LA LONGUE MARCHE DES 50 ANS DE LA FFQ
Mélanie Sarrazin,
Ce sont nos pas qui ont marché pour l’atteinte de l’égalité. Les pas de toutes, des traces laissées par celles qui ont construit le chemin ; de celles qui continuent à le construire avec d’autres. Des pas de géants, parfois un peu boiteux, trop souvent des pas à la course. Par moment, des faux pas, par d’autres, à coup de grandes enjambées.
Printemps 1966, Montréal, 400 femmes se réunissent et fondent la Fédération des femmes du Québec (FFQ), elles adoptent collectivement des revendications pour la création de garderies, pour la parité du salaire, pour l’abolition des termes « ménagère » et « mère nécessiteuse ». Elles réclament également la tenue d’une enquête gouvernementale sur les conditions de vie des femmes. Cinquante ans plus tard, ce sont des milliers de femmes qui se sont impliquées et s’impliquent toujours à la FFQ pour transformer la société afin que l’égalité devienne une réalité pour toutes les femmes.
Une action collective féministe pour les droits des femmes
Depuis 50 ans, la FFQ se mobilise et s’allie à d’autres mouvements sociaux pour faire avancer les droits des femmes. De nombreuses luttes ont été menées avec succès. Pensons à l’obtention de la commission Bird en 1967, à la création du Conseil du statut de la femme en 1973, à l’obtention d’une politique québécoise de la condition féminine en 1993, à la réduction du temps de parrainage pour les immigrantes parrainées par leur mari en 1995, à l’adoption d’une loi sur l’équité salariale en 1996, à la tenue d’une commission parlementaire et de forums itinérants sur les agressions sexuelles en 2015 et à l’obtention d’une commission d’enquête nationale sur la disparition et l’assassinat de femmes autochtones au Canada en 2016.
Égalité pour toutes, égalité entre toutes
L’action de la FFQ est ancrée dans une vision du féminisme qui repose sur la création de solidarités et la reconnaissance que les femmes qui composent le mouvement possèdent une diversité de parcours, d’expériences et de connaissances qui enrichissent les luttes et transforment les manières de lutter pour la justice, l’égalité et la liberté de toutes. Le féminisme de la FFQ est résolument ancré dans une lutte pour la justice sociale. Avec le succès retentissant de la Marche Du pain et des roses en 1995, les féministes, ayant pris part à cette mobilisation jamais vue au Québec, ont imaginé la possibilité d’étendre un tel mouvement au reste du monde. Un peu plus de 20 ans plus tard, la FFQ coordonne la Marche mondiale des femmes au Québec et appartient à un réseau international, permanent et féministe, en action dans une cinquantaine de pays et territoires. À travers ce réseau, ainsi qu’à travers la mise en place et en pratique d’un protocole de solidarité entre la FFQ et Femmes Autochtones au Québec (depuis 2004), la FFQ a appris à construire une action féministe qui reconnait la nécessité de lutter non seulement contre le patriarcat et le capitalisme, mais également contre le racisme, le colonialisme, l’hétérosexisme, le capacitisme et l’impérialisme pour que l’égalité entre les femmes et les hommes, entre les femmes elles-mêmes et entre les peuples se réalise pleinement.
Transformer la société
La FFQ poursuit aujourd’hui son travail de dénonciation des inégalités afin de faire respecter le droit à l’égalité pour toutes les femmes. Collectivement, nous travaillons à faire du féminisme un projet de société, où toutes les femmes ont la capacité de s’autodéterminer, de s’épanouir, de créer et de vivre libres dans un monde sans violence.
Si la FFQ a su si brillamment marcher ces 50 dernières années, c’est que notre engagement féministe réclame plus que l’égalité ou la parité. Ce que nous cherchons à réaliser est un projet féministe de société où l’égalité existe tant dans la loi que dans la vie quotidienne, et ce, pour toutes les femmes. Un projet où la justice sociale est au cœur des choix que nous faisons collectivement et où nous pouvons vivre librement et en sécurité.
Depuis quelques années, la FFQ a amorcé un tournant important. D’abord, avec la tenue d’états généraux, véritable remue-méninges féministe pour construire un projet féministe de société sans oppression, tout en développant des pratiques solidaires au sein même du mouvement féministe. Ce tournant s’est renforcé durant la dernière action internationale de la Marche mondiale des femmes (MMF), entre autres à travers le renforcement des solidarités et le travail d’alliance, de nation à nation, développé avec les femmes autochtones. Les luttes de ces dernières ont inspiré les actions de 2015 en liant les luttes visant le bien-être des femmes et des communautés à la défense des territoires et aux enjeux environnementaux.
Bien évidemment le mouvement féministe n’est pas homogène. Je considère ce fait comme étant une force et non une faiblesse. Et je garde en tête que le féminisme que nous devons pratiquer est celui qui permet l’erreur : autrement comment pourrait-on permettre l’apprentissage ? Il est celui qui ose parler franchement : autrement comment pourrait-on nous écouter ? Et il doit permettre une certaine division : autrement comment pourrait-on faire avancer les enjeux importants des droits des femmes ?
Continuer d’emboiter le pas ensemble n’est pas chose facile. Nous devons nous rappeler que nous travaillons pour une cause plus grande que notre mouvement. Devant la société patriarcale, colonialiste, capitaliste et marquée d’une logique néolibérale, le féminisme prend tout son sens et nous devons nous mobiliser et construire une lutte forte de nos résistances pour un projet féministe de société à l’image des valeurs de la Marche mondiale des femmes que sont l’égalité, la liberté, la solidarité, la justice et la paix. Les femmes composent plus de la moitié de la population et ce que nous avons à dire est important. Nous sommes celles qui transforment la société, celles qui changent les mentalités et celles qui font ensemble pour toutes.
On avance, on avance, on ne recule pas !
Je me rends compte que devant cette adversité et ces multiples systèmes d’oppressions, nous aurions pu baisser les bras il y a longtemps. Face à la globalisation capitaliste, face à l’austérité imposée au Québec, un pays riche, et contre la logique néolibérale, nous aurions pu abandonner.
La FFQ fête ses 50 ans cette année. Nous sommes jeunes de nos 50 ans. Nos 50 ans de hauts et de bas. Nos 50 ans de solidarités et de luttes, de découragement et de mobilisation. Mais encore plus important : Nos 50 ans de résistance et d’avancement !
Ensemble, deboutes et solidaires pour s’opposer à des structures et à des gouvernements qui tentent de nous bâillonner, de nous écraser, de nous éliminer, car « Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche ! ».
L’auteure est présidente de la Fédération des femmes du Québec.