LE PHÉNOMÈNE DES APPARITIONS DE MARIE
Aïda Tambourgi, Vasth
On définit généralement une apparition comme la manifestation visible d’un être invisible. La personne voyante croit saisir en esprit, ou voit réellement avec les yeux du corps, des formes ou des scènes animées que ne peuvent percevoir les personnes qui l’entourent, « à moins qu’elles ne jouissent à cet instant précis de dons particuliers leur conférant un pouvoir identique. » 1
En ce qui concerne notre sujet, il est question d’une intervention ponctuelle de Marie qui se rend visible à une ou plusieurs personnes pour leur transmettre un message destiné à l’ensemble de la communauté. Depuis les premiers siècles de l’histoire de l’Église, Marie est apparue des milliers de fois à tous les grands moments de l’histoire de l’humanité et sur tous les continents : La Salette, Lourdes, Fatima sont les lieux les plus connus et les plus fréquentés aux XIXe et XXe siècles. Pour ce dernier uniquement, on compte plus de 400 cas d’apparitions authentiques, ou supposées telles, dont près de 200 couvrant la période située entre 1944 et 1993.
Comment peut-on expliquer ce phénomène ? Quel est le but de ces apparitions ? Et que se passe-t-il dans le monde contemporain pour expliquer cette recrudescence des apparitions de Marie ? Il est clair que tout s’accélère dans la deuxième moitié du XXe siècle où les médias sont de plus en plus présents. On assiste à des soulèvements de peuples entiers, à des révolutions de tous genres, à des guerres, aux droits de l’humain qui sont bafoués. On voit des peuples qui meurent de faim, alors que d’autres vivent dans l’extrême abondance. C’est pourquoi il est temps d’écouter, de se réveiller, de secouer la léthargie des fidèles pour se tourner vers l’Église du Christ, vers Marie qui nous mène vers lui (un des éléments de justification des apparitions).
Contenu des messages
Quels sont les grands messages délivrés par Marie et que nous apprennent-ils ? Le contenu de ses messages réactualise la Bonne Nouvelle de l’Évangile. Marie nous rappelle que la prière et la pénitence sont toujours d’actualité. Elle exhorte, prie, demande, supplie, sanglote, pleure, menace, réclame pénitence. À plusieurs reprises, elle demande de réciter le rosaire et d’utiliser le chapelet (Fatima). Le mot « prier » revient comme un leitmotiv dans la majorité de ses messages : prier pour les pécheurs, pour les prêtres, pour le pape, pour la réunification des Églises. Elle demande aussi de lui bâtir des églises, de lui édifier des statues, de faire des images et des médailles la représentant, etc. Elle nous parle de l’enfer, du purgatoire, de la fin des temps. En voici deux exemples :
« Si à quelque moment que ce soit, en invoquant ma Flamme d’Amour, vous récitez en mon honneur trois Ave Maria, chaque fois une âme sera libérée du purgatoire » (13 octobre 1962, à Élisabeth Kindelmann, Hongrie). Et encore, « Je ne puis plus retenir le bras de mon Fils… Il est si lourd » (La Salette, 1846). À cause des péchés de ses enfants, la Vierge pleure durant toute l’apparition et laisse planer des menaces sur le peuple.
En principe, aucune apparition mariale n’apporte quelque chose de neuf par rapport au contenu de la Foi. Tout au plus, elle vient confirmer une connaissance déjà reçue dans l’Église. Elle vient cautionner une vérité déjà révélée, car la révélation de Dieu a trouvé son accomplissement en Jésus-Christ. Elle est close avec lui. Tout a été dit et rien ne peut venir s’y greffer. Pas davantage, semble-t-il, pour les vérités révélées par l’Église. À titre d’exemple, il en va ainsi pour l’Immaculée Conception annoncée à Bernadette Soubirous à Lourdes en 1958 (quatre ans plus tôt, le dogme avait été proclamé par Pie IX). De même, le noyau central du message de Fatima est l’appel à la conversion et à la pénitence, tel qu’on le retrouve, par exemple, dans l’évangile de Marc (Mc 1,15).
De plus, selon Marlène Albert-Llorca, les données dont on dispose sur les apparitions de la Vierge Marie du XIXe et du début du XXe siècles nous apprennent que les visionnaires de sexe féminin sont largement majoritaires, à l’encontre des apparitions médiévales dont on retrouve la trace dans les archives. Toujours, selon l’auteure, cette féminisation rejoint « la féminisation du catholicisme » touchant le XIXe siècle. Mais, elle touche presque exclusivement des petites filles et de jeunes filles, marque, selon l’auteure, d’une « valorisation renforcée de la virginité féminine par l’Église catholique, qui contribue à renforcer la proximité entre « la Vierge et ses filles »»2.
