Lettre ouverte à Marie-Andrée
Chère Marie-Andrée,
J’ai perçu ton appel à l’aide, publié dans l’Autre Parole, janvier 1978. Tu as à coeur la libération des femmes et tu cherches des recrues, sans doute parce que la tâche t’apparaît immense, Aurais-tu découvert une « mine d’or », en interpellant les religieuses? Ce sont des personnes qu’on a l’habitude d’ignorer – tu le constates toi-même – mais qu’on sait retracer quand on en a besoin. Il y a longtemps que l’homme a appris à l’humanité une attitude semblable envers les femmes.
Tes propos m’ont fait réfléchir. Ils me font aussi réagir. Tu seras fière de ce résultat que tu escomptais, n’est-ce-pas?
Merci de reconnaître « sans ambages les talents multiples des· religieuses ». Il ne fallait surtout pas les passer sous silence. Cela fait chaud au coeur de s’entendre dire qu’on a des possibilités. C’est la gorgée d’eau indispensable pour avaler la pilule.
Je t’accorde que les religieuses ne sont pas les têtes d’affiche du « mouvement féministe ». Par mouvement féministe, tu veux désigner, si je comprends bien, ces regroupements de femmes qui s’identifient comme féministes, qui élaborent un programme d’action, qui luttent publiquement, sans omettre quand c’est nécessaire les contestations, les prises de position, les marches avec pancartes, etc. Pour nombre de religieuses, la vie conventuelle a fourni un piètre noviciat pour ce genre d’activités.
Mais le fait de ne pas appartenir à de tels mouvements féministes signifie-t il automatiquement: ne pas travailler à la libération des femmes?
Tu affirmes que les religieuses sont des femmes libérées. Elles sont libres, dis-tu, parce que soustraites à « un certain exercice du pouvoir patriarcal, la domination du mari par exemple », et aux problèmes de la maternité physique. En effet, les religieuses ne sont pas des samaritaines, mais elles ont été des « filles » soumises de multiples « Pères » tous préoccupés de sauvegarder soigneusement la virginité de ces humbles femmes. Pendant des siècles, la sollicitude masculine a contrôlé leur quotidien: règle de vie empruntée aux communautés d’hommes et imposée quasi sans adaptation; horaire monastique unisexe; spiritualité conçue par de « grands saints »; traditions religieuses et, bien plus, détails du costume religieux impossibles à changer sans l’autorisation expresse d’une curie romaine qui n’a de féminin que le nom.
Femmes, les religieuses se sont dégagées récemment d’une bonne part de 1’ingérence masculine dans le détail de leur vie et elles 1’ont fait sans fracas, sans révolte, avec de la lucidité, de l 1audace, de la patience. C’est probablement pour cela que cette libération » n1 a pas fait la manchette des journaux.
Mais les religieuses n’ont pas attendu cette « libération » pour travailler à la promotion de la femme. Depuis ces dernières années, un nombre croissant de religieuses oeuvrent pour aider les femmes: maisons d’accueil pour celles.qui doivent se soustraire aux mauvais traitements de leur mari, accueil des jeunes mères célibataires, aide aux mères de famille dans les tâches ménagères, remplacement au foyer de celles qui doivent aller à l’hôpital, écoute et support moral de femmes de tous âges, éducation des jeunes, etc. etc. D’autres religieuses travaillent d’égal à égal avec des collègues masculins en éducation, en pastorale; elles essaient de créer patiemment la place qui revient à la femme dans la société et de faire entendre « l’autre parole ».
Avec toi, Marie-Andrée, « je pense que les luttes pour que cessent les différentes formes d’oppression des femmes sont un signe des temps pour la libération humaine ». Cependant, je me vois mal, comme religieuse réclamer et défendre sur la place publique: des congés de maternité dans les conventions collectives qui les omettent, le droit à la contraception et à l’avortement, l’organisation des garderies. Comprendrait-on la philanthropie gratuite de mes réclamations? Je préfère laisser cette initiative à celles qui vivent les problèmes de la maternité, sans refuser d’appuyer leurs justes revendications.
J’admire, Marie-Andrée, la lutte que tu poursuis. Mais il y a tellement à faire dans le monde d’aujourd’hui qu’il me faut comme toi effectuer des choix, privilégier des options. Je trouve très importante la libération des « différentes formes d’oppression des femmes ». Elle vaut la peine qu’on y travaille. Je crois qu’il y a aussi d’autres libérations fort importantes, car une femme · »libérée » n’est pas nécessairement une personne libre. Les contraintes intérieures sont parfois plus difficiles à rompre que les chaînes extérieures.
Si, au cours de cette lettre mon opinion a quelque peu divergé de la tienne, je rejoins d’emblée ta conclusion et souhaite avec toi « une collaboration de toutes les femmes à la transformation radicale du monde ». Que chacune y aille selon ses possibilités et son charisme, dans le champ d’action qu’elle a choisi. Peu importe si ce champ ne porte pas l’étiquette « activités féministes ».
L’une de celles que tu trouves bien silencieuses,
Rimouski Simone Plourde