insoutenable.

Expérience de Véronique Pronovost
au sein d’organismes antiavortement états-uniens

Si j’ai déjà été impliquée dans des activités pro-choix, je ne me souviens pas d’avoir trempé dans la mouvance pro-vie. Il faut dire que les adeptes de l’anti-choix font plutôt preuve de discrétion sur le sol fleurdelisé. N’empêche que connaître le mode de fonctionnement de ces regroupements a souvent piqué ma curiosité. Le 6 juin 2024, j’ai eu quelques éclaircissements en assistant à la présentation de Véronique Pronovost, doctorante en sociologie et études féministes. Cette pseudo-Mata Hari a réussi à infiltrer des organismes pro-vie chez nos voisins du Sud, plus précisément en Floride. En humble Madame Tout-le-Monde moyennement informée sur le sujet, j’ai appris certaines choses. Par exemple, un flou artistique entretenu volontairement entoure souvent ces groupes. Avance-t-on vers les femmes concernées avec de gros sabots en leur interdisant d’avorter ? On les aborde plutôt sur la pointe des pieds, en évoquant parfois de l’aide à la grossesse… Et devant celles qui ont eu recours à la pilule abortive ou ont écarté leurs jambes sur une table d’opération afin d’obtenir le même résultat, l’esprit chrétien ne semble pas toujours au rendez-vous. Selon Mme Pronovost, on irait même jusqu’à culpabiliser les femmes qui ont déjà avorté en leur demandant d’écrire une lettre de pardon à leur fœtus…

Au cours de ce webinaire, on nous a aussi sensibilisées au fait que, parmi les femmes qui se tournent vers ces organismes à tendance conservatrice afin d’obtenir du secours, les immigrantes s’avéraient parmi les plus vulnérables. Seules et démunies sur une terre étrangère peut-être hostile, des SOS qui scintillent dans leurs prunelles, elles s’accrochent alors à la première bouée de sauvetage qui s’offre à elles.

La mention d’un flirt entre le militantisme pro-vie et celui pro-armes, voilà cependant l’information qui m’a scié la banane. Ce mouvement reproche aux femmes qui choisissent d’avorter de tuer des êtres humains, tout en défendant sans scrupules des machins qui n’ont qu’un rôle… tuer !

Dieue, pro-vie ou pro-choix ?

Les grenouilles de bénitier, comme on qualifie parfois les âmes qui, en plus de croire, pratiquent leur religion, font-elles figures d’hérétiques si elles avouent être pro-choix plutôt que pro-vie ? Selon la Bible, uniquement Dieue possède le droit de vie ou de mort sur nous. Permettez-moi toutefois d’emprunter les mots d’un homme fort célèbre en matière d’IVG, soit le docteur Henry Morgantaler. Et si le fœtus n’était pas un être humain mais plutôt « un être humain virtuel » ? Précisons toutefois que le controversé monsieur était athée…

Comme vous le savez, ce ne sont pas toutes les religions qui s’opposent à l’avortement. Contrairement au catholicisme, plusieurs instances réformées laissent aux femmes la responsabilité de disposer de leur corps à leur guise. Ouf !

Si l’on perçoit Dieue comme pro-choix plutôt que pro-vie, ne faut-il pas se résoudre à monter aux barricades ? Les marches, vigiles, manifs de tout acabit visant à défendre l’accessibilité à l’avortement ne représentent point un phénomène en voie d’extinction. Un peu partout sur la planète, le droit à l’IVG est menacé, puisque les gouvernements de droite poussent comme de la mauvaise herbe. Droite et liberté des femmes font-elles bon ménage ? Allons-y d’un exemple ! La première ministre italienne s’est opposée à la formulation du droit à l’avortement dans les engagements pris par le récent G7. Devant Giorgia Meloni, des hommes tels Joe Biden et Emmanuel Macron défendaient farouchement ce droit. Parlant de nos cousins de l’Hexagone, coup de chapeau à la France, laquelle est devenue le premier pays au monde à inscrire « la liberté garantie au droit à l’IVG » dans sa Constitution. J’arrête ici. Pourquoi ne pas finir ce texte sur une note positive…