LA THÉOLOGIE DE LA DIACONIE EST NÉGATIVE POUR LES FEMMES
Louise Melançon – Myriam1
Dans le numéro de Concilium de septembre 1988 dont le thème est: La diaconie – Une Église pour les autres, Fiorenza introduit le point de vue critique féministe autour de deux points majeurs:
1 Le premier se résume ainsi: l’ecclésiologie de service cache la réalité du statut ministériel subalterne et secondaire des femmes, en cachant l’inégalité institutionnelle d’une église hiérarchique:
« Dans une situation ministérielle d’inégalité institutionnelle, la théologie du ministère comme service et l’ecclésiologie de service qui la sous-tend contribuent à intérioriser et à légitimer le statu quo patriarcalo- hiérarchique en termes théologico-spirituels » (p. 113).
L’auteure montre, en effet, que « la théologie de la diaconie » représente un courant progressiste qui vient d’une conception des rapports de l’Église au monde souvent exprimée depuis Vacican II, mais lequel courant n’a pas critiqué les soubassements sociaux de son langage à savoir que « la théologie de service a des implications différentes pour les hommes et les femmes, les ordonnés et non-ordonnés, les puissants et les sans-pouvoir » (p. 111). Le développement de cette théologie en même temps que la pénurie de prêtres a produit une explosion de ministères spécialisés qui ont d’ailleurs permis la participation sans précédent des femmes à diverses tâches pastorales. Mais, conformément au droit canon, les femmes sont limitées fin raison de leur sexe dans les pouvoirs qu’elles peuvent exercer – en même temps qu’elles sont considérées comme bénévoles ou sous-payées. Voilà la réalité que cache la théologie de la diaconie et donc, en conséquence, sa fonction idéologique.
Cette théologie, toujours selon Fiorenza, est d’autant plus contestable qu’elle s’agence parfaitement, dans notre culture occidentale, au mythe de la « vraie condition féminine » de telle manière que les femmes sont socialisées pour l’amour désintéressé, pour accomplir des services gratuits en famille et des services bénévoles dans la vie publique. Mais cette théologie a aussi des soubassements classistes, racistes et colonialistes: « La société patriarcale a aussi besoin pour fonctionner d’une « classe serve », d’une « race serve » ou d’un « peuple serf », qu’il s’agisse d’esclaves, de serfs, de domestiques, de coolies ou de nounous: (p. 115). De cette manière les femmes sont aussi impliquées dans l’exploitation d’autres femmes.
Finalement, le mythe de la féminité est en réalité vécu par un petit nombre de femmes des classes supérieures qui ont le moyen de le vivre, alors que les travailleuses des basses classes, ou des classes moyennes, doivent supporter toutes les tâches, à la fois de la domesticité et du travail à l’extérieur de la maison. C’est ainsi que le discours théologique sur le ministère de service ne contribue pas à abolir les divisions de race, de classe et de sexe, mais plutôt les camoufle et les perpétue.
2 Le deuxième point majeur soulevé par Fiorenza concerne l’utilisation que les féministes chrétiennes font de cette théologie du service.
Certaines continuent de considérer la diaconie comme une catégorie essentielle. Soit qu’en s’appuyant sur l’étymologie qui marque une différence entre la diaconie (diakonia) et le servage (doulela), elles considèrent la diaconie comme un choix libre de se mettre au service de … comme l’a fait Jésus, et donc une libération. À cela Fiorenza réplique: les gens privés de pouvoir dans la culture et l’Église patriarcales ne sont pas à même de « choisir librement » cette condition … À ce moment les féministes chrétiennes étendent le double langage à celui de la libération et le récupèrent. Soit qu’elles interprètent le ministère du Christ « serviteur-souffrant » comme une contestation du pouvoir-sur par un pouvoir-pour … Mais, répond notre auteure, cela n’empêche pas l’Église patriarcale de continuer d’exercer son ministère comme pouvoir-sur: « Elle demeure structurée en une hiérarchie de dualisme des pouvoirs: ordonnés/non-ordonnés, clercs/laïcs, religieux/séculiers, Église/monde (p. 118).
Solutions
Fiorenza propose alors deux directions pour en sortir:
1- utiliser plutôt la catégorie biblique oikodonia: « édification de la communauté » qui est attribuée dans le Nouveau Testament à toutes les fonctions ecclésiales de direction, apôtres, prophètes, assitant(e)s, coopérateurs-trices et collaborateurs- trices missionnaires.
2- La notion de diaconie devrait être réservée pour contester ceux qui ont le pouvoir effectif et les privilèges dans l’Église et la société patriarcales, conformément à son usage évangélique (cf. le logion de Me 10, 42-44) qui vise le contraste entre les structures sociales de domination et les « communautés de disciples égaux ». La théologie de la diaconie reflète plutôt l’autre tradition de Luc, et post-paulienne, qui a cessé de comprendre le paradoxe radical des premières communautés.
Et Fiorenza de conclure:
« Le ministère ne doit plus être conçu comme « service » mais doit être entendu comme « égalité par le bas » en solidarité avec ceux qui luttent pour leur survie, pour l’amour et pour la justice » (p. 120).
1 Ce texte est un compte-rendu de l’article « Servir à table ». Une réflexion de théologie critique féministe sur la diaconie parue sous la signature de Elisabeth Schùssler Fiorenza dans la revue Concilium, no 218, septembre 1988, pp. 109-120.