Le crépuscule des déesses
De retour de l’immense congrès de l’American Academy of Religion qui s’est tenu à Boston, du 20 au 23 novembre 1999, j’ai eu l’impression d’avoir assisté au crépuscule des déesses. Pourquoi une telle affirmation ? Je vais l’appuyer sur trois faits.
Comme vous le devinez, j’ai suivi surtout les sessions qui portaient sur la théologie féministe. La première, c’était Publish and Perish pour célébrer les quinze ans de parution du Journal of Feminist Studies in Religion. Le constat : la revue a un certain public, mais on manque d’argent, de temps et d’énergie pour agrandir les horizons de cette revue. En effet, ne pourrait-elle pas accueillir des textes en espagnol ? en anglais ? Ne devrait-elle pas déborder le seul cadre « étatsunien » pour les articles ? Ne devrait-elle pas avoir une édition électronique ?
D’autre part, Mary Daly vient de lancer son dernier livre Quintessence, où elle donne les éléments principaux de sa pensée radicale, avec une préface pour une édition de 2048 de la Biophilic Era. Cependant, ce qui a tenu toute la place dans ses interventions, c’est la poursuite qu’elle a intentée au Boston Collège, une université tenue par les jésuites, où elle a enseigné pendant trente ans contre vents et marées. Un incident orchestré par un organisme de droite a provoqué l’administration du Boston Collège à demander à Mary Daly de démissionner de son poste ou de prendre sa retraite, ce qu’elle a refusé. Son engagement a été maintenu mais son nom n’apparaît plus dans le bottin des professeurs de 1999-2000 ni l’annonce de ses cours. Elle n’entend pas baisser les bras et je la comprends après toutes les luttes qu’elle a dû mener.
Enfin un événement plus heureux, celui d’un livre hommage à Letty Russell, Liberating Eschatology, où plusieurs théologiennes et spécialistes ont apporté une importante contribution telles que Rosemary Radford Ruether, Elisabeth Schùssler Fiorenza, Mary Daly, Beverly W. Harrison, Ada Maria Isasi Diaz, Judith Plaskow, Letty Russell… Cette génération de chercheuses vedettes, de femmes qui ont su nous communiquer une puissante énergie, un dynamisme qui nous a entraînées dans leur folle aventure, des déesses quoi ! Peuvent-elles compter sur une autre génération de femmes prêtes à poursuivre leur projet quand une pâle relève pointe à peine à l’horizon ?
C’est alors que l’idée de crépuscule m’est venue. En cherchant ce mot dans le dictionnaire, j’ai découvert qu’il était porteur d’un double sens : soit « lumière qui précède le soleil levant » [on dit plutôt aurore] soit « lumière qui suit le soleil couchant jusqu’à la nuit close ». Voilà de quoi me satisfaire. Le crépuscule ce n’est donc pas seulement la fin d’un jour, c’est aussi l’annonce d’un jour nouveau. Ce jour nouveau va-t-il se lever ? Ses lueurs paraissent encore faibles. À Boston, on a parlé de réconcilier les différences, on a tenu une session sur l’hybridité, sur des croisements divers. Ce sont là autant de questions qui alimentent ma réflexion.
MONIQUE DUMAIS,
GROUPE DE RIMOUSKI, HOULDA