LA RÉSISTANCE:

LA RÉSISTANCE:

Lecture de ses principales caractéristiques, d’un point de vue féministe

Denise Couture

Selon le théologien québécois Guy Côté, la résistance a pour particularité de conjuguer toujours deux aspects, la critique « de ce qui est » et la construction d’alternatives : l’opposition et l’espérance. Elle conjugue la colère devant les effets des injustices et l’amour qui transperce la poitrine et qui donne l’énergie de travailler au changement. 1

Pour leur part, les théologiennes Lise Baroni et Yvonne Bergeron expliquent que le vocable recouvre plusieurs significations : le dissentiment (qui signifie un désaccord de points de vue), la dissidence (c’est-à-dire l’action de désobéir à l’autorité établie), l’endurance (le fait de persister dans l’opposition) et le ressentiment (la rancœur que l’on cultive à la suite d’une offense subie). 2  Il s’agirait de se départir d’une forme de résistance, soit celle du ressentiment, de la victimisation, de cette « amertume entretenue négativement ». En termes positifs, résister signifie refuser, s’opposer, contester, ne pas céder à une pression, à une attaque. La résistance dans laquelle sont engagés les groupes de la base qui travaillent à créer la justice recouvrerait ainsi les trois premières significations : un dissentiment (dans la pensée), une dissidence (dans l’action) et une endurance (dans le temps).

Ces précisions de vocabulaire étant faites, on peut se demander : quelles sont les principales caractéristiques de la résistance aujourd’hui ? À quoi sommes-nous appelé-e-s à résister aujourd’hui ? De quelles manières et selon quelles stratégies ? Quelle résistance est appropriée à notre temps ? Et comment la comprendre d’un point de vue féministe ? Et précisément, du point de vue féministe, chrétien et interspirituel que j’adopterai ?

À mon avis, on ne peut comprendre les tenants et les aboutissants de la résistance aujourd’hui si l’on ne comprend pas un tant soit peu dans quel monde et quel temps nous vivons. Car il faut ajuster les modes de résistance aux configurations actuelles de notre monde. C’est pourquoi avant de présenter quelques caractéristiques de la résistance et une diversité de stratégies pertinentes, je désire la situer dans l’histoire, du moins dans celle récente, en ce qui concerne les luttes pour changer le monde. Pour ce faire, je construirai des liens entre la fin des années 1960, un temps fort de résistance, qui a changé des choses, qui a réussi, et ce que nous vivons dans les années 2000, quarante ans plus tard, un autre temps fort de résistance, qui peut changer des choses, mais autrement. 3

La résistance : un déplacement entre les années 1960 et les années 2000

En 1967, à Montréal, c’était l’année de l’Expo.

Love, love, love. All you need is love. Cet énoncé d’une chanson des Beatles était révolutionnaire dans les années 1960. Il brisait l’organisation juridico-légaliste d’une société fortement hiérarchisée. Il insérait de la liberté, de la fluidité, de la créativité dans la vie quotidienne. Chaque individu devenait maître de sa vie. La phrase avait un caractère séculier et chrétien, les deux à la fois. Depuis plusieurs décennies déjà, les théologiens chrétiens avaient montré que Jésus nous a laissé un seul précepte : l’amour. C’était une libération ! La chanson All we need is love a été composée par John Lennon pour l’émission Our World, diffusée dans 17 pays le 25 juillet 1967. C’était une première mondiale sur le plan d’une diffusion en direct qui utilisait la nouvelle technologie des satellites. L’événement et la devise « Amour, amour, seulement l’amour » participaient à l’émergence d’un nouveau temps qui commençait, un temps de liberté.

