L’autre Parole en fête.
Yvone Gebara
Camaragibe – Brésil
Dès que j’ai entendu parler de « L’autre Parole » une joie s’est faite en moi. Avec d’autres amies, du sud et du nord de notre monde, je cherchais cette autre parole depuis très longtemps. Elle nous habitait et nous ne savions pas l’exprimer. Elle nous brûlait les entrailles et nous ne savions pas comment la faire sortir. Elle était parfois comme un aiguillon dans notre chair et nous ne savions pas comment l’enlever. Elle était désir de liberté et douleur de silence imposé.
Depuis le début du monde, « L’autre Parole » nous habitait. Elle était en nous depuis le commencement, mais elle n’avait pas pu se manifester. Elle était en nous, elle était aussi nous, mais les forces de la lumière blanche aveuglante, de la lumière toute puissante ne lui ont pas permis de se manifester. Elle a été rejetée, est devenue un objet de moquerie, un bouc émissaire pour les maux du monde!
Dès que j’ai entendu parler de « L’autre Parole » une joie s’est faite en moi. Ce n’était pas une joie comme celle donnée par la consommation capitaliste, ce n’était pas la joie d’une promesse céleste, ce n’était pas un mariage d’intêret, mais c’était un tressaillement profond, une espèce de grossesse venue de la Terre, une grossesse collective qui portait un fruit caché depuis « la fondation du monde ».
Dès que j’ai entendu parler de « L’autre Parole » une joie s’est faite en moi.
La trouver, essayer de l’approcher, de connaître son histoire collective fut comme la rencontre d’Élisabeth et de Marie, deux femmes enceintes d’avenir, deux femmes enceintes d’espérance. Ce fut comme si Marie avait traversé des mers et des océans pour trouver Élisabeth ou comme si Élisabeth cherchait à trouver Marie malgré les montagnes et les vallées qui les séparaient. La petite semence habitait chaque corps et, dans l’enfouissement de la vie, elle cherchait à germer comme une « petite bonne nouvelle » qu’on partage avec un regard, avec un baiser, avec un geste discret, avec une complicité silencieuse.
Dès que j’ai entendu parler de « L’autre Parole » une joie s’est faite en moi.
« L’autre Parole » est née cette fois-ci dans un coin particulier du monde, dans une crèche québecoise, il y a 25 ans. Les mères l’ont enveloppée de tendresse, de soin, de chaleur et lui ont permis de grandir au milieu des adversités du temps présent. L’annonce de sa naissance fut joie pour beaucoup et inquiétude pour certains. Les armées du Pharon et aussi les soldats d’Hérode ont voulu la tuer. Plusieurs sont venus se demandant si cette « parole » était vraiment « autre » ou si elle était la « même » de toujours, à peine déguisée en nouvauté. Les mères ne prenaient pas la peine de répondre mais elles continuaient de « la » faire grandir et de l’appeler simplement « autre Parole ». Elle devait être autre Parole, autre Pouvoir, autre Ecriture, autre Lecture, autre forme d’aimer.
Dès que j’ai entendu parler de « L’autre Parole » une joie s’est faite en moi.
La « jeune parole » se liait d’amitié à d’autres paroles nées dans d’autres coins du monde. Elle s’est faite l’alliée des persécutées, des prostituées, des mal aimées… Elle a entendu les clameurs des souffrantes de toute sorte de violence… Elle a partagé son pain, elle a communiqué son espérance, elle a essuyé des larmes… Elle a pleuré, beaucoup pleuré… des larmes de joie et des larmes de tristesse mêlées à la Terre de la Vie, à la Terre Vie.
Elle a vu des estropiés qui ont été tués, elle a vu le pain nié a tant d’enfants, elle a vu des femmes battues, elle a vu la terre qui lui a donné naissance disputée par les forces du profit. Elle a vu des corps de sa propre chair abandonnés dans les prisons du monde, elle a vu d’autres corps interdits de trouver place sous le soleil.
Dès que j’ai entendu parler de « L’autre Parole » une joie s’est faite en moi.
Depuis le commencement cette parole s’est faite chair partout, et on essaye de la tuer toujours à nouveau. Et, encore une fois, elle s’est faite chair entre tant d’autres qui sont nées dans notre monde.
Depuis 25 ans, elle est devenue, au Québec, une jeune parole, une parole de femmes, « souffle de femmes », grâce de femmes, rire de femmes dans la Sagesse aux mille visages qui nous a été donnée. Elle s’est voulue de Dieue, aimée depuis toute création, nourrie par l’Esprit de tendresse, ressuscitée après chaque mort et chaque souffrance.
Dès que j’ai entendu parler de «L’autre Parole » une joie s’est faite en moi.
La jeune « parole » a sa place entre les prophétesses et les prophètes de notre temps, entre celles et ceux qui collectivement n’ont pas peur de dénoncer les tout puissants empires politiques et religieux.
Elle parle à ceux qui chargent le dos et le corps des femmes de culpabilité, à ceux qui contrôlent leur plaisir et leurs possibilités de bonheur, à ceux qui imposent leur dieu et leurs rites d’adoration, à ceux qui ne leur paient pas leur dû, qui ne reconnaissent pas leur savoir avec ses immenses possibilités.
Dès que j’ai entendu parler de « L’autre Parole » une joie s’est faite en moi.
Ma joie vient aussi de leur joie de vivre, de célébrer la vie, les événements petits et grands, joyeux ou tristes. Elles ont appris la « fête », la fête des « prudentes » qui, cette fois, ont partagé leur huile avec les folles. Elles ont appris aussi « la fête » des folles qui ont su partager sa folie pour rendre plus belle la sagesse des « prudentes ». Elles ont engendré des célébrations, de nouvelles célébrations de la vie pour rappeller que la vie est aussi fête et que cette fête, belle et triste, vaut d’être vécue.
Dès que j’ai entendu parler de « L’autre Parole » une joie s’est faite en moi.
« Autre Parole », Parole de femmes , Écriture de femmes, souffle provisoire et éternel, souffle qui meurt et qui ressuscite pour toujours. Ce souffle sera parmi nous jusqu’à la fin du monde.
Bonne fête, chères amies, amies qui avez donné naissance à ce souffle de vie qui nous nourrit de loin et de près. Merci d’être là avec une « autre Parole ». Merci d’être présentes au rendez-vous de l’Histoire des passionnées et passionnés pour la Justice et l’Amour. Merci de nous provoquer à croire au vin de la fête, de la justice et de l’espérance.
Je bois un verre à votre santé et au bonheur d’être, avec vous, à la recherche sans fin de « L’autre Parole ».