LES GUERRIÈRES DE LA BIBLE
Léona Deschamps, Houlda
«Les guerrières de la Bible », voilà un titre qui peut paraître invraisemblable si l’on considère que dans les codes d’Israël comme dans ceux du Moyen-Orient ancien, la condition de la femme restait celle d’une mineure et son influence demeurait surtout liée à sa fonction maternelle.
Alors comment y trouver des guerrières? Les femmes de la Bible sont présentes dans plusieurs récits mais leur rôle n’est pas toujours évident. Souvent, elles sont sans nom et quand elles sont nommées, elles demeurent à l’ombre de leur père, de leur mari ou de leur frère. Pourtant, l’Ancien Testament célèbre la mémoire de femmes qui ont joué un rôle en faveur du peuple et présente des guerrières qui ont agi à certains moments décisifs de l’histoire.
En Israël, chez les nomades, la guerre a d’abord l’allure d’une razzia (Gen 14, 1-16), mais avec l’entrée du peuple dans la Terre promise, des femmes s’expriment dans des guerres diversifiées. Rahab apparaît dans une guerre offensive sacrée pour la conquête du pays. Débora, Yaël et une femme de Tébèç se manifestent dans des guerres défensives contre des oppresseurs. Au temps de Saül et de David ainsi qu’après leur époque, Riçpa, Esther et Judith agissent dans des guerres de libération nationale.
Toutes les stratégies militaires : prendre l’ennemi par surprise, l’attirer hors de ses bases, l’intimider, l’attaquer indirectement ou directement s’effectuent en présence de Yahvé. La guerre s’achève par un traité de paix : avec la réduction du vaincu en servitude et l’imposition d’un lourd tribut (2 R 18; 14,23-33). Avec David, s’instaure en Israël le partage du butin acquis à la guerre (1 Sam 30, 23-25). Au temps des prophètes, le peuple comprend que la guerre est un fléau et au Livre de Judith, Dieu devient un briseur de guerre (9, 7 et 16, 2). C’est dans ce contexte évolutif de la conception de la guerre que se sont manifestées : Rahab, Débora, Yaël, une femme de Tébèç, Riçpa, Esther et Judith.
Rahab
Au temps de Josué, Rahab vivait à Jéricho. Elle exerçait la prostitution dans une maison sise au sein de la muraille qui entourait la ville. En accueillant comme clients les deux espions envoyés par Josué et en les cachant, Rahab empêche le roi de Jéricho de les capturer. La prostituée trahit sa ville et rejoint la cause de Yahvé (Jos 2, 1-22). Dans la marche vers la Terre promise, grâce à la décision téméraire de cette femme, Jéricho devint une ville ouverte à l’armée de Josué menant une guerre offensive. Tout fut passé au fil de l’épée, tout fut pillé sauf la maison de Rahab qui se joignit au peuple d’Israël avec sa famille (Jos 6, 22-25).
Débora
Prophétesse et juge en Israël, Débora (femme de Lappidot) siégeait sous son palmier entre Rama et Béthel dans la montage d’Éphraïm. Sous la pression des Cananéens qui s’efforcent de réduire le peuple en esclavage ou de le chasser du pays, les Israélites doivent se défendre de l’armée conduite par Sisera. Débora prend l’initiative de cette guerre défensive en ordonnant à Baraq, chef du clan de Neptali, de rassembler dix mille hommes pour le combat. Ce dernier accepte à la condition que la prophétesse l’accompagne. Au pied du Tabor, la bataille s’engage. Comme les chars de fer s’embourbent dans les marécages de Qishôn, Israël l’emporte et Sisera s’enfuit mais périt dans sa fuite par la main de Yaël, femme de Héber le Qénite (Jg 4, 4-21). Le magnifique cantique de Débora et de Baraq célèbre cette guerre sainte (Jg 5, 1-31) et demeure une garantie de paix pour Israël durant quarante ans.
Yaël
Quand Débora avait demandé à Baraq de lever une armée pour combattre les Cananéens qui opprimaient le peuple d’Israël, elle lui avait prédit que la victoire finale reviendrait à une femme : « Dans la voie où tu marches, l’honneur ne sera pas pour toi, car c’est entre les mains d’une femme que Yahvé livrera Sisera » le chef de l’armée ennemie (Jg 4,9). Après la mise en déroute de l’armée cananéenne, Yaël accueille Sisera dans sa tente et le cache sous un tapis après lui avoir servi du lait de chèvre. C’est au cours du sommeil du chef de l’armée ennemie qu’elle plante le piquet de la tente dans la tempe du malheureux. Puis, elle le livre mort à Baraq parti à sa poursuite (Jg 4, 17). Dans le cantique de Débora et Baraq, Yaël est louée pour son habileté et son audace (Jg 5, 24).
Une femme de Tébèç
Le roi Abimélek marche sur Tébèç ville située au nord de Sichem. Il assiège et prend la ville… Au milieu de la ville, les hommes, les femmes et les notables se réfugient dans une tour fortifiée. Tandis que le roi Abimélek arrive à la porte de la tour pour y mettre le feu, une femme lui jette une meule de moulin sur la tête et lui brise le crâne. Ne voulant pas qu’on dise que «c’est une femme qui l’a tué », il demande à son écuyer de le transpercer (Jg 9, 50 ss). L’éclatante action de cette femme permit aux gens d’Israël de retourner chez eux après la victoire imprévisible de cette guerre défensive qui favorisa l’accomplissement de la promesse.
