LE TEMPS DE LA PATIENCE NE SERAIT-IL PAS RÉVOLU?
Alice Gombaul
Après le concile Vatican II, Paul VI entreprit des réformes structurelles en établissant des instances de consultation à tous les niveaux de décision : paroisses, diocèses ou Église universelle. Ce furent les conseils pastoral et presbytéral, les conférences épiscopales, les synodes… Mais « toutes ces instances dont on a doté les curés, l’évêque et le pape demeurent consultatives » 1 et sont ainsi rendues inefficaces et stériles dans la prise de décision concertée et l’autonomie des chrétiens et chrétiennes de la base. Faute d’avoir traduit les intuitions de Vatican II dans des structures juridiques, elles restent inopérantes. En maintenant ainsi le pouvoir monarchique du pape, sont maintenus ipso facto le pouvoir de l’évêque dans son diocèse et celui du curé dans sa paroisse. L’autoritarisme en sort donc renforcé et l’Église institutionnelle s’éloigne dans tous les domaines de l’esprit de Vatican II. Quelques exemples récents le montrent à l’envi.
La morale sexuelle
Le pape continue à se référer à Humanae vitae (1968), bien que cette encyclique ne fut pas reçue par le peuple chrétien et qu’elle fut au départ d’une désaffection pour l’Église. Le 3 octobre 2008 à l’occasion d’un colloque sur le sujet, il a réaffirmé l’interdiction des actions visant à empêcher la procréation, car « ce serait nier la vérité intime de l’amour conjugal » 2. Dans la condamnation renouvelée de la contraception, ce sont, bien évidemment les femmes qui sont visées. La condition féminine a été profondément modifiée par la maîtrise de la fécondité. Ce nouveau pouvoir des femmes est-il admissible pour une mentalité naturaliste, qui fait des enfants des dons immédiats de Dieu lui-même? Ajoutons que l’instruction Dignitas personae du 12 décembre 2008 sur certaines questions de bioéthique reconnaît à l’embryon le statut de personne. Dire cela « va plus loin que ce qu’affirmaient les précédents documents de l’Église » a souligné Monseigneur Rino Fisichela, président de l’Académie pontificale pour la vie3. Voilà donc un nouveau durcissement qui va contribuer à faire des femmes, qui ne peuvent garder leur enfant à naître, des meurtrières.
Nous ne signalons que pour mémoire, le refus, à peine atténué récemment, de l’usage du préservatif. Là aussi, on sait bien que les femmes sont atteintes, du fait de leur partenaire, par le virus du SIDA et que leurs enfants en sont victimes.
Le rapprochement avec les anglicans
En 1992, l’Église anglicane a voté le principe de l’ordination des femmes. La réaction de l’Église catholique fut alors violente, accusant les anglicans de saboter les démarches œcuméniques. Cet événement n’est probablement pas étranger à la publication en 1994 de la Lettre apostolique sur l’ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes, déclarant la question définitivement close. Les jugements portés sur les femmes ne diffèrent pas fondamentalement d’une religion à l’autre et au sein de cette même Église anglicane des prêtres se sont opposés à l’ordination de femmes, préférant devenir catholiques plutôt que d’œuvrer à égalité avec des femmes. L’ordination de femmes évêques, inévitable dans ce nouveau contexte, a encore compliqué la situation, sans mentionner la question des ordinations d’homosexuels.
L’Église catholique n’a rien trouvé de mieux à faire que de tendre la main aux anglicans en désaccord avec les évolutions de leur Église et le Vatican a annoncé, en 2009, son intention de mettre en place une « structure canonique » destinée à accueillir dans l’Église catholique les fidèles et religieux anglicans en rupture avec leur Église, notamment sur les questions de morale sexuelle et sur la présence de femmes prêtres et évêques4. Les prêtres qui se convertissent au catholicisme seront ordonnés à nouveau, mais resteront mariés, ce qui ne plaît guère à la frange intégriste catholique. L’ostracisme vis-à-vis des femmes est une fois de plus confirmé, même si, par ce biais, on avance sur la question de l’ordination des hommes mariés. Car, ne l’oublions pas, c’est l’existence de leur femme qui empêche les hommes mariés de devenir prêtres.
