L’Association des religieuses pour les droits des femmes, une histoire d’engagement féministe

L’Association des religieuses pour les droits des femmes, une histoire d’engagement féministe

Marie-Paule Lebel, sœur Auxiliatrice

L’Association des religieuses pour les droits des femmes (ARDF) est une histoire de conscientisation, d’alliances et de mobilisation, de recherches d’alternatives libératrices, une route parsemée de petites et de grandes victoires, une longue marche qui a inscrit l’association dans l’incontournable mouvement féministe.

Dans la foulée de l’Année internationale de la femme en 1975 et de la Décennie des femmes de 1976 à 1986, les religieuses répondent à l’invitation des Supérieures générales (UISG) de participer à ce grand mouvement visant à mieux s’informer de la condition féminine dans la société et dans l’Église et d’agir en conséquence. Ainsi, un « Groupe de travail sur la condition de la femme », composé de religieuses et de laïques dont Élisabeth Lacelle, membre de l’équipe fondatrice, permet de sensibiliser et de mobiliser les communautés religieuses francophones à travers tout le Canada. Un « signe des temps » où d’autres groupes de femmes prennent leur envol. Signalons, entre autres, l’émergence de L’autre Parole en 1976, à l’initiative de quatre fondatrices dont Monique Dumais, membre également de l’ARDF.

Mais à la fin de la Décennie des femmes (1985), l’UISG avise les congrégations qu’elle ne marraine plus cet engagement. Que faire alors de tout ce travail collectif assumé avec passion et détermination depuis dix ans, qui est rassembleur et qui fait sens ? En 1986, une assemblée préparée permet d’établir un consensus, celui de continuer le travail ensemble et de créer une association incorporée civilement, regroupant des membres majoritairement du Québec, mais aussi du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario.

Refondation et rupture d’alliance

En ce début de refondation, la visée de l’Association des religieuses pour la promotion des femmes est de travailler dans une perspective évangélique et selon les charismes des divers instituts, à la promotion des femmes – religieuses et/ou laïques – dans l’Église et dans la société. L’énoncé illustre l’enracinement bien réel des femmes engagées dans le réseau depuis 1976. Mais le passage du Groupe de travail à une organisation associative se confronte à des choix déchirants. En effet, pour donner leur accord, des Supérieures générales de congrégations exigent que l’Association soit reconnue par la Conférence religieuse canadienne (CRC). Conséquence : il devient impossible d’affilier des laïques à la CRC.

Quelle perte ! Un deuil jamais résorbé au fil du temps, car la question revient régulièrement dans les assemblées de l’ARPF : pourquoi ne pas accueillir des laïques à titre de membres alors que nous travaillons en étroite collaboration avec elles dans d’autres secteurs alors qu’elles font partie du « nous » en tant qu’associées ? N’y a-t-il pas là une erreur historique ?

Conscientisation et formation

L’ARPF accomplit un travail de conscientisation d’abord à l’intérieur des communautés religieuses de ses membres puisque, en tant que femmes, les religieuses sont soumises au même diktat du patriarcat que les femmes dans la société. Pour ce faire, il y a trois défis à relever :

  • aller plus loin dans la conscientisation des congrégations ;
  • développer une spiritualité féministe ;
  • se solidariser avec les femmes les plus vulnérables.

La formation et les communications, notamment par le bulletin Reli-Femmes, sont les moyens privilégiés pour avancer dans ce grand chantier féministe. Chapeau à toutes les équipes de rédaction du bulletin Reli-femmes pour la qualité de sa présentation et de son contenu : texte de fond sur des problématiques de l’heure, appel à l’engagement, nouvelles de la vie et de l’implication des membres dans les régions, etc. Les 92 numéros sont remis numérisés aux Archives nationales du Québec.

