La COVID-19 : un virus révélateur des mêmes misères

La COVID-19 : un virus révélateur des mêmes misères

Carmina Tremblay[1], Bonne Nouv’ailes

Après le beau discours du début sur les joies et les vertus du confinement, on a vite fait de constater que le virus, en plus d’être un nouvel ingrédient qui s’ajoute à tous les maux qui affligent l’humanité, n’est qu’un révélateur de plus, des injustices, des inégalités et des incohérences qui jalonnent notre société.

Pourtant, depuis longtemps, les femmes s’évertuent à vouloir corriger ces inégalités et ces incohérences. Mais bien évidemment, on ne les écoute pas : ce ne sont que des femmes après tout ! Comment osent-elles penser que leurs analyses, leurs propositions, leurs suggestions, leurs gestes, leurs actions, leurs valeurs pourraient changer les choses ?

Heureuses les femmes, qui n’ont pas attendu l’apparition d’un virus pour vouloir changer les choses.

Heureuses les femmes qui n’ont pas attendu l’apparition d’un virus pour organiser la Marche du pain et des roses et les Marches mondiales des femmes pour manifester leur entêtement à vouloir changer les choses.

Malheureux ceux et celles qui leur mettent des bâtons dans les roues quand les femmes veulent changer les choses.

Un système de santé déficient

On le savait déjà, il y a des déficiences dans notre système de santé.

Cependant, ce système de santé publique est un choix de société que nous avons fait ensemble il y a plus de 60 ans et à plusieurs reprises déjà les femmes sont descendues dans la rue pour le sauvegarder.

Mais, comme toujours, on ne les a pas écoutées. Nos gouvernements ont plutôt implanté les « PPP », ces partenariats public-privé, et coupé dans les ressources humaines et matérielles de ce qui restait public.

Quel système ne deviendrait pas déficient et non fonctionnel quand les ressources humaines et matérielles sont manquantes ?

Les résidences pour personnes âgées (RPA)

Notons d’abord que les résidences pour personnes âgées ne font pas uniquement partie du système de santé : elles font aussi partie d’un mode de vie que nous nous sommes donné comme société. Les personnes âgées, qui font l’objet d’un regard particulier en ce temps de pandémie, assument d’ailleurs plutôt bien ce choix de société, avec ces bons et ces mauvais côtés, et elles en ont plutôt marre d’avoir les caméras braquées sur elles.

Ajoutons que la majorité des personnes qui vivent en résidence ont bel et bien choisi d’y vivre et s’y trouvent plutôt bien. Parfois, elles étaient tout simplement tannées de cuisiner, n’avaient plus le goût de s’occuper de la tenue d’une maison ou d’un appartement ou désiraient tout simplement se reposer… même au risque d’être tannées de se reposer ! D’ailleurs, la majorité, en résidence ou non, ne se contente pas de se reposer ; elle continue d’être active dans des activités diverses : soutien à leurs enfants dans le soin des petits-enfants, bénévolat, loisir, militantisme, etc.

Souvent, ce choix d’aller vivre en résidence est motivé par le fait de procurer plus de tranquillité d’esprit à leurs enfants.

Il est vrai que certaines d’entre elles auraient préféré revenir au temps béni où les enfants gardaient et prenaient soin de leurs vieux parents. Mais c’est oublier que cette heureuse époque comprenait aussi son lot d’infortunes dont la plus connue est celle des brus qui menaient une vie de martyre sous la bienheureuse surveillance de leurs beaux-parents qui n’en avaient que pour leur fils adoré et qui était ben mal marié… le pôvre! De nombreux abus ont aussi été commis sur des petits-enfants par leurs grands-parents bien-aimés qui n’étaient pas toujours si bien-aimés que ça.

Les CHSLD

Les CHSLD, ces centres d’hébergement et de soins de longue durée, ne sont rien d’autre que des résidences-hôpital pour malades chroniques de tous âges ou lourdement handicapés. Rien d’autre, mais tout ça ! Qui d’entre nous veut — et peut surtout — car cela demande la plupart du temps des conditions matérielles spéciales — garder ces êtres chers à la maison même avec la meilleure volonté du monde et en plus, avec des services à domicile réduits. Déficit zéro oblige bien entendu sauf pour la guerre ! Là, il y a toujours assez d’argent. Mais pour la santé et l’éducation, il faut toujours faire face au déficit zéro et réduire les dépenses en faisant appel, entre autres, aux services privés. Oh ! Le privé ! Quelle belle solution ! Comme ça coute plus cher, ça va sûrement être plus efficace ! On a vu les résultats quand les portes des CHSLD se sont ouvertes avec l’apparition du virus. Le but d’une entreprise privée c’est de faire du profit (et ça, c’est ben correct… faut ben gagner son pain…). Ce qui est incorrect c’est de faire son profit sur le dos de personnes vulnérables et souvent de populations entières comme le font nos belles compagnies minières canadiennes dans les pays du Sud.

