Lettre synodale no 3

Lettre synodale no 3

À l’étude cette semaine : le partage des responsabilités entre clercs et laïcs et, la question qui retrousse toujours, les femmes et les ministères ordonnés !

 En ces temps de guerre qui distillent mort et haine, le pape François a demandé le 7 octobre à l’assemblée synodale de vivre un jour de jeûne pour la Paix. Et, pendant toute la semaine, les séances de travail ont été ponctuées de temps de prédication, de méditation et de prière ; telle est la méthode mise en place pour que l’Esprit soit à l’œuvre et que l’Église passe d’un mode d’exercice pyramidal de l’autorité à une Église synodale.

Les ministères institués. Les pères et mères synodaux ont étudié les paragraphes de l’Instrumentum laboris qui traitent des « ministères », c’est-à-dire des services institués dans l’Église, étant entendu que certains de ces ministères peuvent être assumés par des laïcs[1]. Comme l’a mentionné en conférence de presse la secrétaire de la Commission pour l’Information du Synode, madame Sheila Leocádia Pires, le Synode étudie la possibilité d’étendre des ministères aux laïcs, hommes et femmes, qui possèdent des dons variés. Il y aurait donc plus à considérer que la seule question du diaconat féminin. Instrumentum laboris mentionne « le ministère de coordination au sein d’une petite communauté ecclésiale, le ministère d’animation de moments de prière (lors de funérailles ou autres). » Il évoque aussi les ministères de lecteur et d’acolyte déjà institués par le pape François, ou encore, la possibilité pour les laïcs de célébrer baptêmes et mariages, sous certaines conditions. Instrumentum laboris suggère aussi de poursuivre la réflexion sur la manière de confier ces ministères aux laïcs sous une forme plus stable et il préconise de créer « un ministère de l’écoute et de l’accompagnement ». Auparavant, des membres du Synode ont aussi évoqué la possibilité que des laïcs prêchent les homélies lors de la messe — une perspective qui ne fait cependant pas l’unanimité.

Ce catalogage des ministères laisse perplexe. Est-il possible d’identifier tous les ministères dont les Églises locales ou nationales ont besoin ? Les ministères ont évolué depuis deux mille ans et se sont transformés en fonction des contextes culturels, historiques et géographiques, afin de mieux répondre aux besoins en constante évolution des communautés. Sans cette capacité d’adaptation, d’inculturation, l’Église n’existerait plus aujourd’hui. Le défi qui se pose actuellement dans l’Église, est-ce celui de repérer et de « stabiliser » la diversité des pratiques ou celui d’apprendre à faire confiance aux capacités de discernement des communautés locales ?[2] Est-ce que le défi pour le magistère de l’Église n’est pas d’apprendre à composer avec la diversité des pratiques locales ou nationales, tout en préservant l’unité ecclésiale fondée sur une même foi en la Bonne Nouvelle de Jésus, Christ, mort et ressuscité ?

Femmes et diaconat. Le 1er octobre 2024, le journal La Croix titrait : « À Rome, le Synode le plus féminin de l’histoire entame son deuxième “round” ». Avec un effectif féminin de 14,4 %, ce Synode inclut certes plus de femmes qu’à l’habitude mais, soyez sans crainte, la parité ne se pointe pas à l’horizon. Par ailleurs, les questions reliées au statut et au rôle des femmes dans l’Église, comme l’accès des femmes aux ministères ordonnés (diaconat), occupent une place paradoxale : à la fois occultée et omniprésente. Je m’explique. Occultée, parce qu’elle a été exclue de l’Instrumentum laboris, ce document qui guide les travaux de la deuxième session du Synode, et ce, même si elle faisait partie des propositions retenues (II 9n) dans le Rapport de Synthèse des travaux synodaux de l’année dernière[3]. En fait, le Pape a confié en février 2024, à 10 groupes de travail, l’étude de diverses questions,[4] dont celle du diaconat pour les femmes ; ces groupes ont pour mandat de faire rapport d’ici octobre 2025. Le groupe de travail no 5 qui traite justement de la question des ministères, y compris de la place et de la participation des femmes dans l’Église et qui recense les recherches théologiques et pastorales sur l’accès des femmes au diaconat, est sous la responsabilité du cardinal Fernandez, préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi (DDF). Lors de la séance d’ouverture du Synode le 2 octobre dernier, celui-ci a déclaré que « d’autres questions […] doivent encore être examinées et résolues avant de se précipiter[5] pour parler d’un éventuel diaconat pour certaines femmes ».Pour le préfet du DDF, il n’y a « pas de place pour une décision positive du Magistère sur l’accès des femmes au diaconat entendu comme degré du sacrement de l’Ordre ». En effet, il semble que le Pape « considère que la question n’est pas mûre ». Néanmoins, le groupe de travail estime possible de faire un « travail d’approfondissement ».