La diffusion internationale du film Home, du réalisateur Yann Arthus-Bertrand et du producteur Luc Besson, le 5 juin 2009, a consolidé l’émergence d’une conscience mondiale que l’humanité est responsable de la santé de la Terre. Le film appelle à un nouveau rapport à la Terre pour le bien-être des générations à venir et pour la survie de l’humanité. Le narrateur énonce qu’« il est trop tard pour être pessimiste » : il faut agir autrement et maintenant. Présenté comme une première mondiale sur le plan de la diffusion, il a été retransmis le même jour dans 127 pays, traduits en 23 langues, à la télévision, en salles, en DVD, rendu disponible gratuitement sur Internet et sur YouTube (en quatre langues).

En 1967, on intégrait à la vie quotidienne la seule norme de l’amour ; en 2009 s’élève la responsabilité d’avoir à préserver la santé de la Terre. Dans le premier cas, la théologie chrétienne avait précédé et préparé le discours social, dans le deuxième, elle ne la suivait pas encore. Certes, l’écoféminisme théologique et l’écothéologie existent depuis plusieurs décennies. Ils demeurent cependant à ce jour des courants marginaux de la théologie chrétienne enseignée dans les universités.

On peut construire un deuxième lien entre les années 1960 et les années 2000 en ce qui concerne la résistance.

Mai 1968 a touché l’Occident. Il a remis en question les abus de pouvoir dans les relations hiérarchiques. Ce mouvement de réforme profonde a surgi de la base et il a réussi. Conjugué à d’autres forces convergentes telle la nouvelle devise « L’amour, l’amour, seulement l’amour », il a changé concrètement la vie quotidienne. Il a fait prendre conscience de l’autoritarisme dans les relations entre professeurs et étudiants, entre hommes et femmes, entre parents et enfants, entre patrons et employés. Il a remis en question ce mode de relations.

En 1968, Daniel Cohn-Bendit était un chef de file du mouvement de révolte étudiante à Paris. Le 8 juin 2009, le même homme a été élu au Parlement européen sous la bannière du Parti « Groupe des Verts/Alliance européenne libre ». Aujourd’hui, Daniel Cohn-Bendit soutient qu’il faut en finir avec Mai 1968. Et il a raison. Pourquoi ? Parce que Mai 1968 a modifié les rapports hiérarchiques, mais à l’intérieur du mode de vie de consommation et de recherche du confort matériel qui, eux, n’ont pas été remis en question. Il faut aujourd’hui changer les structures qui supportent les modes de la vie occidentale pour la lutte contre les systèmes d’oppression et pour la survie de la planète, et cela passe par le partage équitable des ressources et des richesses sur le plan mondial.

Dans quel temps vivons-nous ?

Un élément marquant du temps présent est le fait que l’écart entre les plus riches et les plus pauvres augmente significativement. La richesse se concentre dans les mains d’un nombre de plus en plus restreint d’hommes. On sait que les hommes possèdent 99 % des richesses et les femmes, 1 %. Soulignons qu’en 2010, 388 milliardaires possédaient 50 % des richesses mondiales ; en 2014, c’était 80 milliardaires qui possédaient cette richesse, ils étaient quatre fois moins, et leur nombre continue de diminuer. La même année, 1 % de la population mondiale possédait 48 % des richesses ; et, sous un autre angle, 80 % de la population mondiale se partageait 5,5 % des richesses. 4

Selon le Rapport 2015 des objectifs du Millénaire pour le développement produit par les Nations Unies, en 2015, « 800 millions de personnes vivent […] dans une extrême pauvreté et souffrent de la faim », et « Environ 16 000 enfants meurent chaque jour avant leur cinquième anniversaire, le plus souvent de causes évitables ».

