LES INTÉGRISTES AU CANADA SELON UNE MUSULMANE.
Fatima Houda-Pepin*, députée à l’Assemblée nationale du Québec
Née au Maroc, pays où l’islam est religion d’État, j’ai baigné dans un milieu où la religion fait partie du quotidien. Elle est synonyme de foi, de chants, de musique et de joie. Les fêtes religieuses étaient l’occasion de retrouvailles familiales et mes amies juives et chrétiennes y participaient, comme moi aux leurs. Je pouvais circuler librement à la mosquée, tête nue, prier avec un foulard, par respect pour Dieu, sans que nul ne m’interpelle sur mes cheveux qui dépassaient
Choc au Canada
Quel choc à mon arrivée au Canada, il y a 35 ans. J’y ai découvert des cercles d’endoctrinement où les femmes sont voilées entre elles, à l’intérieur de leurs propres maisons. Des organismes de prédication ont des ramifications au Moyen-Orient, au Pakistan, en Iran, en Europe et aux États-Unis.
Des imams formés à une école de pensée rigoriste, envoyés en mission et payés par l’étranger, propageaient un islamisme radical visant à isoler les musulmans de leur société d’accueil. Des messages appelaient au jihad et à la haine des infidèles, juifs, musulmans démocrates, ou chrétiens.
Deuxième choc: l’indifférence des pouvoirs publics. Dans la mesure où ces problèmes se vivaient à l’intérieur des communautés, pourquoi s’en mêler? Un déficit de connaissances de l’islam et des musulmans laissait les islamistes libres d’imposer leur vision.
L’islam du savoir et de la tolérance qui a marqué ma jeunesse au Maroc se transformait sous mes yeux, au Canada, en une camisole de force, réduit à une série d’interdits, imposés le plus souvent aux femmes. Puis, la perception qu’on a des musulmans se dégradera à la faveur d’images de violence venues du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie, et plus près de nous, suite du 11 septembre 2001, des États-Unis.
Des groupes islamistes, profitant de l’indifférence et de la méconnaissance ambiantes, ont raffiné leurs stratégies. Ils sont parvenus à s’ériger en «porte-parole» des communautés, au grand désarroi des musulmans démocrates qui peinent à s’intégrer et ne demandent qu’à vivre en harmonie avec leurs concitoyens. D’où la vulnérabilité de ces communautés, dont la majorité silencieuse n’ose pas confronter les islamistes sur leur terrain. Un leadership fragmenté, de faibles structures communautaires et le sentiment d’exclusion des jeunes aussi contribuent à leur marginalisation. Pourtant leur contribution en capital humain, compétences, apport économique et culturel est considérable.
Lorsqu’on observe la montée des extrémismes religieux et les menaces qu’ils font peser sur des acquis gagnés de haute lutte, l’égalité entre les hommes et les femmes notamment, on ne peut rester silencieux. Adoptant, il y a près de 50 ans, une Déclaration des droits, le premier ministre d’alors, John Diefenbaker, avait déclaré: «Aucun Canadien ne tolérera le fanatisme.» La Charte des droits et libertés, dont on célèbre le 25e, est venue renforcer ces droits.
Déclaration ou Charte, le principe fondateur en société pluraliste qui se veut juste et équitable est de protéger les minorités contre les abus de la majorité. Or, l’extrémisme religieux s’impose d’abord à l’intérieur des minorités elles-mêmes.
C’est le cas de la charia que des intégristes ont tenté d’imposer à Toronto, en 1990, avant de reculer sous la pression des femmes musulmanes. Cette bataille a été gagnée à l’intérieur des communautés elles-mêmes, avant qu’elle fasse surface sur la place publique en 2003, avec un argumentaire et un plan de communication plus sophistiqués. Heureusement, l’Ontario a renoncé à ce projet.
La droite religieuse américaine
De même la droite religieuse américaine a connu une ascension fulgurante. En 1978, 22% des Américains se déclaraient évangélistes. Ils étaient 33% en 1986. Depuis, le mouvement n’a cessé de croître et de se métamorphoser.
Le message évangéliste qui était à l’origine de l’ordre de la foi s’est transformé en un puissant instrument entre les mains d’un lobby qui a ses entrées dans les hautes sphères du pouvoir. Cette droite forte et agissante revendique rien de moins que la modification de l’ordre public. La conversion des «born again Christians» ne suffit plus, c’est toute l’Amérique qu’il faut sauver.
Au centre de sa stratégie: la lutte contre l’avortement, l’homosexualité et la «destruction des familles». Cette influence sur la politique nationale et internationale des États-Unis est considérable.
La montée de la droite religieuse essaime partout. Au Canada, différentes mouvances intégristes sont déjà à l’œuvre . Partout on vise l’école, la famille, les institutions et le pouvoir politique.
Les intégristes, même combat
Parallèlement, les mouvances islamistes se sont propagées dans plusieurs pays musulmans où elles mènent une lutte contre les régimes en place, considérés comme corrompus, et contre l’Occident «infidèle» et moralement «décadent».Cet Occident qui leur garantit des libertés religieuses est ciblé comme base arrière pour déstabiliser ces régimes politiques et du même coup, y faire reculer la démocratie. Dans cette logique, le Canada apparaît comme le ventre mou de l’Occident à cause des libertés fondamentales dont les extrémistes eux-mêmes jouissent.
La stratégie des islamistes, qu’ils avancent dans les cercles fermés, n’est pas l’intégration des musulmans au Québec et au Canada, mais leur intégration à une communauté sans frontières, une planète islamiste où un musulman doit être régi selon la charia, indépendamment du pays où il vit.
Un tel objectif passe par le contrôle des islamistes sur les communautés musulmanes et par leur reconnaissance par les autorités politiques, dont ils deviendraient les interlocuteurs officiels. Dans ce sens, toute avancée de ces groupes au plan juridique ou symbolique est un puissant levier pour imposer ultimement – au nom de la liberté religieuse – à une société sécularisée un modèle de gouvernance où la souveraineté de Dieu primera sur celle des hommes.
La Charte garantit «la liberté de religion». Mais de quelle liberté parle-t-on? Qui détermine, par exemple, les normes à imposer aux femmes en islam, religion où il n’y a pas de clergé, et où la relation avec Dieu est sans intermédiaire? Pourquoi endosser l’idéologie de ces groupes alors que la religion sur laquelle ils se basent ne leur donne aucune autorité pour le faire?
Une vraie menace
Les religions ont été instrumentalisées pour justifier inquisition, guerres, conflits interreligieux ou violations des droits de la personne. À notre époque, la vraie menace à la démocratie vient de la montée des extrémismes sous couvert de religion.
Qu’il s’agisse de la droite religieuse américaine, des radicaux se réclamant de l’islam ou de fondamentalistes hindous, partout la stratégie est la même: exploiter les libertés fondamentales dans le but de les subvertir.
Ces groupes, malgré leurs différences, ont deux objectifs en commun: saper les bases de la laïcité, au nom d’une certaine idée de Dieu et exercer une domination obsessionnelle sur les femmes, dont il faut contrôler le pouvoir de reproduction, ainsi que la liberté de pensée et de mouvement.
* Députée de La Pinièreà l’Assemblée nationale du Québec, Mme Fatima Houda-Pepin était l’invitée le 18 avril dernier de l’Institut d’études des femmes, de l’Université d’Ottawa. Voici un extrait résumé de sa conférence sur la question de l’intégrisme politico-religieux.