LES ACCOUCHEUSES1 UNE GRANDE SAGA QUÉBÉCOISE !
Léona Deschamps, Houlda
L’auteure développe un vigoureux tableau de la condition des femmes du Québec au milieu du XIXe siècle dans le faubourg Sainte-Anne, au cœur de l’engagement des deux protagonistes de la fiction : une sagefemme de renom, Léonie et sa fille Flavie Montreuil.
La fierté – Tome I
Malgré les controverses religieuses et sociales de l’époque victorienne et la pratique, dans les familles bourgeoises, de se payer la présence d’un obstétricien depuis une décennie, Léonie initie fièrement sa fille à la profession de sagefemme. Un savoir acquis de sa tante Sophronie qui refusait de croire que le péché originel avait fait fuir l’esprit de Dieu sur la terre.
De 1845 à 1849, Léonie réalise non seulement l’ouverture d’un refuge pour les femmes enceintes, mais encore une école de sagefemmes. Aidée de Flavie et des dames de la Société compatissante, elle permet aux femmes démunies du faubourg ainsi qu’aux victimes de viol ou d’inceste, d’accoucher dans le respect et de façon naturelle.
Cependant, les membres du clergé acceptent difficilement ces nouveautés et les médecins usent de leur pouvoir afin de s’approprier la clientèle des sagefemmes. Cette situation accentue le rêve de Flavie d’accéder à la médecine réservée aux hommes. Un rêve qu’elle porte tout en vivant ses explorations dans l’univers de la sexualité hors les tabous du temps et connectée en toute confiance à ses émotions. Elle souhaite le réaliser en épousant le talentueux médecin Bastien Renaud.
Notons au passage que chez les Montreuil, les divers rapports patriarcaux sont ouvertement questionnés. Dans la famille de Flavie, on discute librement de religion, de politique et d’éducation. L’écrivaine emprunte ces divers domaines pour intercaler dans sa trame romanesque de passionnants dialogues, de savoureux archaïsmes et de magnifiques descriptions d’événements survenus entre 1845-1849.
La révolte – Tome II
Dans le deuxième tome de la passionnante saga historique Les accoucheuses, l’auteure développe la lutte accrue entre « accoucheuses et hommes de l’art, entre dames patronnesses et hommes de robes ». Il appert qu’entre 1849 et 1853, « les médecins en jupon, ce n’est pas demain le veille ».
Pour poursuivre son œuvre, Léonie doit accepter l’intrusion des médecins spécialisés en obstétrique venus de l’École de médecine et des membres du clergé selon l’ordonnance de Monseigneur Bourget, dans le fonctionnement de son école de sagefemmes et de son refuge de la Société compatissante.
À cause de l’incendie d’une partie du faubourg, un ancien hôtel devient la maison d’accueil des accouchées. Depuis le perfectionnement en France de Marguerite sagefemme, on y offre des conférences ouvertes au public entre autres: « Sagefemmes célèbres de l’histoire » et « Le féminisme à travers les âges ». Après de sérieuses fréquentations avec un médecin, par crainte de soumission, Marguerite rejette le mariage prévu et se réfugie dans une communauté utopiste américaine. Quelle perte pour le refuge de la Société compatissante dirigée par Léonie ! Avec les nouvelles diplômées, elle considère l’urgence de créer une association afin que les accoucheuses soient publiquement reconnues comme professionnelles.
Quant à Flavie, mariée à un médecin, elle se livre avec ardeur à une quête difficile de bonheur conjugal et professionnel. Chez les Renaud, cette sagefemme accomplie venue d’un faubourg se plie difficilement aux conventions des dames de la belle société. Malgré son contrat d’association professionnelle avec Bastien, elle demeure non reconnue pour sa compétence de sage-femme accomplie. Avec son amie Marguerite, elle avait antérieurement essuyé un refus lors d’une demande d’admission à l’École de chirurgie et de médecine. Apprenant que ce refus fut lié à la crainte de son mari d’être la risée de la Cité, elle quitte en toute hâte le foyer pour le Manoir Mansion House avec l’espoir d’accéder à la liberté rêvée.