Pourtant, plusieurs fois déjà au cours des dernières décennies les femmes sont descendues dans la rue pour dire «Non à la privatisation des soins de santé » et « Oui à la vie avant le profit ».

Les femmes devront-elles reprendre la rue pour exiger à nouveau, avec l’espoir d’être entendues cette fois, que le système de santé se refasse une santé ? Surtout dans un pays comme le nôtre où on n’a aucune raison de ne pas le tenir en santé ! Faut juste faire comprendre au gouvernement qu’il doit cesser d’écouter les personnes sérieuses… vous savez, celles qui, comme dans Le Petit Prince[2] vivent sur des planètes de businessman[3], et qui gèrent, et qui comptent, et qui recomptent, et qui sont des hommes sérieux, quoi ! Et qui ne s’amusent pas à des balivernes ! Comme refaire une santé au système de santé !

Les grandes personnes aiment les chiffres. […] Si vous dites aux grandes personnes : « J’ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit… » elles ne parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leur dire : « J’ai vu une maison de cent mille francs. » Alors elles s’écrient : « Comme c’est joli ! »[4]

Effectivement, on a bien vu qu’une résidence privée à 10 000 $ par mois, c’est beaucoup plus joli qu’une résidence gouvernementale ou un OSBL !

Les personnes vulnérables

Il a été établi dès le début de la pandémie que les personnes âgées et celles présentant une multitude de problèmes de santé étaient plus sujettes aux complications liées à la COVID-19 et risquaient d’en mourir. Dans les CHSLD, là où il y a une concentration de personnes âgées à la santé précaire, les risques étaient grands d’y retrouver plus de victimes qu’ailleurs.

On se plait généralement à associer les personnes vulnérables et les personnes âgées. Or, il m’apparait que les enfants sont autrement plus vulnérables que les personnes âgées. Au moins, ces dernières ont eu la chance de voir venir — ou revenir — leur vulnérabilité. Si elles n’ont jamais pris conscience que celle-ci allait revenir et que peut-être il fallait s’y préparer, à qui la faute ? La question reste ouverte et je n’ai pas l’intention d’y répondre. Ce n’est peut-être même pas une bonne question…

Par ailleurs, il me semble bien évident que les enfants sont, par essence, même dans les meilleures conditions, des êtres vulnérables, et qu’on a peine à prendre la chose au sérieux. Il est presque toujours trop tard — le mal est déjà fait — quand on prend la chose au sérieux. Et cette période de pandémie n’a pas échappé à l’habitude.

Lors de la première vague de la pandémie, après avoir fermé les écoles et les garderies (on se demande d’ailleurs pourquoi puisqu’il a été établi dès le début que le virus tuait surtout les personnes âgées et celles à la santé précaire), on a pensé, un peu tard comme d’habitude, que des enfants confinés 24 heures sur 24 avec des parents, souvent dépassés par les évènements, étaient peut-être en train de subir des dommages collatéraux ! C’est comme si on avait oublié, que même en période de pandémie, il n’y a pas que le virus qui peut vous tuer ou vous rendre malade. Le confinement à plusieurs dans des espaces déjà trop petits, dans la pauvreté, avec des parents aux prises avec des problèmes de santé mentale et de violence, ça peut aussi vous tuer. Mais on n’en a eu que pour le virus et les personnes âgées(pendant un bon bout de temps en tout cas), comme si le reste de la population n’était pas, elle aussi, touchée par l’apparition du virus.

Parmi les personnes vulnérables, il convient aussi de mentionner les personnes handicapées et les parents aux prises avec des enfants lourdement handicapés. On ne cesse d’encourager ces parents à garder leurs enfants à la maison — d’ailleurs c’est ce que la plupart d’entre eux souhaitent — mais en même temps on leur nie une grosse partie des ressources matérielles et humaines dont elles auraient besoin pour leur faciliter la tâche. Et cette période de pandémie n’a fait que rendre leur situation encore plus dramatique.

