La pratique rituelle de L’autre Parole

La pratique rituelle de L’autre Parole

Rappel des acquis Yvette Laprise, Phoebe

«Au delà de l’ouverture pour créer, il y a la grâce lorsqu’un rituel est parlant et signifiant ».  C’est là la formule que m’a proposée le comité de coordination pour orienter mon propos. Ma première réaction a porté sur le mot « grâce ».Quelle réalité ce mot évoque-t-il ? Nous y reviendrons.

Commençons par le rappel des acquis de L’autre Parole dans sa pratique rituelle. Mais avant de plonger dans les textes pour en extraire les éléments désirés, j’ai senti le besoin de m’interroger sur le sens du  mot rituel. Voici ce que m’a fourni mon dictionnaire. Rituel, adjectif, signifie qui a valeur de rite, qui constitue un rite. Je suis donc renvoyée au mot rite lequel  se définit :l’ensemble des règles qui régissent la pratique d’un culte particulier ou le détail des prescriptions en vigueur pour le déroulement d’un acte cultuel ou l’acte cultuel lui-même c’est-à-dire relatif au culte qui est un hommage religieux que l’on rend à un dieu ou à un saint personnage.  Ouf ! De prime abord, ces définitions m’apparaissaient trop rigides, trop  stéréotypées pour  représenter la pratique rituelle de L’autre Parole.

  J’ai donc décidé de quitter le dictionnaire pour plonger dans la revue, sortir les numéros portant sur le colloque et  d’y sélectionner les pages relatives aux célébrations.

 Chemin faisant, je me suis rendu compte que la collection disposait d’un numéro entier consacré à la pratique rituelle de L’autre Parole. Il s’agit du numéro 75 intitulé « Célébration féministe », paru à l’automne 1997. Je me suis empressée de l’explorer.

 Dans le premier article  « L’autre Parole sait célébrer » Marie Gratton fait avec brio une rétrospective éclairante sur le sujet. Dans  un autre article non moins brillant, le groupe Marie Guyard  propose, sous le titre de « Célébrations féministes » au pluriel, « des balises éclairantes pour lectrices et lecteurs en quête de célébrations signifiantes ». Et autres…

J’ai relu ces textes et relevé ce qui m’a paru appartenir à la pratique rituelle de L’autre Parole:

 Dans l’article de Marie Gratton, j’ai relevé :

 – Les célébrations de L’autre Parole sont  liées au thème du colloque,  intègrent les  productions collectives des participantes et clôturent  tout colloque.

– Elles se veulent un lieu où se construit et se manifeste l’Ekklèsia des femmes.

– Les participantes affirment leur volonté de se  soustraire à l’emprise du pouvoir masculin sur le sacré.

– Elles veulent  célébrer leur foi dans un souci de vérité et de liberté évangélique.

– Elles ne craignent pas de puiser dans le riche univers des symboles et de l’enrichir.

– L’expérience des femmes est leur source d’inspiration, d’accomplissement et de renouvellement.

– La célébration se fait tantôt selon le cadre et le contenu des liturgies traditionnelles mais  exprimées au féminin, tantôt c’est de l’innovation pure et simple.

– Elle comporte toujours un rite d’accueil.

– La musique enregistrée ou exécutée par des artistes est toujours choisie avec soin.

  Du groupe Marie Guyart, j’ai retenu :

– Si nos célébrations se modèlent parfois, quant à la forme, sur le  rituel traditionnel : accueil, pardon, liturgie de la parole , credo, partage du pain et du vin , bénédiction ou envoi,  c’est toujours comme  sujettes de notre devenir spirituel et membres du peuple de Dieu en tant que  chrétiennes que nous nous considérons.

-L’un de nos acquis le plus significatif ne serait-ce pas nos pratiques de ré-écritures : Credo d’Orford, Magnificat, paraboles, béatitudes… ?

 De l’article de Flore Dupriez, j’ai extrait :

Imaginons une année liturgique dans laquelle chaque fête retrouverait son sens d’origine et que les rites qui la marqueraient comprendraient une couleur, des symboles inspirés par des pierres précieuses, des animaux, des mets divers destinés à manifester le sens qu’on leur attribue.