En ce qui concerne la Terre, les choix politiques des deux prochaines décennies seront cruciaux pour son avenir : ils décideront si le réchauffement de la planète au cours du prochain siècle se situera entre 2 et 6 degrés. Plusieurs ont déjà dit que le problème, dans le domaine de l’écologie, est que nous ne croyons pas ce que nous savons. 5

Le mode de résistance des années 1960 a déclenché des changements culturels qui ont touché les masses, mais cela, à l’intérieur de la logique occidentale des systèmes de subordination. Plusieurs auteurs utilisent le terme « postmodernité » pour désigner une nouvelle période dans laquelle nous serions entrés depuis les années 1990, caractérisée par l’augmentation de l’individualisation et de la différenciation. Je préfère dire que nous vivons dans un « entre-temps » (an in-between time, Rosi Braidotti), entre, d’une part, ce qui n’est plus, ce dont nous ne voulons plus, une configuration qui a produit un extrême déséquilibre de la répartition des ressources entre les humains et qui menace la survie sur la planète, et, d’autre part, ce que nous préparons par des actions multiples, ce qui vient en avant et que nous ne connaissons pas encore.

Nous vivrions dans un entre-temps.

La résistance appropriée à cet entre-temps consiste à travailler à changer les structures des systèmes de domination.

La résistance est systémique

Je me rallie à la position de la philosophe féministe, européenne, Rosi Braidotti selon laquelle le point de vue féministe suppose une grande hypothèse, une grande explication, parce qu’il s’appuie sur l’idée (impossible) du groupe des femmes. En effet, une des contradictions internes du féminisme est que l’on sait qu’un groupe homogène des femmes n’existe pas, alors que demeure effectif le slogan : « Une femme n’est pas libérée si toutes les femmes ne sont pas libérées ».

Il se produirait ceci : dans cet entre-temps, dans cette phase avancée de la modernité, les autres de l’Homme Blanc apparaissent. D’origine européenne et coloniale, il avait bâti son assurance sur la domination de ses autres, de ses ombres, sur la domination du corps par le mental, de la matière par l’esprit. Il se passerait donc ceci : que les autres, les ombres, de cet homme d’origine européenne, chrétienne et conquérante, émergent. Il s’agit des femmes et des personnes non hétérosexuelles (les autres sexuels de cet homme), de ses autres ethnies, des Autochtones, des Métis (les autres de l’impérialisme européen et étatsunien), de la Terre (l’autre de la techno-science).

Mais quand ces autres personnes se lèvent, elles se trouvent soumises, elles aussi, à la consommation et aux structures de subordination. Elles ne parlent pas nécessairement dans leur propre intérêt. D’où la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons : nous assistons dans le même temps à une augmentation de libérations et à une augmentation d’oppressions spécifiques. Pensons à de nouvelles formes de traite humaine et à ce que R. Braidotti appelle le capital comme cocaïne.

Le réalisateur du film Home a expliqué qu’il n’avait pas traduit le titre en français parce que le terme home serait beaucoup plus large et évocateur que maison en français. Je vais faire autrement, ici, et employer le mot maison, en lui donnant un sens très large. Je propose cette hypothèse : un élément qui distingue la résistance des années 2000 de celle des années 1960 est notre conscience actuelle que nous habitons « une maison phallo/techno/coloniale ». Résister, c’est prendre position et c’est en refuser les effets. Les défis des unes et des autres ne sont pas les mêmes selon les positions que nous occupons. La résistance appropriée à notre temps consiste à refuser les structures entrecroisées d’altérité de « la maison phallo/techno/coloniale » que nous habitons ; elle consiste à contester son organisation des relations entre les humains et entre les humains et la Terre.

Une parole de Gayatri Spivak apparaît particulièrement signifiante. Elle dit aux personnes qui tirent des bénéfices de ces modes de relation : « Nos privilèges sont notre perte ». À l’inverse, le fait de travailler contre ces avantages est notre libération personnelle, politique et spirituelle. Dans le même sens, au début des années 2000, Chico Whitaker, un des cofondateurs du Forum social mondial, proposait cette cible aux personnes engagées dans la résistance : il faut « apprendre à désapprendre ». Cela veut dire que les personnes actrices du changement des relations ne sont pas celles qui savent, on pense ici surtout aux personnes privilégiées. En terme théologique, « elles ne sont pas les saintes » (Rosemary Radford Ruether). Dans le feu de l’action, elles ne visent pas d’abord à éduquer leurs partenaires, à leur faire prendre conscience de ce qu’elles ont compris. À l’inverse, elles sont plutôt disposées à apprendre des autres et à travailler sur leurs propres contradictions comme moteur de la transformation.

