Lettre aux évêques
Mes amis et mes frères, évêques au Québec,
En cette semaine sainte, je viens de recevoir l’exemplaire no 85 de L’autre Parole. À l’intérieur du numéro, je lis l’article de Yvone Gebara qui rapporte l’homélie qu’elle prononçait le 15 août dernier, à Saint-Albert-le-Grand, à l’occasion des 50 ans de présence des religieuses Auxiliatrices au Québec. À cet événement, Yvone commentait le texte choisi par les religieuses pour la circonstance : la Résurrection selon Mat. 28, 1-10. Je joins l’homélie à ma lettre. Vous pourrez ainsi juger par vous-mêmes. Selon moi, c’est un bijou.
Qu’est-ce qui m’incite à vous en informer et à vous écrire ? Par quels motifs mon audace est-elle mue ? Voici :
Le refus de croire que rien ne puisse vous interroger après nos échanges et le texte de notre comité sur la violence à l’intérieur de l’Église. Votre silence est pourtant éloquent mais inadmissible à mes yeux. Je devrais pourtant comprendre après deux expériences : celle de la Commission Dumont — mais j’étais jeune alors — et la dernière sur la violence dans l’Église sans parler du chapitre sur les femmes au synode de Montréal.
Ma détermination à espérer toucher votre bonne foi et votre sens de la justice par des exemples concrets et des rappels constants chaque fois que votre discernement me paraît pouvoir être questionné. Ainsi aujourd’hui, pouvez-vous soutenir qu’une laïc, femme ou homme, ne puisse prononcer une homélie nourrissante pour l’éducation de la foi et la vie spirituelle?
Pourquoi alors Rome l’interdit-il et ne protestez-vous pas ? C’est incompréhensible, très contestable, rejeté comme abus de pouvoir et ceux qui s’en font complices par leur silence ne gagnent ni en respect ni en crédibilité. Je suis navrée de le constater souvent. Quel dommage !
Ma conviction, c’est que la légitimité prime la légalité quand la loi est en retard sur les mœurs et la culture. L’inculturation, est-ce un vain mot ? Il existe là matière à réflexion. Les faits continueront-ils longtemps encore à vous devancer ? Faudra-t-il toujours marcher au même rythme dans l’ensemble de l’univers catholique ? Qui ne voit l’urgence de la correction ? Les évêques auront-ils enfin un autre statut que celui de courroie de transmission ? Quand seront-ils considérés comme vrai Pasteur de leur Église locale ? C’est là que réside la clé des transformations urgentes. Vous le savez bien. Alors, faites alliance, mandatez des groupes de travail qui comptent des femmes (elles sont libres parce que non carriéristes) pour étoffer vos dires rationnels et informez vos collaborateurs et collaboratrices que vous bougez. Permettez-nous de croire à l’aurore. Aujourd’hui vous me semblez en léthargie, insensibles ou résignés à reculer. Vos stratégies — si vous en avez — sont invisibles. D’où notre indignation malheureuse.
Le vibrant commentaire de l’évangile de Pâques de madame Gebara, distribué en cette semaine, m’a inoculé du souffle et, me semble-t-il, le Souffle pour continuer à ne rien laisser passer qui entrave une largeur de vision dans l’Église (corps du Ressuscité, Peuple de Dieu) incluant les femmes. Voilà les motifs de mon intervention auprès de vous — sans aucun mandat cette fois — donc tout à fait spontanément et gratuitement. J’espère seulement ne pas être considérée par vous comme une importune.
Je vous offre ma considération malgré ma déception et vous assure de ma prière.
Chez moi, ce n’est jamais que des mots vides lancés en l’air.
Je souhaite une fraternelle compréhension et même, une connivence.
Mes états de service devraient plaider en ma faveur
Montréal, le 21 avril 2000 :
Lettre envoyée à une douzaine d’évêques par Hélène Chénier