Dès 1992, des membres de l’ARPF sont directement impliquées dans la conception et l’animation des sessions Violence en héritage proposées par le comité des affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec. Dans le prolongement de ces sessions, une autre formation prend forme : Dieu, l’argent, l’histoire et l’oppression des femmes, préparée conjointement par l’ARPF, le Réseau des répondantes diocésaines, le Réseau œcuménique des femmes du Québec et le Réseau des équipes de Violence en héritage. Plusieurs communautés religieuses, tant actives que contemplatives, vivent ces formations comme une « révélation » du système d’oppressions auquel elles sont soumises, elles et tant d’autres femmes, suscitant d’un même mouvement la pertinence d’agir !

Agir d’abord chez nous

L’ARDF s’est donné l’orientation d’agir d’abord chez nous par la transformation de nos propres structures de congrégation. Mentionnons le passage significatif d’un leadership pyramidal à une approche et à des usages démocratiques et décentralisées, à un leadership circulaire par les procédés suivants : adopter le consensus comme mode habituel de décision, passer d’un conseil de direction à une équipe de coordination, du titre de supérieure à animatrice dans les communautés. Que dire de la lutte pour un langage inclusif dans la société et plus encore dans l’Église, où la liturgie et les prières communautaires deviennent le lieu de vigilance et de résistance. Toutes ces prises de conscience sont le fruit d’une analyse critique soutenue et alimentée par l’Association tout au long de sa trajectoire.

À des moments clés de certains débats de société, l’Association développe son propre argumentaire et prend position en tenant compte de ce que nous sommes : des femmes religieuses citoyennes. C’est ainsi que nous justifions notre appui à la Marche mondiale des femmes de l’an 2000 alors que, dans des milieux d’Église, cette initiative pose quelques problèmes supposément éthiques, tels l’homosexualité et l’avortement. Dans un texte intitulé Comme religieuses, pourquoi marcher ?, nous affirmons notamment : « Comme sœurs de toutes les femmes du monde, nous marcherons pour la libération de tout ostracisme et de toute discrimination ». Évoquant les femmes marginalisées en raison de leur orientation sexuelle et celles qui recourent à l’interruption de grossesse, nous préférons reconnaître ces femmes avec respect plutôt que de porter un jugement sur leurs choix. Nous reconnaissons le lot de pauvreté, de violence et de discrimination au cœur de plusieurs de ces vies et convenons d’inclure ces personnes « dans la caravane de libération en route vers la terre promise de l’égalité et de l’inclusion » (Déclaration de l’an 2000, Comme religieuses pourquoi marcher ?).

Décidément, se questionne Céline Beaulieu : « Si l’ARDF n’avait pas existé, où en serait la conscience féministe dans les communautés religieuses ? Quels seraient nos liens avec le mouvement des femmes ? Où en serions-nous par rapport à ce courant transformateur qu’est le féminisme ? »  (Reli-femmes, no 92, mai 2018).

Le relevé des différentes problématiques abordées lors des Assemblées générales annuelles ainsi que des plans d’action démontre combien les membres sont arrimées aux questions de l’heure, soucieuses d’en comprendre les enjeux et de décider de nos lieux et modes d’intervention, généralement avec d’autres réseaux.

Des alliances avec des groupes féministes de la société civile

Conscientisée au vécu d’oppression des femmes, notre militance avec d’autres groupes se déploie au fil du temps. Et par souci de cohérence, la mission de l’Association est reformulée :

En alliance avec d’autres réseaux,

  • poursuivre le processus de conscientisation au vécu d’oppression des femmes ;
  • participer à la transformation des rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes ;
  • contribuer à bâtir une société et une Église où la dignité, l’égalité et l’autonomie des femmes seront reconnues et respectées.