La résistance est systémique. 

Et cela n’est pas une chose si facile à intégrer. Un activiste québécois qui œuvre dans le domaine de l’environnement depuis quarante ans, et théologien, racontait une expérience insolite qu’il a faite pendant toutes ses années d’engagement sur le terrain. Il disait que, souvent, le meilleur plan d’action ne donnait pas les résultats escomptés pour des raisons inconnues, parce que tout change, à cause des imprévus ; alors qu’à l’inverse, un problème que l’on croyait inévitable se résolvait par lui-même pour des raisons inconnues, parce que tout change et à cause des imprévus. La pensée calculatrice ne répond pas complètement aux logiques de la résistance de type systémique.

Quand une femme a atteint une situation qu’elle considère comme enviable, qu’elle considère comme une libération pour elle (dans sa vie professionnelle, dans sa vie intime ou encore dans sa vie d’activiste), il arrive que les chemins de l’inconscient phallocentrique la rattrapent au moment où elle s’y attendait le moins, et la lutte est à recommencer. Quand une personne croyait avoir changé son rapport de maîtrise de la Terre, voilà que l’activité mentale reprend le dessus, et un nouveau travail sur soi est à faire.

Changer le rapport entre l’esprit et la matière est crucial et urgent. L’écoféminisme nous a appris l’orientation de cesser d’appuyer nos vies exclusivement sur le calcul mental ; d’apprendre à entendre les systèmes corporels, matériels de la Terre.

La résistance est matérielle

« Le personnel est politique », cet autre slogan féministe, celui-là de la fin des années 1960, a rejoint aujourd’hui tous les domaines. Pour Chico Whitaker, « […] il n’y aura pas de changements structurels durables dans nos sociétés » si la société civile n’y participe pas, « s’ils ne sont accompagnés de changement à l’intérieur de nous-mêmes » 6. La féministe française Christine Delphy a trouvé une formule succincte pour énoncer que le changement à faire est à la fois structurel et personnel. Elle dit : « l’égalité n’est pas déjà là ». L’égalité est admise en principe, elle est inscrite dans les chartes, elle est là, mais en même temps, elle n’est pas là, elle n’est pas encore dans nos vies, elle reste à faire, à construire chaque jour, dans les formations culturelles et dans notre peau. L’écoféminisme nous a appris aussi que le changement qui passe à travers les corps des individus se produit par sauts, suivi de périodes d’intégration des nouveaux modes d’être. Dans les corps, il y a des paliers de stabilité. Le changement, dont il est question ici, se produit selon les rythmes des corps, il a une forme matérielle. Dans les groupes de résistance, on doit respecter les rythmes corporels des individus et il n’est pas toujours facile de le faire.

La résistance est multiple

La résistance appropriée à notre temps est systémique et matérielle. Elle est également multiple. Les grandes auteures postcoloniales et féministes nous disent qu’une forme de résistance pour notre temps consiste à faire l’éloge de la multiplicité, à encourager la diversité, à désapprendre la binarité. Mais, comme les auteures le soulignent, cette stratégie demeure délicate. Elle peut produire le contraire de l’effet recherché. Elle peut conforter le pluralisme ambiant selon lequel tout est acceptable y compris des relations sous le mode de la maîtrise.

Malgré ce danger, la stratégie qui consiste à se former à l’éloge de la multiplicité demeure importante pour briser les logiques dualistes qui soutiennent les relations de domination.