 Enfin de Christine Lemaire, j’ai recueilli :

« Le plus souvent c’est notre activité collective qui nous permet d’inventer des rituels qui nous ressemblent et qui arrivent à dépasser nos attentes et à aboutir à l’apothéose de nos colloques ».

 Ce sont là autant d’expressions indiquant des acquis de L’autre Parole dans sa pratique rituelle en cours de 1976 à 1997. De prime abord, je reconnais que l’expérience des femmes est toujours notre première source d’inspiration, source à laquelle on est invité à aller puiser dès  le début de tous nos rassemblements. C’est là, à mon sens, un rite ancrée au cœur de nos célébrations.

 Et maintenant, qu’en est-il de notre pratique rituelle  aujourd’hui ?  Pour tenter de répondre à cette question, j’ai revisité pour vous les  6 derniers numéros consacrés à la mémoire de nos colloques. Je vous les présente :

 Christa no76 : Célébration des icônes en acte. Dans le chœur de la chapelle aménagé pour la circonstance chaque équipe, dans un rituel qui lui est propre,  présente Christa dans l’un ou l’autre de ses attributs : Christa Énergie, Christa manifestée par les sens, Christa Présence révélatrice, Christa Donneuse de vie, Christa Anamnèse, sous diverses formes :chorégraphie, mime, danse, activité des sens, gestuelle, farandole improvisée sous la magie d’un accompagnement musical suggestif et à l’aide de symboles signifiants et variés : voile, bougie, parfum, etc.

 Tisserandes de Dieu dans le monde no 80 : rites inspirés de la pratique traditionnelle actualisée et féminisée. Création d’une pièce artisanale collective comme symbole de communion visant la solidarité mondiale à construire. Ré-écriture de Cor. 13, 1-8,13 : l’amour fraternel.. Symbole : globe terrestre revêtu de nos gestes de solidarité au quotidien.

 Spiritualité féministe no 84 : Symboles : le vent, papillons dans leur cocon. ambiance musicale, arôme de sauge. Lectures : paraboles créées autour du thème. Rituel du feu qui détruit d’une part et illumine de l’autre. Incantation autour du cierge pascal dont la flamme peut symboliser la spiritualité féministe. Rite d’envoi : Une bouteille à la mer. Entrée progressive dans le mystère.

 Spiritualités féministes en dialogue no 88 : Présentation de divers rites d’entrées dans l’espace sacré selon les traditions présentes et  leurs symboles. Exposition de tableaux évocateurs du sacré. Célébration autour de la sphère planétaire reconstituée. Ambiance d’intériorité : lumières  tamisées, musique pacifiante. Rite de communion : bougies allumées les unes aux autres pour former une couronne de lumière. Créativité manifestée de mille et une manières : chants, danses, partage de la parole, échanges en tête-à-tête, en atelier, en grand groupe.

 Sous le signe de la fête no 92 : Mémorial de la Collective depuis  son acte de naissance jusqu’à son expansion actuelle. Accueil : fleurs séchées, coquillages cueillis sur les bords du Saint-Laurent. Visite au Jardin de Métis. Présentation originale de chacun des sept groupes de la Collective en présence d’un bon nombre d’anciennes et d’amies toujours sympathiques au mouvement.

 Prostitution no 96: De l’exclusion à la solidarité. Immersion symbolique dans le monde des femmes prostituées : le Quartier rouge.  Préparation collective de la célébration. Décor : un réflecteur rouge, une table, des sièges disposés en cercle tout autour. Rite d’entrée :  chacune tient une chandelle rouge, qu’elle a trouvée dans sa chambre à son arrivée, et vient la déposer allumée sur la table du centre où elles forment ensemble un carré lumineux. Sketch, chant exprimant la proximité et  la compassion.

