LA JUSTICE SOCIALE…
QUOI EN DIRE? QUOI EN PENSER?
Line Bélanger (Rimouski)
Aussitôt la plume en main, je me suis demandé qui peut parler de justice sociale, qui peut oser partager sa part du gâteau sans rien demander en retour? Partout dans les médias, dans l’Église, en politique, dans la publicité et à travers les événements de la vie, on entend parler de justice sociale , on agit au nom d’une plus grande justice sociale:
– L’Opération « Boubou Macoute »1 supposément pour assurer un meilleur partage.
– Débat sur l’universalité des programmes sociaux.
– Appui américain de 100 millions aux contras, « les combattants de la liberté » selon Reagan, pour ramener l’ordre au Nicaragua.
– L’Église qui nous invite constamment à nous ouvrir les yeux sur les injustices dans la société et qui est très discrète sur les propres injustices qu’elle crée.
– Envoi de notre argent aux pays du Tiers-Monde, avec le risque de compromettre leur économie locale.
Finalement, je m’aperçois très vite que notre société n’est pas basée sur un modèle de justice sociale. Sous le couvert d’avoir une pensée pour les autres, une oreille plus attentive, de donner une part plus juste à chacun-e; certains-es usent de leur pouvoir sur nos libertés individuelles et collectives pour se donner une bonne image, s’assurer un meilleur profit, accroître leur contrôle sur des groupes précis, déterminer les relations homme-femme et les rapports sociaux. La justice sociale, est-ce l’affaire fie tous et à qui cela profite-t-il le plus?
Récemment, j’ai vécu dans mon milieu de travail des événements qui ont changé le cours de ma vie. Depuis 4 ans, je travaillais comme éducatrice auprès d’une association de personnes handicapées, je donnais des cours d’alphabétisation et des ateliers de cuisine, bref une formation adaptée à leur réalité. A l’arrivée de nouveaux membres au Conseil d’administration, nous avons connu un congédiement de personnel, une diminution de services et une façon différente de travailler avec la personne handicapée. Nous qui parlions de prise en main avec les membres et de travail d’équipe comme employés, comment ne pas réagir à une telle situation? Devant ce qui s’écroulait sous nos pieds, nous avons fait circuler une pétition pour permettre à chacun-e d’exprimer son mécontentement et inviter toutes les personnes handicapées à former un nouveau regroupement où l’on peut prendre part aux décisions. C’était à la fois une décision individuelle et collective. Nous avons mis nos dénonciations sur la place publique. Des gens, des groupes du milieu nous ont entendus et nous avons reçu des appuis. Signer la pétition, c’était faire confiance à la possibilité qu’ensemble nous pourrions changer nos conditions de vie et non nous contenter de croire les bonnes paroles des administrateurs-trices, les promesses budgétaires et l’annonce d’une meilleure gestion financière.
Au-delà de mon travail, qui consistait à leur offrir des outils pour mieux s’en sortir, j’ai franchi avec eux un pas de plus pour une plus grande autonomie. Ce choix a pris du temps à mûrir et a fait souvent le propos de nos conversations. Il y en a qui proclament à haute voix la justice pour les déshérités, les pauvres et les opprimés. Moi, je préfère la vivre et la bâtir avec eux. Outre mon rôle d’éducatrice, je me suis reconnue, moi aussi, quand on parlait de « sans emploi », de coût exorbitant de loyer, etc.,…
Se prononcer ouvertement contre les injustices vécues dans son milieu et se mettre à l’écoute des victimes de l’injustice, voilà de beaux mots d’où il n’est pas facile de passer à l’action. Oser parler vraiment d’une situation, c’est créer des solidarités avec les uns et les autres, mais c’est aussi risquer de se retrouver seul-e. Plusieurs groupes sociaux sont mal reçus dans leurs revendications: les assistés-ées sociaux, « des paresseux qui ne veulent pas travailler », les jeunes « qui se lamentent le ventre plein », et les femmes « qui marchent dans la rue au lieu de s’occuper des enfants »…
Dans notre société, les personnes handicapées sont considérées comme un groupe social peu politique. Leurs revendications sont axées sur le développement de ressources qui ne dérangent pas les règles de jeu du système. Demander des rampes d’accès, des logements appropriés, un transport adéquat, ça va! Mais demander des logements moins chers, des mesures favorisant l’accès au marché du travail, etc.,… là, ça ne va plus! Satisfaire ces revendications, ça veut dire modifier les règles du jeu et surtout n’allez pas croire que cela rime avec justice pour tous.
Présentement, je dirais que je me sens les mains et les pieds liés à une pratique de justice qui a toute une dimension collective. Peut-être qu’un jour je basculerais totalement dans le confort douillet auquel me convie la société de consommation?… Est-ce que mon agir s’arrêtera à la pensée? Au fond, il n’est pas difficile de nommer les injustices que l’on vit. On agit avec d’autres pour s’en sortir et pour son mieux-être.
Nommer la justice sociale, c’est…
soit nommer son action
soit juger celle des autres.
1 Opération policière de dépistage des assistés sociaux « usurpateurs », déclenchée par le gouvernement Bourassa