À partir de là, je propose, de manière imagée, trois stratégies de lutte contre la maison phallo/techno/coloniale que nous habitons, trois positions que l’on peut occuper dans la résistance : celles de la diaspora, de l’exil et de l’errance. Dans cet entre-temps, nous avons besoin d’attaquer cette maison de toute part, par différentes stratégies. Celles-ci peuvent être adoptées par des personnes ou par des groupes différents, mais aussi par les mêmes personnes ou les mêmes groupes successivement ou simultanément selon les luttes du moment. À mes yeux, il est crucial d’éviter d’opposer ces stratégies diverses les unes aux autres pour les faire jouer plutôt les unes avec les autres, entre les groupes ou à l’intérieur de soi.

L’image de la diaspora réfère à l’objectif d’inclusion des autres et des exclus, à l’intérieur du système : on demeure dans la maison, mais on change de position. Un exemple en est la revendication de l’accession à la prêtrise pour les femmes à l’intérieur de l’Église catholique ou encore la position de Daniel Cohn-Bendit qui choisit d’intervenir au Parlement européen. L’image de l’exil renvoie à la stratégie de produire de nouvelles manières d’être en marge du système, on sort de la maison. C’est le cas de la production de langages inédits à partir de l’expérience d’être femme. L’image de l’errance énonce la stratégie d’une réitération parodique de la loi symbolique qui peut déranger le système. On admet dans ce cas qu’on ne peut pas sortir de la maison, mais on cherche à déstabiliser ses fondements pour préparer un autre temps et de nouveaux rapports. Un exemple de cette stratégie est le paradoxe du féminisme auquel je référais plus haut : il s’appuie sur l’idée du groupe des femmes alors que nous savons qu’un tel groupe homogène n’existe pas. Ces trois images permettent de déployer une pluralité d’actions de résistance.

Sur le plan théologique, on peut lire cette diversité de stratégies de résistance, au Québec, dans la nomination de la Dieue chrétienne au féminin. Comme féministes chrétiennes, nous ajoutons un e au mot Dieu, une féminisation autorisée par la grammaire de la langue française. Le vocable de la Dieue est utilisé comme une résistance au patriarcat/phallocentrisme chrétien. Dans la logique de la stratégie de la diaspora, la nomination de la Dieue inclut les images de Dieu au féminin. Dans la logique de la stratégie de l’exil, elle crée une nouvelle idée qui n’existait pas encore, un divin chrétien féminin (jusqu’à soutenir que Marie est divine), elle produit quelque chose de neuf en marge de la tradition. Dans la logique de la stratégie de l’errance, le vocable de la Dieue répète le terme phallocentrique du Dieu avec un u, en lui faisant subir une légère modification, l’ajout d’un e, qui pourtant change tout ; dans cette perspective, il sera pertinent d’utiliser le vocable de la Dieue chrétienne tant qu’il étonnera, aussi longtemps qu’il sonnera une cloche, celle de construire une subjectivité féministe.

Nous avons besoin d’une diversité de stratégies de résistance ; de mettre en place une attaque plurielle de la maison que nous habitons ; de faire en sorte que cette attaque vienne de toute part. Le processus continu du Forum social mondial et du Forum mondial théologie et libération, qui ont pour devise « Un autre monde est possible » consiste à : « Accepter que les autres considèrent comme plus important ce que je considère comme secondaire, et [de] lutter à leurs côtés, en essayant même de me relier à eux, […] un effort qu’il n’est pas toujours facile à faire » 7. Dans cet entre-temps, un des défis de la résistance à la maison phallo/techno/coloniale consiste à articuler les diverses positions entre elles. Voilà un vrai défi, car les convergences entre les actions multiples de résistance ne sont pas déjà là. Elles sont mouvantes et il faut travailler à les construire.

L’amour ou la synthèse des caractéristiques de la résistance

Le Kairos est à la fois un moment de crise et un moment de grâce. C’est aussi un moment d’amour. Ce que chantaient les Beatles en 1967, Love, love, love. All you need is love, demeure une parole enthousiasmante aujourd’hui. L’amour qui transperce la poitrine demeure le moteur de la résistance des années 2000, une résistance systémique, matérielle et multiple ; une résistance appropriée à un entre-temps, qui ne contrôle pas, mais prépare ce qui sera demain ; une résistance qui insère de la liberté, de la fluidité et de la créativité dans la vie quotidienne ; une résistance personnelle, politique et spirituelle que nous accomplissons à partir de l’indignation, mais aussi dans la joie.