Riçpa
La conduite de Riçpa, femme pieuse et cousine de Saül, ébranle la justice royale qui met à mort des innocents dans les guerres de libération nationale. Cette femme, victime des conflits militaires, mérite l’attention car elle évoque aussi les nombreuses veuves bibliques, femmes oubliées en Israël. Pendant une période de famine, David accepte de venger les Gabonites que Saül avait massacrés. Il met à mort sept fils de la descendance du premier roi d’Israël. Parmi les victimes de la vengeance de David, se trouvent deux fils de Riçpa. Cette dernière se tient auprès des cadavres jour et nuit. Elle pleure cette justice guerrière qui tue des fils innocents. David averti de l’attitude de Riçpa et touché de compassion, ordonne d’enterrer les suppliciés dans le tombeau de Qish, père de Saül (2 S 21, 1-14).
Esther
Une orpheline juive élevée par Mardochée, Esther, fut choisie pour paraître devant Assuérus, le roi perse, qui avait répudié la reine Vasthi. Belle et douce, le roi préfère cette jeune femme à toutes les autres et elle devient la nouvelle reine (2,1-19). Un jour, Aman, élevé en dignité, obtint du roi Assuérus l’autorisation d’exterminer tous les Juifs du royaume (3, 7-14). Esther apprend l’horrible complot d’Aman. Après voir prié et jeûné, elle se présente au palais. Tandis qu’elle parle, elle s’évanouit et le roi, après la réanimation de la reine, lui promet la moitié du royaume. Mais cette dernière propose plutôt au roi de venir à son banquet accompagné d’Aman. Pendant le repas, elle révèle son identité et la menace qui pèse sur tout son peuple (4-7). Furieux, Assuérus fait pendre Aman au gibet préparé pour Mardochée et délivre un décret de réhabilitation du peuple juif (8, 12ss). L’héroïque Esther a sauvé son peuple de l’extermination au risque de sa propre vie.
Judith
Une veuve de Manassé choisit d’intervenir pour sauver les gens privés d’eau lors du siège de Béthulie par Holopherne commandant de l’armée assyrienne de Nabuchodonosor, une armée énorme et expérimentée. En effet, apprenant qu’Osias veut livrer Béthulie aux Assyriens, Judith lui demande de reprendre courage et de lui faire confiance (8,9-35). Pour vaincre Holopherne, elle met à contribution sa beauté de femme et l’éloquence de sa parole. Les soldats ennemis laissent passer cette visiteuse imprévue. À la tente somptueuse d’Holopherne, elle feint d’avoir fui Béthulie et demande son admission dans le camp. Holopherne accueille cette radieuse apparition et offre un banquet en son honneur, banquet qui se termine dans la torpeur et l’ivresse. La courageuse Judith se rend facilement à la tente du général où Holopherne dort d’un lourd sommeil d’ivrogne. Elle décroche le cimeterre, le décapite et ramène sa tête à Béthulie. L’armée assyrienne s’enfuit après la découverte du cadavre (10-13). Au milieu de tout Israël, Judith entonne un chant d’action de grâce au Dieu briseur de guerre, et durant trois mois, la population se livre à l’allégresse devant le Temple de Jérusalem. Judith devint célèbre et sa renommée grandit à Béthulie jusqu’à sa mort survenue à cent cinq ans (16,1-25).
Des guerres obligatoires commandées par Dieu, Israël est passé aux guerres de défense territoriale et nationale pour s’orienter vers la notion de paix au sens politique du terme : « Toute la communauté envoya des émissaires aux Benjaminites pour leur proposer la paix» (Jg 21,13). Avec Isaïe s’élève le rêve d’une vision de paix universelle (2,4 et 11,69), le Messie attendu est dénommé «Prince de la paix» (9,6) et peu à peu, la paix s’avère un don de Dieu (26,12). Comme le Nouveau Testament présente Jésus, comme l’envoyé de Dieu annoncé, on n’y retrouve pas de récits évoquant l’action de femmes guerrières.
Quand l’auteure José Maria Vigil présente le Dieu de la guerre comme celui des intérêts propres (privilège, élection, pouvoir, bien-être, indifférence aux pauvres, connivence avec le système établi, liberté pour les forts) placés au-dessus de tout, nous avons l’idée du contexte de l’Ancienne Alliance. Quand elle parle du Dieu de la paix comme le Dieu de la justice et de la fraternité placées au-dessus de tout, au prix de la destruction de privilèges et d’intérêts particuliers comme au prix du don de soi, nous pensons à Jésus le véritable «Prince de la Paix» dans le Nouveau Testament.
Aujourd’hui, la paix est toujours en espérance sur la terre dite sainte car un conflit y perdure depuis cinquante ans entre Israéliens et Palestiniens. Même si le Shalom quotidien souhaite une paix en plénitude et une vie en harmonie, des femmes pleurent toujours leur mari ou leurs fils victimes de la guerre alors que d’autres vengent leur peine en s’impliquant totalement dans le conflit et en contribuant à le solutionner.
Quoi qu’il arrive, la résistance à la guerre devient espérance de la paix promise et paix acquise si l’on adapte l’application des divers mécanismes de résolution de conflits aux capacités humaines de réconciliation et de miséricorde.