La Ligue des droits et libertés et l’Office des droits des détenu-e-s Des lieux de militance qui changent le monde

La Ligue des droits et libertés

et l’Office des droits des détenu-e-s

Des lieux de militance qui changent le monde

Monique Hamelin, Vasthi

La Ligue des droits et libertés

La Ligue des droits et libertés — souvent nommée la LDL — fête en 2023, soixante ans de luttes pour les droits humains, sociaux et politiques. Celles et ceux qui y ont milité ou y militent encore ont influencé de nombreuses politiques gouvernementales ; ils et elles ont contribué à la création d’institutions vouées à la défense et à la promotion des droits humains, dont les droits carcéraux, qui nous préoccupent plus particulièrement dans ce numéro de L’autre Parole. Alors qu’au début des années 1960, peu de gens au Québec s’abreuvaient aux textes internationaux ou se référaient à des organismes internationaux, la LDL veillait à informer et sensibiliser la population aux droits individuels dans un premier temps.

On peut consulter sur leur site, la ligne du temps de son histoire (https://liguedesdroits.ca/a- propos/historique/ ). Non seulement c’est de l’histoire récente, mais on saisit également que les luttes pour les droits humains sont des luttes qui prennent souvent des années avant de se matérialiser. La LDL a son plan, elle y va étape par étape. Un exemple : dès 1964, elle a une action, avec entre autres les élus provinciaux, et elle continue dans les années 1970 son travail d’élaboration d’un projet de Charte des droits et libertés de la personne pour le Québec. Celle- ci sera finalement adoptée en 1975 et suivra, un an plus tard, la création de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Une pionnière : Lucie Lemonde

Le 6 février 2022, Lucie Lemonde nous quittait. Le 4 novembre de la même année, dans le cadre des activités de son 60e anniversaire, la LDL organise un colloque sous le titre : Perspectives critiques sur l’incarcération au Québec — De l’Office des droits aux détenu·e·s (1972-1990) à aujourd’hui – Colloque en hommage à Lucie Lemonde.

La force de Lucie était de concilier un esprit brillant avec une grande rigueur intellectuelle dans ses recherches et son enseignement. Elle avait l’assurance tranquille de celle qui a réfléchi et qui passe à l’action lorsqu’elle défend des causes difficiles. Sa militance était comme une nécessité qui coule de source quand les droits humains ne sont pas respectés. Avant elle, le droit carcéral n’existait pas. Elle l’a créé. Elle a donné naissance à une forme de droit humain.

Particulièrement depuis 2016, la militante a joué un rôle majeur dans les revendications dénonçant les conditions de détention à l’établissement Leclerc, prison pour femmes à Laval au Québec. Active à la LDL, elle a aussi été là pour soutenir la venue au monde de la CASIFQ (Coalition d’action et de surveillance sur l’incarcération des femmes au Québec) dont un article détaille en nos pages les objectifs. Saluons l’être d’exception qu’a été Lucie Lemonde non seulement au Québec, mais également sur la scène internationale où elle a été vice-présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme de 1997-2004.

Lors de son décès, les témoignages ont été nombreux pour dire qu’elle a été une mentore hors du commun. Elle  assurait  une  relève  pour  la  suite  des  choses  et, lors  du  colloque  du 4 novembre, j’étais fascinée par le nombre de jeunes femmes et de jeunes hommes présents. Merci à une grande intellectuelle québécoise pour un legs précieux, celui d’avoir su insuffler la passion des luttes pour les droits humains chez les générations montantes.

Office des droits des détenu-e-s (1972-1990)

L’ODD, comme on l’appelait, est absent du paysage québécois depuis plus de trente ans, mais il reste présent par le travail accompli. Jean-Claude Bernheim, son ex-coordinateur, rappelait, lors du colloque du 4 novembre 2022, que l’organisme diffusait l’information des recherches portant sur les droits des détenu·e·s et leurs conditions de détention. L’ODD est toujours inscrit au Registraire des organismes sans but lucratif et pourrait redevenir opérationnel si des subventions devenaient disponibles.

Dans un document hommage distribué sur place et accessible sur le site de la LDL1, Bernheim indique que la jeune avocate Lucie Lemonde a travaillé avec l’ODD « sur la reconnaissance et l’exercice du droit de vote des détenu·e·s, au début des années 1980. […] [C]ette lutte qui a ultimement abouti devant la Cour suprême en 2002, […] s’est conclue par une avancée démocratique indéniable ».

L’ancien coordinateur de l’ODD rappelle également que Lucie Lemonde avait adopté la perspective abolitionniste de l’organisme qui datait de septembre 1976. Il est particulièrement intéressant de lire ce document d’archives, daté de 1976, et portant le titre Manifeste de l’Office des droits des détenus de la Ligue des droits de l’Homme — Vers l’abolition de la prison2.