 Ce parcours très succinct de nos dernières célébrations exprime-t-il une avancée dans la pratique actuelle de L’autre Parole ? C’est à voir…Se donner des rituels n’est-ce pas le besoin primordial de toute collectivité qui veut assurer sa durée, renforcer ses liens avec les autres et marquer sa place dans le monde. Ne serait-ce pas aussi affirmer en  public  ses valeurs? Cela nous amène sur le terrain de nos célébrations publiques.

 En dehors des  colloques,  les célébrations publiques, où se construit et se manifeste d’une façon plus large l’Ekklèsia des femmes, ont stimulé l’audace créative des membres de L’autre Parole à quelques reprises.  Je pense en particulier au Triduum pascal, célébré une première fois en l’église Saint Albert le Grand, puis à la chapelle des Sœurs Grises de Montréal et enfin à l’Église Unie Saint-Jean.  Je pense aussi à la célébration de la Pentecôte 1992, réalisée en collaboration avec le Réseau Œcuménique des femmes du Québec, qui a rassemblé pendant trois jours plus de 200 femmes féministes et chrétiennes. Et j’en passe.

 Il se vit aussi des célébrations diverses  au niveau des différents groupes de la Collective: Noël, 8 mars, 6 décembre, fêtes anniversaires, fête du printemps et autres. Je pense aussi à la célébration En chapelle ardente, ( no 75) initiée par le groupe Marie Guyart qui suggère diverses manières de célébrer à l’occasion d’un décès. Dans ce numéro, l’article fort bien documenté de Flore Dupriez quant aux rites et aux symboles proches de notre réalité de femmes est aussi à  revisiter.

Au terme de cet exposé, pouvons-nous qualifier, de rituelles, les expériences vécues par L’autre Parole ?  Sûrement pas au sens rigide et répétitif du terme, car la collective est toujours en mouvement et sa pratique rituelle, loin d’être sclérosée, sait  épouser la vie et ses ondulations et l’exprimer de façon vibrante et gratifiante (no 75). « Nous inventons , construisons, reprenons, transformons, ré-écrivons. Nous  n’avons pas trouvé, nous cherchons. » (M-A., no84, p.16).Ce que nous cherchons, en réalité, c’est une pratique de proximité, incarnée, vivante et vibrante qui exprime la vie avec ses richesses et son mystère comme en témoigne la réflexion suivante de Christine Lemaire : « Les célébrations, une pratique joyeuse, pénétrante, vivante, ont toujours représenté l’apothéose de nos colloques ». (75) Les résultats vont toujours au-delà des attentes.

 Au début de cet article figurait cette citation: « Au delà de l’ouverture pour créer, il y a la grâce lorsqu’un rituel est parlant et signifiant ». Je me demande maintenant si nos rituels sont toujours parlants et signifiants ? À quels signes le reconnaissons-nous ? Jusqu’à quel point nous introduisent-ils au sacré ? ( voir no 75). Quand nous célébrons,  nous ménageons-nous assez d’espaces de silence – les mots ne pouvant  exprimer l’inexprimable- pour entrer dans  les réalités impalpables de la foi  ? Je laisse cette interrogation à notre réflexion.

 Au terme de ce colloque, je me permets d’exposer un souhait exprimé par Marie Gratton et que je partage : nous engager à  célébrer en public au moins une fois par an pour témoigner de notre expérience spirituelle et la partager. Serait-il pensable aussi de songer à la création collective de nouveaux rituels  pouvant accompagner certains  grands moments de la vie : naissance, entrée à l’école ou au travail, menstruations,  mariage, maladie, promotion, mort, etc. Le chantier reste ouvert à notre souci de créer des rituels qui nous ressemblent et nous rassemblent.

 En terminant, je m’en voudrais de passer sous silence l’apport précieux offert à  nos célébrations depuis la fête de nos 20 ans d’existence. Je veux parler de la contribution artistique et musicale de Louise Courville  à ce colloque de même qu’à celui de Christa et souligner, d’une manière particulière, la présence dynamique à tous nos colloques de nos sœurs Marleau : Denyse, Diane et Marie,  auteures, compositrices et  interprètes infatigables.

 Bonne poursuite du colloque !