Les plans d’action, actualisés annuellement, précisent les objectifs résultant d’une analyse critique des défis auxquels les femmes sont confrontées, des actions à poser et avec quels réseaux nous solidariser. Voici quelques objectifs récurrents : promouvoir des conditions économiques adéquates pour satisfaire les besoins essentiels des femmes, approfondir notre analyse sur les liens entre la pauvreté, le système néolibéral et ses impacts sur la vie des femmes, lutter contre toutes les formes de violence faite aux femmes, dans une perspective écoféministe, nous engager dans la recherche du bien commun en agissant contre la privatisation des ressources et pour leur utilisation équitable, au nom de la dignité des personnes, lutter contre toute discrimination notamment contre l’exploitation du corps des femmes, promouvoir la pleine participation des femmes en Église.

À la lumière de toutes ces implications, nous prenons conscience que notre engagement n’est plus dans l’ordre de la promotion des femmes, mais bien dans la défense de leurs droits. D’où le changement de nom en 2010 : L’Association des religieuses pour les droits des femmes (ARDF).

Partie prenante du mouvement des femmes

Dès 1993, l’Association s’affilie à la Fédération des femmes du Québec (FFQ) et, sur demande de celle-ci, Gisèle Ampleman est déléguée au Conseil d’administration.  Sa présence à cette instance est l’occasion pour l’Association de s’impliquer dans l’organisation et dans la réalisation de la Marche du Pain et des roses en 1995, appuyant publiquement les revendications contre la pauvreté. Ainsi, le mouvement des femmes découvre des religieuses féministes solidaires de leurs combats et les sœurs ont l’occasion de côtoyer la dure réalité des femmes appauvries, autochtones et immigrantes. Il en a été de même en l’an 2000 pour la Marche mondiale des femmes, du Québec jusqu’à la clôture à New York, où des membres de l’ARDF pédalent dans les rues pour transporter et présenter à la Secrétaire générale adjointe des Nations Unies les 5 084 546 cartes venant de partout à travers le monde. Le message ? Exiger des décideurs politiques et économiques un changement de cap radical au niveau mondial pour mettre un terme définitif à la pauvreté et à toutes les formes de violence envers les femmes.

L’Association, tant au plan national que régional, répond « présente » aux événements successifs de la Marche mondiale des femmes (MMF) et fait siennes les valeurs de sa Charte : égalité, liberté, solidarité, justice et paix. L’ARDF a toujours une déléguée à la Coordination du Québec de la marche mondiale des femmes (CQMMF).

Parmi les autres réseaux de solidarité, l’Association se joint à la collective fondatrice de la Coalition nationale contre les publicités sexistes (CNCPS), représentée par Jeannine Cornellier, défenderesse de la cause jusqu’à son dernier souffle ! D’autres alliances font partie de notre solidarité, telles que les Femmes autochtones du Québec (FAQ), le Comité d’action contre la traite des humains à l’interne et à l’international (CATHII), la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), L’autre Parole, Femmes et ministères, le Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ), le Collectif pour un Québec sans pauvreté et d’autres réseaux selon les conjonctures civiles ou ecclésiales.

Les implications concrètes des membres dans neuf régions du Québec et une région du Nouveau-Brunswick enracinent nos solidarités dans des milieux et dans des situations très concrètes. Voilà un chemin de pérennité alors que l’Association, bien que dissoute légalement, mais fonctionnant dans une formule « allégée » – notre réalité démographique et conjoncturelle oblige – continue de travailler en partenariat avec des groupes féministes pour la défense des droits des femmes.

ARDF – Légende du logo

Le nouveau nom de l’Association nous a amenées à la création d’un nouveau logo. Selon la visée de l’Association des religieuses pour les droits des femmes, un trait spécifique de celle-ci est d’être en alliance avec d’autres réseaux. Pour représenter cette réalité, deux formes, quadrangulaire et circulaire, s’imbriquent l’une dans l’autre, représentant deux mondes qui se rencontrent et qui sont étroitement liés l’un à l’autre : l’Association et les groupes de femmes avec lesquels elle actualise son alliance. Dans le dessin, il est aussi possible de voir, en intersection, un « D » inversé et le symbole des femmes et d’y lire la référence aux droits des femmes.