Dès sa création en 1972, est-il écrit, l’ODD s’est fixé des objectifs, dont celui de lutter contre l’équation que « la perte de liberté de mouvement pour un détenu entraîne automatiquement la suppression des droits fondamentaux ». L’organisme voulait également « que les règles minima des détenus de l’ONU soient appliquées progressivement ». Par ailleurs, ces étapes font partie d’une longue marche Vers l’abolition des prisons.

Less personnes incarcérées dans nos prisons : hier comme aujourd’hui, un même constat !

Le Manifeste indique que des recherches à l’établissement Bordeaux de Montréal (1972-1973) et à celui d’Orsainville à Québec (1974) démontrent que « les prisons recueillent surtout des sous-privilégiés socio-économiques, des sans-pouvoirs, des exclus ». C’était l’époque de l’emprisonnement pour non-paiement d’amende. Il y a eu par la suite l’instauration d’une alternative à l’incarcération avec la mise en place du programme des travaux communautaires pour qui ne pouvait ou ne voulait pas payer l’amende.

Cette situation dans les établissements pour hommes dans les années 1970 rappelle les données rapportées ces dernières années par Lucie Lemonde dans ses interventions publiques et par Louise Henry dans son témoignage sur la détention des femmes au Leclerc3. Les femmes emprisonnées sont généralement peu scolarisées, une majorité est là pour un bris de conditions au jugement de la cour. Il y a également une surreprésentation des femmes des Premières Nations. Ne pourrait-on pas utiliser cette situation pour instaurer ici aussi des programmes alternatifs à la détention pour les femmes ? Et si cela s’applique à la situation des hommes dans nos prisons provinciales, agissons là aussi. Or,

  • Si les personnes détenues au Leclerc ne devraient pas s’y retrouver en prison ;
  • Si pour les sentences de moins de six mois, les programmes sont inexistants pour aider à la réinsertion sociale ;
  • Si pour les problèmes de toxicomanie nous savons pertinemment que la route vers une vie sans drogues est souvent faite de hauts et de bas et que la détention n’aidera en rien ;
  • Si nous retrouvons à l’intérieur des murs une surreprésentation de personnes issues des Premières Nations ;
  • Si la vie et la sécurité personnelle d’autrui ne sont pas en danger par le type de délit.

Pourquoi les mesures alternatives à la détention (pour les délits mineurs qui ne présentent aucun danger pour la sécurité et la vie d’autrui) ne pourraient-elles être la seule voie possible au moment de la sentence ? Cela se fait déjà pour des délits économiques dont le vol à l’étalage (Voir l’article de la Société Elizabeth Fry du Québec en nos pages).

Pourquoi ne pas vider les prisons provinciales, un lieu générateur de coûts sociaux énormes en plus de la privation de liberté de circuler pour qui y est condamné alors que ces personnes pourraient bénéficier de mesures alternatives ?

… à aujourd’hui, disait le titre du colloque

Si, à la lumière de ce qui a été dit précédemment, l’on relit la lettre ouverte parue dans Le Devoir4 du 7 mars 2023, signée par deux intervenantes de la LDL, dans laquelle elles défendent que : a) « Une nouvelle prison pour femmes n’est pas une solution » et b) « L’incarcération échoue à remplir les fonctions censées justifier son existence, notamment la réinsertion  », nous comprenons mieux leur opposition « à la construction de tout établissement pénal ». Cette opposition était d’ailleurs inscrite dans le Manifeste — Vers l’abolition de la prison qui date de 1976.

La LDL et les organismes qui émergent autour d’elle se donnent pour mission d’analyser, de sensibiliser et de promouvoir les droits humains pour une société plus juste et plus égalitaire. Les militantes et militants font un travail de débroussaillage exigeant qui dérange l’ordre établi. L’accueil n’est pas toujours présent. Il faut persévérer. Il en est de cela comme de la longue marche des femmes vers l’égalité et la justice.

 

1 Jean-Claude BERNHEIM. « L’héritage de Lucie », Hommage à Lucie Lemonde accessible sur le site de la LDL : Internethttps://liguedesdroits.ca/wp- content/fichiers/2022/11/depliant_hommage_lucie_lemonde_20221104.pdf

2 À noter qu’en 1976, la place des femmes était encore invisible puisqu’on écrivait détenus et non détenu·e·s.

3 Voir certains encadrés et certaines recensions dans ce numéro sur les femmes en détention.

4 Laurence GUÉNETTE et Lynda KHELIL « Une nouvelle prison pour femmes n’est pas une solution », Le Devoir, 7 mars 2023, section Idées. En ligne : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/784307/droits- humains-une-nouvelle-prison-pour-femmes-n-est-pas-une-solution