Au bout du compte, notre attention a beaucoup été retenue par les personnes âgées, mais on s’en rend bien compte à mesure que le temps passe que ce sont les jeunes, les moins jeunes, les « pas encore vieux et vieilles » et surtout les familles avec de jeunes enfants qui se retrouvent avec des problèmes majeurs : la réorganisation familiale et sociale de leur vie !

Le nœud du problème : des normes sociales et économiques injustes

Plus le temps passait, plus on se rendait compte qu’en effet, le problème ce n’était pas la vulnérabilité des personnes âgées. Le problème, ou les problèmes, ce sont les conditions de travail et les salaires des personnes qui, justement, prennent soin des personnes âgées et des personnes vulnérables.

Plusieurs fois pourtant, au cours des dernières décennies, les femmes sont descendues dans la rue pour demander des conditions de travail décentes pour les personnes qui travaillent dans le milieu de la santé, des services sociaux et de l’éducation.

Malheureusement, les gouvernements préfèrent écouter «les personnes sérieuses », comme le businessman rencontré dans Le Petit Prince dont voici un court extrait du dialogue entre les deux personnages[5] :

– […] cinq cents millions d’étoiles ? […] – Et que fais-tu de ces étoiles ? […] – Rien. Je les possède. – Tu possèdes les étoiles ? […] – Et à quoi cela te sert-il de posséder les étoiles ? – Ça me sert à être riche. – Et à quoi cela te sert-il d’être riche ? – À acheter d’autres étoiles […] – Et qu’en fais-tu ? – Je les gère. Je les compte et je les recompte […] C’est difficile. Mais je suis un homme sérieux ! […] – Mais tu ne peux pas cueillir les étoiles ! – Non, mais je puis les placer en banque. – Qu’est-ce que ça veut dire [les placer en banque] ? […] – Ça veut dire que j’écris sur un petit papier le nombre de mes étoiles. Et puis j’enferme à clé ce papier-là dans un tiroir. – Et c’est tout ? – Ça suffit !

Et oui, ça suffit pour plonger le monde dans le malheur. Ça suffit pour que l’argent qui devrait servir, par exemple, à donner des salaires décents aux personnes essentielles aboutisse dans des paradis fiscaux et ne profite qu’à ces possesseurs de chiffres plutôt que de servir au bien des populations.

Pourtant, plusieurs fois déjà, au cours des dernières années, les femmes sont descendues dans la rue pour manifester contre les paradis fiscaux.

Les personnes essentielles… et les inessentiels

Nous avons bien vu, pendant cette pandémie, qui sont les personnes essentielles : les préposées aux bénéficiaires, les caissières, les commis et les livreurs entre autres. Or, ces personnes ont les pires conditions de travail et les plus bas salaires.

En fait, tout le monde est essentiel… ou presque… mais tout le monde ne profite pas des mêmes bonnes conditions de vie.

À mes yeux, les seuls inessentiels de ce monde, sont ceux de la haute finance, les spéculateurs et les rapaces du monde de la finance. Ils sont non seulement inessentiels, mais nuisibles à la construction d’un monde meilleur, et responsables d’une grande part des malheurs et des souffrances qui affligent l’humanité.

Déjà, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, «L’économiste, sociologue et critique social du capitalisme américain Thorstein Veblen (1857-1929) considérait les hommes d’affaires et les financiers comme des êtres oisifs. »[6]

On peut toujours rêver à un monde où il n’y aura plus de ces possesseurs de chiffres qui au lieu de laisser circuler l’argent, s’acharnent à vouloir le posséder.

Effectivement, quand est arrivé l’heure des comptes et la supposée relance économique, on les a sentis, tels des vautours, refaire leur apparition avec leurs questions sérieuses :

Et combien ça va couter tout ça (donner des conditions de travail et des salaires décents aux personnes essentielles) ? Et où allez-vous prendre l’argent ? Ne vaut-il pas mieux relancer l’économie ? etc., etc.

Ça, c’est très sérieux comme questions ! 

Eh bien, moi, je leur réponds, ça coutera ce que ça coutera, y faut ce qu’il faut, on ne badine pas avec la vie des gens. D’autant plus, que de l’argent,il y en a. Il faut simplement savoir où aller le chercher : dans les paradis fiscaux par exemple.