Le rapprochement avec les intégristes
Le mouvement vers les intégristes a commencé avec la réintégration des évêques schismatiques ordonnés par monseigneur Lefebvre. Preuve de sa décision solitaire, le pape commet la bévue de réintégrer un évêque connu pour tenir des propos négationnistes.
Ensuite, en 2009, ce fut le Motu Proprio Summorum pontificum, libéralisant l’usage du missel de saint Pie V, malgré les réticences de bien des évêques, nullement persuadés que cela permettrait une plus grande unité de l’Église. Mais Benoît XVI est un nostalgique des cérémonies solennelles, de la pompe, des costumes chamarrés, des dentelles… Tout ce qui, dans son esprit, peut renforcer la sacralité de la liturgie. Or les femmes sont tenues éloignées du sacré religieux. On n’évoque plus guère leur état d’impureté, mais cela reste latent. Le sacré propre aux femmes est de donner la vie qui semble incompatible avec le sacré religieux. Jésus est pourtant venu nous délivrer de ces fantasmes archaïques. Le symbole qui en fut donné est le déchirement du rideau du Temple5au moment de sa mort. Si la présence sacrée de Dieu ne réside plus dans le Saint des Saints, ouvert désormais à tous les vents, c’est qu’elle ne dépend plus des rites, ni des sacrifices, ni des prêtres. C’est aussi la fin des images qu’on se faisait de Dieu : un Dieu inaccessible, demandant des sacrifices, exigeant des rites de purification, cautionnant une image hiérarchique de la société et du clergé… Le rideau du Temple se déchire et tout cela vole en éclats. Il n’y a plus de séparation entre le profane et le sacré, Dieu se fait proche de tous et toutes.
La tentation de recoudre le rideau du Temple a été de tout temps. Cantonner Dieu dans un lieu sacré qu’on rend inaccessible est plus confortable, surtout pour ceux qui en commandent l’accès, que de se laisser emporter par ses visages multiformes, proches de nous. Ne laissons pas les mentalités traditionalistes fermer aux femmes la liberté ouverte par Jésus.
Les évêques
Papes dans leur diocèse, les évêques se comportent bien souvent sans dialogue ni concertation. Il en résulte que lorsqu’un évêque prend sa retraite à 75 ans, il est remplacé par un autre qui n’est pas tenu de suivre les orientations pastorales de son prédécesseur. Le peuple de Dieu est balloté entre des pastorales parfois contradictoires. Leurs efforts, leurs engagements peuvent être tenus pour rien. Actuellement, c’est le cas du diocèse de Poitiers, dans lequel monseigneur Rouet a mis en place des communautés locales animées par des laïcs, qui sont en grande majorité des laïques femmes. Plutôt que de regrouper des paroisses par manque de prêtres, il a préféré maintenir un tissu chrétien vivant au plus proche des communautés existantes6. Mais aujourd’hui, où il achève son mandat, les responsables qui ont cheminé, se sont formés, ont travaillé, se demandent avec inquiétude si le prochain évêque maintiendra cette expérience minoritaire en France, mais porteuse de tant d’espoir pour un renouvellement de l’image du baptisé et de la baptisée, du prêtre et de l’Église elle-même que chrétiens et non chrétiens découvrent sous un autre jour. Il devient beaucoup plus facile d’imaginer madame X dans le rôle du prêtre quand on l’a vue animer la prière ou faire des commentaires d’Évangile. Mais c’est peut-être là que l’expérience est considérée comme dangereuse et à ne pas prolonger!
En 2004, l’instruction Redemptionis Sacramentum a rappelé (n° 47) que la décision d’autoriser ou non les filles enfants de chœur revient à l’évêque diocésain, après avis de la conférence épiscopale sur la base « d’un jugement prudentiel sur ce qu’il convient de faire pour un développement harmonieux de la vie religieuse dans son propre diocèse ». Aussi voit-on des pratiques assez différentes selon les diocèses. Plus grave, là où le service des enfants de chœur s’inscrivait dans la participation des fidèles laïcs à la liturgie, au titre de leur baptême et de leur confirmation, et donc qu’il était aussi accessible aux filles, on voit ces dernières disparaître du service de l’autel pour s’occuper des tâches d’accueil ou de décoration. On leur donne parfois un costume spécial, petites capes bleues, tee-shirts … L’aube (qui est pourtant le vêtement du baptisé comme de la baptisée) est réservée aux garçons. On assiste parfois à une discrimination des tâches qui consiste à ce que les filles apportent les offrandes jusqu’au bas de l’autel. Là, les garçons les prennent pour les monter à l’autel. Toujours la barrière du sacré! Et on va vouloir faire croire à ces fillettes du XXIe siècle que leur rôle est plus grandiose que celui des garçons!
