Les femmes dans une Église masculine
La « revue internationale de théologie » CONCILIUM vient de faire paraître un Cahier (avril 1980, no 154, intitulé « Les femmes dans une Église masculine » Alors que dans une parution antérieure (janvier 1976, no 111, la revue laissait la parole à des femmes seulement, le dernier numéro fait place à une collaboration d’hommes et de femmes. Cette perspective est avouée dans l’éditorial (écrit par deux hommes):
« Nous avons résisté à la tentation d’abord séduisante de ne faire écrire dans ce cahier que des femmes. La suppression de la suprématie masculine et la libération des femmes ne peuvent réussir dans la société et dans l’Église que si des femmes et des hommes apportent leurs expériences, sont prêts à apprendre et à se convertir, et redéfinissent leurs rôles », (p. 8)
Parmi ces diverses contributions j’en signalerai d’abord quelques-unes avant de présenter plus longuement deux des articles qui me sont apparus davantage pertinent set enrichissants. Il convient d’indiquer l’étude historique faite par une théologienne allemande Ida Raming sur le caractère masculin de l’Église (pp.11-22) de même que la présentation faite par une religieuse américaine Nadine Foley du problème du célibat et de la sexualité dans l’Église des hommes. (pp.37-52). Sont à remarquer aussi deux études bibliques, l’une sur la place des femmes dans l’Ancien Testament (pp.87-95, écrite par une théologienne belge), et l’autre dans le Nouveau Testament (pp. 97-108, du théologien français René Laurentin).
Je retiens deux articles dont le contenu me semble pouvoir être utile au projet de notre Collectif: « Dieu est-il masculin? » de Rosemary Haughton (pp. 77-85) et « La théologie féministe. Bilan d’une période de transition » de Catharina Halkes (pp. 129-142). Dans le premier, l’auteur part du postulat « qu’en tout être humain, il y a un élément féminin »(p. 78). Dans les sociétés patriarcales où le caractère masculin dominait sous la forme consciente, l’élément féminin était relégué au domaine du mystérieux et de l’inconscient. Naturellement la religion en était marquée. Cependant, selon R. Haughton, la religion hébraïque tout en ayant une idée masculine de Dieu a sécrété, particulièrement à travers la Sagesse et certains livres prophétiques, « une description » féminine du divin »(p. 80) qui consiste à parler de la nature et de l’activité de Dieu comme puissance agissant dans la Création, à 1’intérieur de l’histoire, incarnée dans les réalités terrestres. Selon cet auteur, Jésus de Nazareth, être humain masculin, a su rendre conscient la partie féminine de son être, d’où son attitude positive vis-à-vis des femmes concrètes.- Mais ceux qui le suivirent et parlèrent en son nom, n’avaient pas accédé à cet équilibre. Ce sont aujourd’hui « les mouvements de femmes » qui prennent la relève de cette féminisation de Dieu. Et pour l’auteur, le phénomène des « communautés de base » manifeste, dans l’Église, dans la ligne de la Sagesse, la présence « féminine », c’est-à-dire incarnée, de l’action de Dieu.
Et cela non pour ‘ »passer d’un type masculin à un type féminin de présence ecclésiastique », mais essayer de « marier » le masculin et le féminin dans une Églises qui vive de l’intérieur vers l’extérieur » de façon à témoigner que « Dieu n’est ni masculin ni féminin; Dieu est amour. »(P. 85)
Dans le second article, Catharina Halkes des Pays-Bas tente de décrire et d’analyser les différents discours de théologie féministe; La théologie féministe se présente en réaction à une théologie unilatéralement masculine, elle dépasse les théologies dites politique ou de la libération masculine, qui ont oublié les femmes, tout en cherchant à être elle aussi une théologie contextuelle, c.-à-d. à prendre en compte les contextes où vivent les femmes entre elle set leurs expériences très diversifiées. Une théologie féministe veut dire aussi que « des femmes deviennent le sujet d’une expérience de foi spécifique, d’une formulation de cette expérience, d’une réflexion sur celle-ci et donc d’une activité théologique ». (p. 131) Mais cela suppose une prise de conscience de l’état de subordination et la volonté de définir sa propre émancipation. Selon C. Halkes, la théologie féministe la plus fidèle est une théologie critique de la libération (p. 132); par la libération des femmes croyantes, elle cherche à transformer les structures ecclésiales, à abolir la domination masculine, pour finalement travailler au salut et à la libération de tous. De plus, l’auteur fait voir l’aspect méthodologique d’une telle théologie à savoir qu’elle est une réflexion enracinée dans l’action, et dans un type de pratique socialiste qui s’attaque à l’imbrication patriarcat-capitalisme. La théologie féministe se veut aussi une théologie de la totalité résultant de la tension des polarités pour « abolir toute dichotomie néfaste entre le corps et l’esprit, la terre et le ciel, la femme et l’homme, l’humain et Dieu, l’Orient et l’Occident, la nature et l’histoire… » (P. 134) Au niveau des objets sur lesquels porte la théologie féministe, l’auteur en présente certains des plus importants: Dieu, notion et image, christologie, pneumatologie et éthique. La théologie féministe parle d’un Dieu en Jésus-Christ et son incarnation continuée dans tous les opprimés. La théologie féministe remet en valeur l’agir de Dieu dans l’Esprit dans la ligne du ruah biblique. Enfin, sur le plan éthique, la théologie féministe dénonce la façon dont le sexe féminin a été réduit à être une chose, un objet, une propriété de façon à entraver toute relation réelle de réciprocité. Catharina Halkes soulève, finalement, le problème que représentent pour la théologie féministe la lecture et la réinterprétation de l’Écriture: il lui faut à la fois aller chercher le message libérateur qui fasse accéder les femmes à la dignité de personnes et à la fois éviter de déposer dans l’Écriture ce qu’on veut y trouver. L’auteur termine en souhaitant que les théologies féministes dialoguent entre elles et avec les autres théologies de la libération.
J’achèverai la présentation de ce Cahier en apportant deux réactions personnelles. La première, c’est de constater combien la rédaction de ce Cahier reflète la difficulté de travailler hommes et femmes ensemble dans une perspective féministe: l’éditorial fait par deux hommes et l’article sur l’éthique sexuelle rédigé par un homme, qui s’en étonne lui-même d’ailleurs (p. 23). Ceci dit, je crois tout de même qu’il faut viser à ce dialogue. Ma deuxième réaction porte sur l’article de R. Haughton, et plus précisément sur la conception du « féminin » qui s’y trouve: penser le « féminin » en termes d’intérieur par rapport au masculin extérieur n’apparaît-il pas donner trop d’importance aux caractères physiques des sexes? A moins de considérer que le sexe physique renvoie à 1’être féminin comme la partie renvoie au tout. Je laisse cette question à nos réflexions-expériences.
Sherbrooke Louise Melançon