Synodalité et décentralisation dans l’Église.
Au premier regard, cette troisième semaine d’activités synodales semblait s’essouffler. Souffrait-elle d’une MPOC1, cette maladie qui entrave le Souffle et l’empêche de circuler dans l’Église? Lors des conférences de presse quotidiennes diffusées sur Vatican News, une certaine langue de bois semblait s’installer : les prélats, les uns après les autres défilent au micro pour dire : « il faut du temps, beaucoup de temps, encore du temps; il faut s’écouter, s’imprégner de la parole de l’autre, il ne faut pas bousculer, imposer le changement, il faut laisser l’Esprit être à l’œuvre ». D’accord! Mais encore?
À travers ce dédale discursif, y-a-t-il quelques signes qui permettent de faire un peu de « millage »?
Unité des chrétiens et des chrétiennes. Vendredi soir le 11 octobre 2024, le Pape François, accompagné des membres du Synode et de 16 représentant.e.s d’autres Églises chrétiennes qui participent à ce Synode, a présidé une prière aux flambeaux sur la Place des Protomartyrs au Vatican2; dans son texte, il exprime sa « honte » de la division chrétienne. Il soutient que « l’unité des chrétiens et la synodalité sont liées ». « Dans les deux processus, il ne s’agit pas tant de construire quelque chose, que d’accueillir et de faire fructifier le don que nous avons déjà reçu ». Ça me semble être là une Bonne Nouvelle et un geste symboliquement fort; en effet, le 11 octobre 1962 le pape Jean XXIII inaugurait le Concile Vatican II qui allait révolutionner l’Église et l’ouvrir à l’œcuménisme. Sous le pontificat de François, on peut penser que cette ouverture continue de gagner en profondeur.
Violences perpétrées à l’endroit des religieuses. Cette question a été soulevée le 14 octobre et quelques personnes intervenantes ont indiqué, au moment de la conférence de presse, que cette question était prise au sérieux. Il s’agit non seulement d’abus passés, mais également actuels. On sait que la question des violences sexuelles à l’endroit des enfants et des personnes vulnérables a entraîné la mise en place de mécanismes de dénonciation et le développement de procédures d’accompagnement et de réparation pour les victimes. Mais, rien de tel pour les religieuses. Il a été dit que le Synode amène les Pères et Mères synodaux à revoir les relations qui se vivent au sein de l’Église et qu’ils et elles sont appelé.e.s à cultiver la bienveillance. Cet enjeu sera-t-il repris dans le Rapport final qui sera adopté au cours de la semaine qui vient? À suivre.
Le diaconat pour les femmes et l’ordination presbytérale d’hommes diacres permanents. Ces questions apparaissent à la fois stratégiquement importantes pour la poursuite de la Mission de l’Église3 et, en même temps, facteurs de tensions et de divisions. Or, le Synode veut œuvrer le plus possible sous un mode consensuel et, les propositions, au moment de l’adoption du Rapport final, doivent recueillir l’accord des 2/3 des membres votants pour être adoptées. Un défi considérable!
Dans ce contexte, les propos du Cardinal Steiner, archevêque du diocèse de Manaos, bien arrimés à la réalité de l’Amazonie, ont eu quelque chose de rafraichissant. Il fait le constat que les femmes jouent un rôle essentiel dans la vie ecclésiale amazonienne. Je résume ses propos : les femmes sont responsables de communautés; elles baptisent, font la catéchèse, font la charité. Ce sont elles qui représentent notre Église. En fait, beaucoup de femmes sont des diaconnesses sans en avoir le titre. Mais, pour ne pas créer de confusion avec le ministère ordonné, le Cardinal Steiner n’insiste pas pour les appeler diaconnesses. Ce qui importe pour lui, c’est la Mission et la qualité vocationnelle de la personne qui assume cette Mission; ce n’est pas son statut, ni son titre. On a un peu l’impression ici que la réalité du terrain missionnaire a préséance sur la lettre de la loi. Une voie pour que le Souffle de l’Esprit fasse son chemin?
L’ordination presbytérale d’hommes diacres mariés ne soulèverait pas de difficultés particulières pour le Cardinal Steiner, au contraire; elle était déjà souhaitée lors du Synode sur l’Amazonie en 2019. Il vit, en effet, dans un diocèse où il n’y a que 172 prêtres pour répondre aux besoins de plus de 1000 communautés chrétiennes; les besoins sont criants. Il est d’avis que le Pape aura éventuellement la capacité d’avancer sur cette question. Mais, invoquant « sa grande sensibilité », il pense que le Pape « n’a pas encore voulu le faire » pour ne pas ajouter au fossé qui se creuse au sein de l’Église.
Question : en attendant que la Pape ait « la capacité » d’avancer sur ces questions, que doivent faire les communautés? Patienter, en espérant la réponse romaine ou, discerner les besoins de la communauté et, reconnaissant l’importance de la Mission, se donner les outils requis pour que soit annoncée la Bonne Nouvelle?
Décentralisation, Unité de l’Église et pouvoir des Conférences épiscopales. Une bonne partie du reste de la semaine a servi à débattre des enjeux qui concernent la décentralisation de l’Église. Celle-ci compromet-elle l’Unité de l’Église? Les Pères et Mères du Synode discutent notamment du paragraphe 97 de l’Instrumentum laboris4 qui propose de « reconnaître les conférences épiscopales comme des entités ecclésiales dotées d’une autorité doctrinale, une manière d’assumer la diversité socioculturelle au sein d’une Église multiforme qui valorise les expressions liturgiques, disciplinaires, théologiques et spirituelles adaptées aux différents contextes socioculturels ». Une telle autorité des Conférences épiscopales pourrait-elle atténuer l’autorité centralisatrice qu’exerce, en pratique, la Curie romaine? En tous les cas, une autorité doctrinale dévolue aux Conférences épiscopales permettrait sans doute d’assumer plus significativement la diversité socioculturelle d’un pays et d’autoriser des expressions liturgiques ou spirituelles plus diversifiées ou mieux adaptées aux contextes socioculturels. Bref, cette décentralisation favoriserait sans doute une certaine forme d’inculturation.
Le débat sur la décentralisation de l’Église touche simultanément l’enjeu de sa décléricalisation. Il ne s’agit pas simplement de reconnaître plus d’autorité aux Conférences épiscopales; il s’agit également de les rendre plus synodales, plus participatives et moins cléricales. Par exemple, l’Église allemande a voté en 2023 la création d’un Conseil synodal constitué d’évêques, de prêtres et de laïcs élus démocratiquement qui pourrait être mis en place en 2026. Ce projet a soulevé l’ire de Rome, mais il semble que la discussion se poursuit sur ce sujet. Une piste à explorer pour l’Église du Québec?
Prochain sujet à venir :
Les femmes dans l’Église : elles parlent, hors-les-murs!
Marie-Andrée Roy 20 octobre 2024
1 – MPOC : maladie pulmonaire obstructive cléricale par analogie avec la maladie pulmonaire obstructive chronique qui contraint sérieusement le souffle des personnes qui en souffrent. Le Souffle de l’Esprit est-il obstrué par le cléricalisme?
2 – https://www.vaticannews.va/en/pope/news/2024-10/pope-ecumenical-vigil-synod-christian-unity-vatican-ii-anniversa.html
3- L’Église, dans plusieurs contrées du monde, n’a tout simplement pas les moyens de se passer de ces ouvrières et de ces ouvriers pour assurer sa présence dans les Communautés.
4 -https://www.synod.va/content/dam/synod/assembly2024/il/pdf/FRA—Instrumentum-laboris-2.pdf