Les actions non violentes de Jésus
Pierrette Daviau, Groupe Déborah
Mahatma Gandhi lisait les béatitudes tous les jours et y trouvait le centre de sa spiritualité. Il affirmait que Jésus était le modèle de la non-violence le plus important de l’histoire. À notre tour, ne pouvons-nous pas, comme féministes, chercher dans l’évangile notre motivation à vivre la non-violence ?
Savoir dénoncer comme Jésus
Face à une opposition constante de son milieu, le Nazaréen évite les réactions normales devant la violence, il la subit sans riposter ni fuir, sans combattre ni reculer, mais en restant fidèle à sa mission de paix. Il ne cherche pas à la vaincre par la force ni par un certain « pacifisme incolore ». Non ! Tout au long de son ministère, il ne se plie aucunement à l’injustice ou à l’oppression des autorités de son temps. Il n’hésite pas à dénoncer les dominations politiques, économiques et sociales : « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Marc 12,13)1. Il n’invite pas à fuir le conflit, mais suggère de l’affronter résolument « comme artisan·e·s de paix » (Matthieu 5,9). Ces pratiques peuvent nous inspirer comme féministes appelées à reconnaître les injustices et les abus de pouvoir pour s’y opposer et les dénoncer pacifiquement.
Pratiquer une non-violence bienveillante
Dans ce même chapitre de Matthieu (5,39-41), Jésus est même intransigeant : « Ne résistez pas à celui qui vous veut du mal ; au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. Si quelqu’un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui ». Ces paroles du Nazaréen impliquent qu’en résistant au mal, à l’injustice ou à la haine, on peut mobiliser le bien, la justice et l’amour. C’est aussi un appel à « se réconcilier avec son adversaire avant de porter son offrande à l’autel » (Matthieu 5,24). Pour sortir de la spirale de la violence et du cercle vicieux de la domination, des gestes de bienveillance, de solidarité ou de magnanimité remplacent l’envie de vengeance ou de sanction. Choisir la non-violence n’est ni passivité ni voie d’évitement, ce n’est pas non plus naïveté ou fausse candeur : cela demande force, courage et respect. C’est là l’injonction de la non-violence évangélique qui peut inspirer des gestes et des paroles féministes de clémence et de bonté envers nos semblables. Se désapproprier de préjugés accusateurs
Un texte qui m’interpelle également est celui de la femme adultère (Jean 8,1-11) où j’admire la sagesse de Jésus ! Les anciens sont là pour le confronter : va-t-il condamner cette femme seule, sans défense la réduisant à son péché ? Va-t-il respecter la loi de Moïse ? Or, au lieu de parler à la femme pour l’accuser, il s’adresse directement aux accusateurs qui la lui ont amenée : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui lance le premier la pierre […] et ils partirent en commençant par les plus âgés ». On assiste ici à un intéressant renversement de situation. Au lieu de condamner cette femme craintive et honteuse devant ces vieillards, Jésus renvoie les dénonciateurs à leur propre conscience. Il choisit ainsi la voie de la résistance non violente ; il se penche et écrit sur le sable… puis, se relevant, demande à la femme : « Aucun ne t’a condamnée, moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus » (Jean 8,11). Jésus montre ainsi à la femme qu’elle n’a pas de complexes à avoir. Personne n’est parfait, celles et ceux qui se permettent de juger non plus ; ils n’ont donc rien à dire. Au lieu d’accusateur, Jésus agit ici en intercesseur, en non-violent. Cela invite à nous désapproprier de nos préjugés, de nos idées préconçues formulées par les accusateurs de nos propos et actions féministes.
Se rebeller pour les causes justes
En Jean 2,14-16, on surprend un Jésus qui se met dans une « sainte colère ». Il trouve des vendeurs dans le temple et, « ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, et renversa les tables : ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce ». Dans un autre passage, sa parole étonne : « Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive » (Mt 10,34). Que peut-on lire dans cette violence ? Comment, après avoir béni les « artisans de paix », peut- il prononcer ces paroles ? Que veut-il dire ? Il s’agit certes d’un geste prophétique pour démontrer la sainteté du temple, lieu de prière et lieu du sacré ? Le Nazaréen ose manifester de la colère devant des situations intenables, face aux formes d’oppression intenables, face aux riches propriétaires terriens qui abusaient des paysans. Invitations, comme féministes, à se tenir debout pour combattre, même avec emportement, les dominations religieuses, politiques et économiques.
Résister pacifiquement à la domination patriarcale
Jésus proclame dans son sermon sur la montagne en Matthieu 5,3-12 : « Heureux les doux, car ils posséderont la terre », « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ». Cette radicalité n’est-elle pas surprenante, ne va-t-elle pas a contrario des valeurs modernes ? L’évangile présente ici un Jésus étranger à toute violence, sollicitant ses disciples non seulement à renoncer à la vengeance, mais à semer la paix et la compassion. Cette non-violence des Béatitudes est souvent subversive, révolutionnaire. Pourtant, elle se veut constructive de rapports harmonieux, de rapports de résistance aux injustices pour favoriser des relations d’égalité envers les subalternes. Pour le Nazaréen, elle signifie que ces personnes sont dignes de respect et de justice : elles peuvent refuser d’accepter comme une fatalité d’être bafoué·e·s, avili·e·s, humilié·e·s.
Pour les féministes, c’est une interpellation à rompre avec les chaînes de la domination et du pouvoir patriarcal envers les plus faibles, spécialement envers les femmes et les enfants. Dans son texte « Jésus le résistant 2», André Myre affirme : « Jésus n’a cessé de résister à toutes les formes de domination que subissait son peuple. […] La résistance n’est pas qu’un trait marginal de l’activité de Jésus, elle la caractérise. Parce qu’il espère un avenir pleinement humain pour sa terre bien-aimée, il résiste de toutes ses forces aux pressions qui la défigurent » (p. 28) et ira jusqu’à en mourir.
Choisir la voie de la non-violence évangélique, comme féministes, c’est s’engager à refuser toute attitude, tout geste, toute parole qui porte atteinte à la dignité humaine. Comme Jésus, refuser de se plier à l’injustice, à l’oppression, à la vengeance cela est bien exigeant, mais possible si on se met ensemble.
1 Les citations bibliques sont tirées de la Bible de Jérusalem.
2 Ce texte, paru dans Relations, Numéro 783, mars–avril 2016, est également disponible sur internet : https://id.erudit.org/iderudit/81024ac