Il faut aussi savoir, comme nous l’a révélé monsieur Parizeau, ex-ministre des Finances, ex-premier ministre du Québec et économiste de renommée internationale, dans un article publié en 2006, que tout est une question de colonnes : on change les chiffres de colonnes ! C’est aussi simple que ça.

Le jeu d’écritures (changement de colonne des chiffres) a augmenté dans un après-midi la dette (du Québec) de 25 %, la portant à 52 % du produit intérieur brut (PIB).[7]

Souhaitons donc que ce virus serve à obliger nos gouvernements à mettre l’argent dans les bonnes colonnes, c’est-à-dire, entre autres, dans des salaires décents pour tout le monde.

Mais, on s’obstine à nous présenter les choses comme si nous devions choisir entre la santé et la vie ou entre l’économie et la vie.

Or, la santé et la vie contre l’économie et la vie, c’est un faux problème. Selon Le Petit Larousse, l’économie est, entre autres, l’«Ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses. » « Système régissant ces activités »[8].

Le problème se pose quand certaines personnes empêchent ce système de fonctionner en empêchant les biens, incluant l’argent, de circuler et qu’ils s’acharnent à vouloir les posséder.

Au nom de ladite relance économique, nos gouvernements s’apprêtent, en faisant-fi de toutes les règles déjà établies, à redonner des contrats juteux aux ‘tits amis en nous faisant croire que l’argent va maintenant recommencer à circuler parce que les ’tis amis vont donner du travail à ben du monde qui en ont ben besoin !

Or, les gens avaient déjà leur travail avant la pandémie. Ce qu’il faut, c’est faire d’une pierre deux coups : profiter de la réorganisation sociale que demandent les nouvelles normes sanitaires, pour implanter de nouvelles normes économiques qui bénéficieront à tout le monde lorsque les gens reprendront leur travail. Mais ce ne sont pas les contrats juteux aux ’tits amis qui vont permettre la mise en place de ces nouvelles normes sociales, économiques et familiales.

Vers une autre normalité

Évidemment, tout le monde souhaite le retour à la normalité. Une certaine normalité avec le moins de contraintes possible. Mais, comme l’ont très bien exprimé les femmes de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) dans leur courriel aux membres[9] du 28 avril 2020 :

Nous ne souhaitons […] pas de retour à la « normale », car cette norme laiss[e] tellement d’entre nous derrière. Nous souhaitons avancer. Et lorsque les femmes avancent, c’est toute la société qui s’en porte mieux.

À l’instar des femmes de la FFQ, nous souhaitons donc avancer vers un eautre normalité, entre autres, vers de nouvelles normes salariales et de nouvelles conditions de travail pour les personnes essentielles.

Le virus de la COVID-19 réussira peut-être à faire ce que les femmes s’acharnent à vouloir faire depuis longtemps c’est-à-dire à obliger nos gouvernements à établir des normes plus égalitaires et équitables pour tout le monde.

C’est la grâce que je nous souhaite de tout cœur, mais j’ai bien peur que comme toujours, notre vigilance soit requise pour assurer cette autre normalité.

Heureuses donc les femmes qui resteront vigilantes pour assurer la mise en place et le maintien de cette autre normalité.

 

[1]J’ai travaillé 13 ans comme auxiliaire familiale et sociale (AFS) dans un CLSC. C’était au début des années 2000. Les AFS font du service à domicile auprès des personnes semi-autonomes, âgées ou souffrant d’un handicap.

[2] Antoine DE SAINT-EXUPÉRY. Le Petit Prince, New York, Harcourt, Brace & World, inc., 1971 (1943).

[3] Idem, chapitre 13

[4] Idem chap.4, p. 16-17

[5] Idem, chapitre 13, p. 55-56.

[6] Yves GINGRAS, professeur, Département d’histoire — UQAM. « Des technocrates aux algocrates », Le Devoir, 13-14 juin 2020, p. B 9.

[7] « Bouchard ou Parizeau : voilà une question claire », L’aut’courriel (de L’aut’journal) no 206, 25 octobre 2006.

[8]Le Petit Larousse illustré, 1999.

[9] Courriel de la FFQ aux membres, 28 avril 2020. « 10 idées pour sortir les femmes de la crise ». Ce document a été remis à madame Isabelle Charest, ministre responsable de la Condition féminine du Québec, le 24 avril 2020 sous la forme de recommandations. Le document peut être consulté sur le site de la FFQ. https://www.ffq.qc.ca/10-idees-pour-sortir-les-femmes-de-la-crise