Bien des membres de l’assemblée synodale ne sont pas satisfaits de cette déclaration et, du coup, la question est devenue omniprésente. De plus, lors des conférences de presse quotidiennes, cette question a été relayée de manière récurrente par les journalistes. Finalement, le Secrétaire général du Synode, le cardinal Grech, a consulté l’Assemblée. Un vote a été pris ; 265 délégué.e.s ont voté favorablement et 74 se sont opposés, pour que les membres de l’Assemblée rencontrent les coordonnateurs des 10 Groupes de travail, dont ceux du fameux groupe no 5. Cette rencontre se fera le vendredi 18 octobre. De plus, le préfet du DDF a annoncé que le groupe de travail no 5 a entamé une« phase de consultation », qui sera également ouverte « à des femmes qui ne sont pas consultrices du dicastère ». Tous les membres du Synode, de même que les théologiens qui y travaillent, peuvent également envoyer au dicastère leurs contributions au cours des prochains mois. Avis aux intéressé.e.s : il est possible de faire parvenir vos avis, documents, études sur la question des femmes et des ministères ordonnés au Dicastère de la Doctrine de la foi !

Ordination de diacres permanents mariés ? La question de l’accès au ministère presbytéral pour les hommes diacres permanents a également été soulevée. Un évêque chilien a évoqué « la mission extraordinaire » de ces diacres dans ses communautés. Lors de la conférence de presse du 8 octobre 2024, l’archevêque de Porto Alegre du Brésil, Mgr Jaime Spengler (qui sera créé cardinal le 7 décembre prochain), a été interrogé sur la possibilité d’ordonner prêtres des diacres mariés pour la région amazonienne qui souffre d’un important manque de prêtres. Il a envisagé avec prudence l’éventualité d’ordonner prêtres des hommes mariés déjà diacres permanents: « J’oserais dire, au moins pour moi dans la réalité où je me trouve — parce que les réalités sont différentes, je crois qu’on ne peut pas généraliser —, [qu’] à partir de l’expérience du diaconat permanent, nous verrons peut-être si dans un avenir pas trop lointain, l’un ou l’autre de ces hommes pourrait être ordonné prêtre pour une communauté spécifique ». Pour l’archevêque, cette question a besoin « d’un approfondissement », et demande « du courage, et une capacité d’ouverture du cœur ».

 

La résolution de la question de l’ordination presbytérale d’hommes diacres permanents mariés est-elle préalable à l’ordination de femmes au diaconat et au presbytérat ? Peut-être bien que oui. Le sujet de l’ordination presbytérale d’hommes diacres avait été traité lors du Synode sur l’Amazonie en 2019, mais sans parvenir à convaincre les autorités. Il refait surface au Synode sur la synodalité. Un dossier à suivre parce qu’il pourrait éventuellement favoriser une transformation des représentations des sujets sexués masculins et féminins actuellement véhiculées par le magistère, représentations qui plombent toutes les questions qui touchent les femmes.

Œcuménisme. Ce Synode affirme aussi son ouverture à l’œcuménisme. Il y a 16 représentant.e.s des autres Églises chrétiennes à ce Synode qui, sans avoir le droit de vote, détiennent cependant le même droit d’intervention orale et écrite que les autres délégué.e.s dans l’assemblée. Lors d’une conférence de presse, la théologienne française et pasteure mennonite Anne-Cathy Grabera soutenu que le dialogue entre les différentes églises chrétiennes est bien concret et que l’unité des chrétiens s’inscrit ici et maintenant : « même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, dogmatiquement, liturgiquement, nous pouvons déjà dire qu’ensemble nous faisons partie du même Corps du Christ ».

