LE PARDON POUR BONNE NOUV’AILES

Plusieurs études psychologiques ou sociologiques arrivent à cette conclusion quant aux effets du pardon: quand les personnes pardonnent, leurs pensées, leurs sentiments et leurs actions envers les personnes pardonnées se transforment positivement. Le pardon est une « deuxième chance » que nous offrons à la personne qui nous offense, une occasion de faire mieux ou autrement. Le pardon permet de créer des nouvelles et de meilleures relations empreintes de justice, d’équité et d’honnêteté.

Nous devons pardonner en notre qualité de sujette et non d’objet. Car comment pardonner si l’on n’est pas respectée? Et quelle valeur a ce pardon pour la personne à qui on pardonne si elle ne nous respecte pas?  Il faut ensuite « faire cesser l’offense », comme l’a si bien dit Jean Monbourquette1. C’est seulement à ses deux conditions que le pardon peut se faire. Et encore faut-il le distinguer de la réconciliation. On peut pardonner à l’offenseur sans pour cela vouloir rétablir le lien, ce qui serait la réconciliation.

Cependant, le pardon n’exclut pas la possibilité de demander justice et réparation. Et nous pourrions nous demander si celui que l’on s’impose de donner — ou qui nous est imposé — ne peut pas nous transformer en victime et nous rendre encore plus vulnérable. Par exemple, on pourrait penser que le pardon sans relâche d’une femme victime de violence conjugale contribue à l’enfoncer dans son malheur.

Si le pardon se fait grâce à notre volonté et demande un effort, est-il toujours souhaitable de vouloir pardonner à tout prix? De fait, nous avons tendance à inscrire cet effort de pardonner dans un rapport au temps qui ne lui est pas naturel, ni approprié. Nous le soumettons de force à un processus linéaire où l’offense tient lieu de point de départ et le pardon, de ligne d’arrivée. Le pardon est alors perçu comme un objectif, une volonté de « tourner la page ». Nous le voudrions franc et net, définitif.

Ainsi, nous pensons y être parvenues quand, soudain, toute notre souffrance et notre colère ressurgissent, nous obligeant à emprunter certains chemins que nous croyions avoir déjà franchis. Un processus de pardon soumis à la linéarité ne peut que susciter de la culpabilité.  

Peut-être serait-il plus sage de cesser de vouloir pardonner, et de laisser le temps faire son œuvre. La volonté demeure, mais elle est moins intransigeante ou interventionniste. Elle se contente d’orienter. Il s’agirait de se donner du temps et de laisser à la vie et à Dieue, la possibilité d’agir dans notre parcours.

D’abord, nous aurions le temps de prendre toute la mesure de la blessure causée par l’offense. Combien de fois dans l’histoire des femmes l’offense n’a pas été prise au sérieux? Combien de fois a-t-elle été minimisée?

Ensuite, nous aurions le temps de laisser au pardon suivre un chemin qui lui convient davantage, celui du temps en spirale. Un temps qui prend le temps des détours, des piétinements et des reculs. Un temps qui n’est pas tant focalisé sur le résultat final (le pardon définitif), mais sur le processus qui lui, fait grandir les personnes et ne les prive pas des leçons qu’elles ont pu tirer de l’expérience offensante.

En conclusion, voici la réflexion d’une intervenante :

Dans mon histoire personnelle, heureusement que j’ai eu le bonheur de croiser des femmes debout. Des indignées qui m’ont aidée à me méfier du pardon… du moins de celui que l’éducation de mon enfance m’avait servi trop rapidement. Des femmes qui m’ont appris à aimer l’image de Jésus tenant un fouet face aux marchands du temple. Ces femmes m’ont amenée à vivre en cessant d’avoir les mains jointes pour saisir la vie à bras-le-corps. Sûrement est-ce là le meilleur moyen de vivre à long terme sans avoir les poings fermés.

 

 

1. Monbourquette, Jean.
Comment pardonner?, Ottawa/Paris, Novalis/Bayard, 2009 (1992).