La résistance et L’autre Parole

Dans ce texte, j’ai tenté de clarifier quelques aspects qui me semblent cruciaux de l’action de résistance dans le temps présent. Mon travail s’est appuyé sur une vision théorique/politique étudiée dans la littérature féministe, mais également sur mon propre engagement féministe, surtout à L’autre Parole, la collective dont je fais partie depuis ma jeunesse et qui a été le lieu principal de mon apprentissage de la résistance féministe. Comme L’autre Parole a choisi pour thème de ce colloque la question de la résistance, voici un commentaire conclusif à propos de la collective que je désire formuler de façon très personnelle : j’aurai fait l’expérience à L’autre Parole d’une résistance systémique à travers la méthode de déconstruction / reconstruction que nous y mettons en œuvre ; d’une résistance matérielle à travers un travail de transformation de soi, individuelle et collective, favorisée par les rencontres régulières en petits groupes d’affinité, tournées vers la prise de conscience, la formation et les échanges féministes, ainsi qu’à travers les célébrations qui font s’incarner dans tout l’être subjectif et corporel les découvertes et les créations réalisées en groupe ; et d’une résistance multiple à travers l’insistance constante de la collective de dire et de redire que la « parole », à L’autre Parole, dans l’oralité, l’écriture ou la réécriture, exprime une et non pas la vérité, y compris dans les relations entre les membres du groupe qui valorise la multiplicité des expériences des femmes, de leurs analyses, de leurs positions et de leurs stratégies. Ce dernier point a été crucial à la longévité de L’autre Parole qui célèbre ses 40 ans en 2016. Il correspond également à une option stratégique de lutte contre les injustices. La trame des prises de conscience féministes qu’a tissée la collective au cours des années a suivi, en solidarité, celle d’un mouvement féministe social québécois. Un prochain défi consiste, à mon avis, à approfondir l’analyse des systèmes de domination et la manière dont ils s’articulent entre eux – l’on procède à cet approfondissement dans un mouvement féministe social québécois présentement. Cela conduit à relier plus étroitement que nous ne l’avons fait dans le passé les diverses luttes, notamment celles contre le sexisme, le racisme, le colonialisme et la domination de la Terre, et à faire de cette perspective le moteur des transformations individuelles et collectives à venir.

1. CÔTÉ, Guy, Résister. Le combat d’une espérance têtue, Montréal, Paulines, 1993, 68 p.
2. Voir Lise Baroni Dansereau et Yvonne Bergeron, « Pour une théologie de la résistance dans l’Église », dans AMBEAULT, A.,  L. BARONI DANSEREAU, Y.BERGERON et al., Dissidence, résistance et communion en Église, Montréal, Novalis, 2009, p. 51-53.
3. Ce qui suit est une version modifiée d’une partie d’une conférence donnée au rassemblement organisé par le groupe Kairos La fin du monde tel que nous le connaissons. Dieu merci ! The End of the World as we know it. Thank God!, Waterloo, Ontario, juin 2009.
4. Le Monde, La concentration des richesses dans le monde en graphiques, 19 janvier 2015.
5. À noter que lors de la COP 21 à Paris « le12 décembre 2015, un accord international sur le climat, applicable à tous les pays, est validé par tous les participants, fixant comme objectif une limitation du réchauffement mondial entre 1,5 °C et 2 °C
d’ici 2100. »  https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9rence_de_Paris_de_2015_sur_le_climat (24-04-2016). Cependant, les États ne se sont pas entendus sur des contraintes pour atteindre cet objectif.
6. WHITAKER, Chico, Changer le monde, Paris, Éditions de l’Atelier, 2006, p. 24.
7. WHITAKER, Chico. Ibid, p. 54.