Mais l’accord de l’évêque n’est pas suffisant, les prêtres du diocèse ne sont pas liés par sa décision. Chaque curé se comporte comme un pape dans sa paroisse. C’est pourquoi la mère de deux fillettes exclues du service de l’autel par un curé récemment nommé dans une paroisse du diocèse de Bayonne (France) a porté plainte pour discrimination. L’affaire a eu un certain retentissement médiatique.7
Les mêmes craintes que celles que nous mentionnions pour les changements d’évêques se retrouvent au niveau des paroisses. Ce sont bien évidemment les paroisses les plus ouvertes qui ont mis en place des fonctionnements où les laïcs sont bien présents qui sont menacées par un changement de curé et encore une fois, les femmes en responsabilité seront les premières visées. Il ne manque pas de laïcs, hommes et femmes, d’esprit traditionaliste, à l’aise dans les hiérarchies prêtres/laïcs et hommes/femmes pour les remplacer. C’est se moquer de ceux et celles qui se sont investis dans les tâches pastorales et souvent dans la formation nécessaire à l’accomplissement de ces tâches. Toute une élite chrétienne est ainsi fréquemment bafouée.
Dans un domaine voisin, on peut s’interroger sur la pratique de l’Église française vis-à-vis des salariés laïcs diocésains. Le diocèse de Nancy et ses délégués du personnel ont signé en décembre 2010 une convention collective sur les questions d’embauche, de rémunération, de formation, d’ancienneté, etc.8. Malgré ces garanties, demeure la précarité des laïcs en mission. Ceux-ci sont embauchés pour trois ans renouvelables une fois, ensuite il faut qu’ils acceptent de démissionner de leur emploi ou d’être licenciés et la convention collective stipule qu’ils « ne visent pas à faire carrière dans l’Église » et qu’une mission « peut aussi être retirée pendant son exécution par l’évêque en vertu de sa charge pastorale ». Pourquoi avoir cité cet exemple? Parce qu’à 90 %, ces salariés laïcs sont des femmes et qu’elles dépendent d’un évêque tout-puissant!
Créer de nouvelles coutumes9
Faut-il encore dénoncer ces fonctionnements autoritaires dont les femmes sont les premières victimes? Faut-il encore argumenter pour démolir les schémas de pensée qui nuisent à la liberté des baptisées? Peut-être? Cependant, il semble bien que rien n’y fait et que l’Église institutionnelle se replie sur elle-même, sur des modèles du passé dont les femmes ne veulent plus. Plus présentes sur le terrain que les hommes, les femmes doivent conserver leur liberté d’action. La pénurie de prêtres est un signe providentiel pour mettre en place de nouveaux fonctionnements. Devant cette raréfaction, des communautés refusent de mourir. Elles célèbrent et prient à leur façon; des chrétiennes et des chrétiens se prennent en main et tissent leur réseau local. Lorsque leurs actions sont reconnues comme nécessaires, utiles, bénéfiques, une coutume se crée. C’est la coutume qui fait évoluer le droit. Des évêques attentifs à ce qui se vit ont besoin de s’appuyer sur les pratiques nouvelles de la base. Aider les évêques dans leurs timides avancées, oblige à les devancer sans crainte. Une telle perspective est encourageante pour légitimer non seulement des pratiques nouvelles, mais aussi les actes de résistance s’il le faut, voire les transgressions. Le mot est à prendre dans son sens premier. Il ne s’agit pas d’abord d’enfreindre une loi, mais d’aller au-delà. Il s’agit de créer un chemin là où il n’y en a pas encore.