Le Coran lu par Asma Lamrabet, une lecture qui construit des ponts
Recension du livre Le Coran et les femmes, une lecture de libération Paris, Tawid, 2007
Johanne Philipps *
Asma Lamrabet est d’origine marocaine. Elle préside le Groupe international d’étude et de réflexion sur Femmes et Islam (GIERFI).1 Médecin, elle travaille actuellement au Maroc après avoir exercé sa profession durant plusieurs années en Amérique latine. Le Coran et les femmes, une lecture de libération est son troisième ouvrage. Elle a écrit auparavant un premier livre intitulé Musulmane tout simplement paru en 2002 et un deuxième ouvrage, Aïcha, épouse du prophète ou l’islam au féminin. Elle a participé également à l’ouvrage collectif : Québécois et musulmans main dans la main pour la paix, publié aux éditions Lanctôt en 2006.
En introduction, Asma Lamrabet affirme que les femmes musulmanes sont prises au piège entre les discours colonialistes, qui les dépeignent comme des victimes en attente d’une libération venant de l’Occident, et les discours islamiques traditionnels qui les oppressent au nom du religieux. L’ouvrage de madame Lamrabet permet de sortir de ces visions étroites. Pour les lectrices occidentales non musulmanes, cette lecture est une invitation à remettre en question des visions hégémoniques ; elle permet de découvrir le statut de sujet de nos soeurs musulmanes qui possèdent une culture qui leur est propre, à partir de laquelle elles peuvent prendre la parole. Pour les femmes musulmanes, elle redonne accès à un héritage, voire même à un pouvoir, confisqué par des traditions patriarcales et misogynes. La lecture de libération faite par madame Lamrabet est une forme de contestation qui prend forme et surgit à l’intérieure même de l’islam. Elle vise à déconstruire les interprétations patriarcales du texte afin de mettre à jour les perspectives libérantes qu’il contient. Elle rend compte de la force d’émancipation que peut constituer le Coran pour les femmes si son interprétation n’est pas réduite à une fonction de consolidation du pouvoir patriarcal.
Pour y arriver, tour à tour l’auteure visite, avec érudition, le Coran et les hadiths (recueil des actes et paroles de Mahomet) qui alimentent la tradition. L’auteure commence par revoir les interprétations de la création qui contribuent à subordonner les femmes. Elle nous montre que l’exégèse islamique a été influencée par les traditions judéo-chrétiennes entourant le récit de la conception d’Ève à partir de la côte d’Adam. Cela même si un tel récit n’est pas dans le Coran. Celui-ci, cependant, contient plusieurs images de femmes. Ce qu’il en dit constitue la première partie du livre de Asma Lambaret. Elle nous montre ces femmes, dont la présence est incontestable dans le Coran, qui ne sont pas associées à des rôles d’épouse et de mère, ce qui contraste avec la vision des femmes qui s’est développée dans l’islam. Ainsi, elle défait les discours qui nient aux femmes la capacité d’assumer des rôles de leadership dans le but d’assurer la suprématie des hommes. Par exemple, l’auteure nous fait voir comment le Coran présente la reine de Saba comme un modèle de dirigeante capable de consulter et de freiner les ardeurs belliqueuses pour préférer la paix.
Dans une deuxième partie, intitulée Quand le Coran parle aux femmes, madame Lamrabet nous présente des épisodes dans la vie du prophète durant lesquelles les femmes ont fait des revendications et se sont plaintes de l’invisibilité dont elles étaient l’objet. La lecture de l’ouvrage nous permet de découvrir comment les femmes ont dû elles aussi vivre des moments d’exil. L’auteure nous révèle comment leur participation politique lors de l’émergence de l’islam est reconnue à travers divers versets du Coran et des premiers écrits de la tradition. Elle appuie son propos en nous renseignant sur la participation des femmes à des cérémonies d’allégeance. Il y a donc eu une implication politique des femmes et une reconnaissance de l’égalité lors de l’émergence de l’islam. Par contre, comme le déplore l’auteure, les « savants pris au piège de leurs contextes culturels respectifs vont être incapables d’interpréter ce genre de versets autrement que selon une vision coutumière et archaïque… » (p. 135). L’auteure dénonce aussi la volonté de certains d’établir des espaces séparés pour les hommes et les femmes puisque, comme sa lecture le montre, la révélation s’est faite dans un contexte de mixité. Pour elle, le développement de l’islam marque donc une régression terrifiante puisque le statut d’égalité des femmes y est aujourd’hui contesté. L’auteure aborde également certains textes qu’elle qualifie de « vecteurs de l’éternelle accusation d’un islam qui opprime la femme… » (p. 183) et qui occultent tout le reste du message. Faute d’espace, elle n’entend pas en faire une étude exhaustive. Elle nous les présente, néanmoins, en les resituant dans leur contexte et en les relisant à partir de l’ensemble du Coran. Elle défait ainsi les interprétations littéralistes.
Il peut être questionnant de constater que l’auteure utilise tout au long de son livre l’expression féminine et non féministe. Dans un texte présentant le Groupe international d’étude et de réflexion sur Femmes et Islam,2 l’auteure note que nombreuses sont les femmes musulmanes qui ne s’identifient pas avec le féminisme du fait de sa connotation occidentalisée. À propos de la libération pour laquelle elle oeuvre, elle la décrit comme : « Une libération féminine qui n’a à se conformer à aucun modèle en vogue… qui devrait être libre de faire ses propres choix… et de définir ses propres espaces de liberté… ». Le Coran et les femmes, lecture de libération offre aux femmes occidentales la possibilité de faire la rencontre de cette démarche autre de libération. Ainsi, cet ouvrage nous donne la chance de nous libérer des lieux communs qui sont trop souvent le seul discours véhiculé sur l’islam. Par sa lecture, il nous est donné de rencontrer autrement cette tradition religieuse et de percevoir comment elle anime la lutte des femmes qui y puisent la force nécessaire pour lutter en vue de leur libération. Elle invite à une reconnaissance du droit des femmes musulmanes d’être elles-mêmes agentes de l’interprétation des textes. Cette lecture de libération jette donc un pont entre nous toutes.
*¸Johanne Philipps est étudiante au Ph. D. en sciences des religions à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal
1 Voir l’article de Asma Lamrabet dans ce numéro.
2 Disponible sur http://www.asma-lamrabet.com/Articles/fr/GIERFI.pdf