La théologienne Catherine Clifford, une des déléguées canadiennes au Synode, est intervenue en Conférence de presse cette semaine. Elle a souligné l’ambiance d’ouverture qui règne dans l’Assemblée, la liberté d’expression qui y prévaut. Rappelant les propos tenus parle dominicain Timothy Radcliffe (futur cardinal), voulant que les  2/3 des catholiques ne vivent pas dans des pays européocentristes, elle a souligné l’importance qu’il y ait plusieurs modèles de synodalité et que les communautés chrétiennes aient l’occasion de vivre concrètement la synodalité.

Enfin, le 8 octobre, l’Assemblée synodale a élu des membres de la Commission pour la rédaction du Document final. Cette importante Commission comprend 14 personnes : 4 membres d’office, dont le Président, le cardinal Jean-Claude Hollerich, S.J., rapporteur général et le Cardinal Mario Grech, Secrétaire général du Synode ; 7 membres sont élus et représentent les différentes régions du monde. La théologienne Catherine Clifford, a été élue pour représenter l’Amérique du Nord ; enfin, 3 personnes sont nommées par le pape, dont Sr. Leticia Salazar. Ces 14 personnes sont chargées de superviser l’écriture du Document final. On remarquera qu’il y a 2 femmes sur cette Commission ; une élue par l’Assemblée, Catherine Clifford, seule personne laïque de cette Commission et une nommée par le pape, Sr. Leticia Salazar. Félicitations Catherine Clifford ! Nos meilleurs vœux t’accompagnent pour cette mission exigeante !

Marie-Andrée Roy

12 octobre 2024

[1]Pour ce faire, les pères et mères synodaux ont disposé de trois périodes de travail en groupes linguistiques et de trois séances plénières.

[2]Ma communauté chrétienne de Saint-Albert-le-Grand à Montréal n’a heureusement pas attendu que les pères et les mères synodaux se penchent sur ces questions à Rome, pour exercer son discernement et mettre en œuvre les ministères dont elle avait besoin pour vivre et rayonner en tant que communauté chrétienne pleinement responsable. À L’autre Parole, on n’a pas attendu non plus les autorisations romaines pour procéder. Si nous l’avions fait, nous aurions certainement souffert d’anémie spirituelle sévère !

[3]Rapport de synthèse, Une Église synodale en mission, XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, première session, 4-29 octobre 2023, II 9 n, p. 25. La proposition a été dûment votée à l’effet de poursuivre la recherche théologique et pastorale sur l’accès des femmes au diaconat, en utilisant les résultats des commissions spécialement constituées par le Pape et les recherches théologiques, historiques et exégétiques déjà effectuées : « Si possible, les résultats devront être présentés lors de la prochaine session de l’Assemblée » en 2024 (II 9 n).

[4]Ces dix thèmes sont : 1) les relations avec les Églises orientales ; 2) le cri des pauvres et des marginaux ; 3) la mission à l’ère numérique ; 4) prêtres, formation et relations ; 5) les ministères, y compris la réflexion sur la place et la participation des femmes dans l’Église et la recherche théologique et pastorale sur l’accès des femmes au diaconat ; 6) la vie consacrée et les mouvements ecclésiaux ; 7) les évêques, figure et fonctions ; 8) le rôle des nonces ; 9) les questions doctrinales, pastorales et éthiques « controversées » afin de mieux clarifier la relation entre pastorale et morale ; 10) le dialogue œcuménique.

[5] «…se précipiter »? Propos étonnants. Il y a plus de 50 ans que des catholiques de partout dans le monde réclament que les femmes aient accès à tous les ministères ordonnés, diaconat, presbytérat et épiscopat, que des recherches universitaires approfondies en théologie, en exégèse biblique, en histoire, en études pastorales, en sociologie ont été faites sur ces questions et que le Vatican a commandé nombre d’études à différents comités d’experts et qui arrivent à la même à la même conclusion : il revient au magistère de prendre une décision pour aujourd’hui. En somme, les blocages ne sont ni dans les Écritures, ni dans les fondements des premières communautés chrétiennes, mais dans la culture ecclésiale actuelle, entendez, et là c’est moi qui parle, une culture marquée du sceau du patriarcalisme et du cléricalisme.