La déroute – Tome III
Les femmes sont vraiment les victimes d’une morale religieuse contraignante qui les restreint dans leur liberté d’action et de pensée au cœur d’une société misogyne. Anne-Marie Sicotte en poursuit la démonstration dans le troisième tome de sa trilogie romanesque et historique Les accoucheuses qui débute en 1853.
Flavie retrouve son amie Marguerite au Manoir Mansion House où un esprit d’indépendance anime les membres de l’Association d’Oneida fondée par John Humphrey Noyes. Chaque mois, elle narre à Bastien les principaux événements de son expérience et les faits saillants de la vie en communauté. Puisque le mariage y est méprisé, les couples s’astreignent à l’étreinte réservée ce qui laisse des traces de boue dans le corps de la nouvelle venue habituée à des ébats inédits. De plus, le Maître dégage de la Bible une spiritualité contraignante qui heurte au fil du temps Flavie en quête d’ultime autonomie. (Dieu ayant une nature masculine transmet naturellement sa bonté intrinsèque aux hommes qui la déversent chez les femmes comme dans des récipients neutres.) Au bout d’un an, lors de l’apparition de Bastien au Manoir, Flavie retrouve avec fougue l’allié de son cœur et revient au Québec.
Durant ce temps, à la Société compatissante ouverte depuis neuf ans, Léonie subit les divergences d’opinions de son équipe, l’emprise des médecins arrogants et les grossièretés des clercs : « Vous êtes une dépravée devant Dieu. » De plus, Monseigneur Bourget déclare qu’il ne peut plus tolérer la présence de l’École de sagefemmes dans son diocèse. Privée de l’écoute active de son époux décédé d’une seconde attaque de choléra malgré les bons soins de Bastien, l’héroïne désespère. Selon la conjoncture des événements et malgré le retour de Flavie, peut-elle réussir à assurer la pérennité du précieux savoir ancien, transmis d’une sagefemme à l’autre ?
Le couple Flavie et Bastien comble le vide à la maison des Montreuil en érigeant leurs bureaux dans l’ancienne école de Simon, le conjoint de Léonie. Flavie, ayant été initiée par son mari médecin à l’utilisation des forceps, devient officiellement, par contrat, son assistante spécialisée en obstétrique ainsi que la risée des grands de la médecine. Ces derniers veulent rédiger un code de déontologie afin de réduire le champ de manœuvre des sagefemmes. De plus, Bastien doit démentir les rumeurs de ses collègues qui laissent croire que son épouse aurait été engrossée par le fondateur de l’Association d’Oneida.
Troublante est la dernière confidence de Flavie à Bastien à la fin de la trilogie : « Je te jure, je porte malheur ». Elle éveille tout un champ de réflexions féministes. Cet élan de regret après tant de luttes pour instaurer l’égalité entre hommes et femmes démontre la difficulté de se soustraire à l’opinion publique d’une société misogyne qui maintient le « sexe faible » sous la domination du « sexe fort ».
Avec Les accoucheuses, Anne-Marie Sicotte offre à ses lectrices ou à ses lecteurs, 2 386 pages de lecture attrayante, enrichissante et savoureuse pour les vacances 2010. Plusieurs se laisseront prendre par ses fabuleuses descriptions qui selon les contextes de la saga se parent de détails, de passion et de vraisemblance.
Avis à toutes les personnes qui militent encore aujourd’hui pour la reconnaissance de l’invasion féminine dans toutes les professions. Elles retrouveront dans Les accoucheuses les aléas des divers mouvements de leurs luttes.
Les sagefemmes d’aujourd’hui liront avec émotion les expériences des deux protagonistes de la fiction ainsi que toutes les personnes qui ont milité contre la médicalisation à outrance de l’accouchement en exigeant la légalisation de la pratique au Québec, lors des dernières décennies du XXe siècle. Des couples, ayant bénéficié de l’art de mettre au monde un enfant avec des rapports de tendresse dans les maisons de naissance, s’intéresseront sûrement à l’œuvre d’Anne-Marie Sicotte.
Lire Anne-Marie Sicotte ! Des heures de plaisir !
1. SICOTTE, Anne-Marie. Les accoucheuses. Tome I : La fierté, 780 p. (2006). Tome II : La révolte, 756 p. (2007) et Tome III, La déroute, 850 p. (2008). Montréal, VLB éditeur, collection « Roman ».