La femme courbée
Luc 13,10:17
Mariannick Lapierre, Phœbé
Une femme était amenée en détention. Sortie du fourgon cellulaire, elle fut dirigée vers une pièce qui servait au rituel d’accueil : fouille à nu et inscription des données personnelles dont l’âge, la grandeur, le lieu de résidence, l’affiliation religieuse, le régime alimentaire. À ces caractéristiques physiques particulières, on pouvait y lire : courbée. Elle fut fouillée à nu et sa cote de sécurité établie. Envoyée ensuite à sa cellule, elle y passa des jours, des semaines, puis des mois. Chaque jour, sa courbure s’accentuait et sa détresse aussi. Elle était de plus en plus soumise, de plus en plus résignée. Habituée à vivre le regard baissé et l’âme presque éteinte, elle ne put remarquer que ses codétenues vivaient avec la même courbure. Après des mois d’isolement dans son secteur d’hébergement, elle a pu se rendre dans un lieu où, pour la première fois depuis son arrivée, elle s’est sentie en sécurité. Elle et quelques codétenues avaient été invités à la chapelle de la prison pour explorer leur spiritualité. Assises en cercle dans ce lieu d’immanence divine, des paroles se sont échangées, des larmes ont été versées, les regards se sont soulevés et les rires se sont fait entendre. Ensemble, elles ont pu faire apparaître la Dieue et ses actions créatrices, libératrices et vivifiantes. Les dos se sont redressés et les poings se sont levés. Elles se sont proclamées femmes libérées et enfin actrices de leur propre vie. Leurs conditions de femmes en détention et au sein d’une société patriarcale ont été dénoncées. Désormais, elles n’accepteraient plus d’être invisibles, inégales et méprisées par la communauté pénitentiaire et civile. Conscientes de leur valeur et de leur pouvoir d’agir, le désir de justice pour elle-même et pour toutes les femmes, a émergé de leur profondeur. Elles réalisèrent que leur nature n’était pas liée à Satan. Elles avaient plutôt eu les mains et les pieds liés par les violences répétées du système hétéropatriarcal et sa logique de domination. En cet instant, plus rien ne pourrait les empêcher de se déployer. Reconnectées à leur source, toutes les femmes courbées mirent fin à leur captivité et avancèrent vers une vie de féministes.