Mais examinons un peu les messages délivrés par Marie, car il y a vraiment de quoi nous intriguer. Il serait bon d’y relever le caractère immédiat de l’effet sur la demande comme dans l’extrait sur le purgatoire cité plus haut (Foi du charbonnier). Les apparitions entretiennent et même invitent à des pratiques superstitieuses. Il en va ainsi pour la médaille miraculeuse qui doit être portée au cou pour recevoir de grandes grâces (apparitions sur la rue du Bac à Catherine Labouré en 1830). Par ailleurs, souligne Marc Hallet, l’insistance d’utiliser le rosaire et le chapelet est une pratique qui est apparue assez tardivement dans le christianisme et l’on se demande pourquoi Marie semble juger que sa pratique est indispensable alors que les apôtres, les disciples et les premiers chrétiens ne l’utilisèrent jamais. De même, le purgatoire est une invention tardive et totalement étrangère à la Bible3. Ainsi, l’influence du contexte politique, socioculturel et religieux est évidente en ce qui concerne les apparitions.
Mais alors, quel est l’intérêt des apparitions ? Bien sûr, il ne faut pas oublier les guérisons miraculeuses qui font accourir les foules. Mais si nul ne met en doute les guérisons qui s’opèrent dans ces lieux, il serait bon de rappeler que de telles guérisons sont aussi reconnues et admises dans toutes les religions ou sectes hérétiques, même si leur auteur(e) reste parfois non identifié(e).
Positions de l’Église sur les apparitions
À aucun moment de l’histoire, l’Église n’a réclamé des fidèles un assentiment de foi vis-à-vis des apparitions. L’approbation donnée par l’Église à une révélation, après un examen attentif des faits, n’est pas autre chose que l‘autorisation accordée de la faire connaître pour « l’instruction et le bien des fidèles »4. D’ailleurs, l’Église a reconnu très peu d’apparitions au cours des siècles. Elle a toujours été très prudente sur ce sujet. À ce titre, Pie X affirmait que « lorsque l’Église approuve une apparition, une vision ou un miracle particulier, elle ne se porte pas garante de la vérité du fait pour autant ».5 Par la suite, Benoît XV a proclamé : « Les apparitions ou révélations ne sont ni approuvées ni condamnées par le Saint-Siège, mais seulement permises comme pouvant être crues pieusement et de foi humaine selon les données et la valeur des témoignages »6. Il revient donc à chaque personne d’exercer son jugement et de vivre selon ses croyances.
La question des apparitions a été revue et des critères de discernement ont été approuvés par les Pères de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi lors de la plénière annuelle qui a eu lieu en novembre 1974. Entre autres, on insiste en ce qui touche les révélations « sur leur conformité à la doctrine théologique, leur véracité spirituelle, leur exemption de toute erreur »7. Encore une fois, on cherche à confirmer qu’une apparition ne peut rien apporter de nouveau.
Conclusion
Il est sûr qu’il est difficile de nier la réalité du phénomène matériel. Les voyants voient. « S’il est aujourd’hui admis qu’une “force” (?) quelconque défie les lois de la science… cette force ou d’autres apparentées, se découvrent avec des nuances en bien d’autres lieux où l’Homme interroge le « paranormal »8. Les puissances spirituelles se font toutes connaître selon des procédés souvent identiques, bien qu’avec des aspirations et des moyens divers. Dans tous les cas, nous nous retrouvons face à des phénomènes paranormaux.9 Le problème devient plus compliqué quand l’être humain se trouve mêlé à ces manifestations de l’invisible. Cependant, « l’être vivant, véritable inducteur, est la cause seconde des phénomènes dont il permet la réalisation, mais sans les comprendre et sans les avoir provoqués. »10
Peut-on ajouter quelque chose d’un point de vue scientifique concernant les apparitions ? Notons déjà que malgré « les immenses progrès réalisés dans la connaissance du cerveau humain, de son fonctionnement, de ses anomalies, de ses troubles et de ses maladies, force est d’admettre qu’on ne connaît encore de ces choses, que ce qui correspond à la partie émergée d’un iceberg. »11 Toutefois, une vérité essentielle s’est pourtant imposée ces vingt dernières années, poursuit Marc Hallet, à savoir que tout comme des substances chimiques artificielles influencent notre comportement, bien d’autres naturelles, qui prennent naissance dans notre corps, peuvent également influencer grandement le fonctionnement de notre cerveau12. Bien sûr, tout cela nécessite encore d’être soumis et approfondi par les experts en la matière qui fourniront peut-être un jour la clé à ces nombreux problèmes tant sur le plan physiologique que psychologique.
Pour les apparitions, comme pour tous les phénomènes qui frôlent le paranormal, la polémique demeure donc ouverte. Et pour terminer sur une note d’humour, Marc Hallet souligne que certains prétendent à la véracité des apparitions, par le fait même qu’il en existe de fausses et, selon lui, « c’est ainsi que les Mariolâtres écrivent l’Histoire »13.