Lettres de Bethlehem
Par la magie du courrier électronique, me sont parvenues les lettres d’une jeune femme d’origine française séjournant dans la ville de Bethlehem. C’était à la veille de Pâques. Dans ses courriels écrits au jour le jour, Nathalie – c’est le nom que porte la jeune femme – tente de communiquer avec le reste du monde. Elle dit les difficultés vécues par ses proches et ses propres inquiétudes concernant la guerre au Moyen-Orient. La description qu’elle fait de la situation n’a rien à voir avec les nouvelles transmises par les médias télévisés. Ces derniers sont froids ; les lettres de Nathalie disent au contraire l’urgence d’agir. Bien que loin d’une chronique de vacances, ses propos sont porteurs d’une certaine espérance. C’est pourquoi j’ai choisi de vous en présenter des extraits.
Nathalie écrit entre autres : “ Mes amis palestiniens, ici à Deheishe, sont à bout de nerfs. Ils attendent la mort. On annonce en effet que les camps de réfugiés vont être attaqués d’une minute à l’autre. Ils se sont regroupés dans une maison située à priori hors de la zone de tirs. Mais la guerre les a rattrapés : plus d’électricité depuis hier (jeudi, 29 avril 2002). Ils s’éclairent à la bougie. Mais les bougies fondent vite. Leur voisine a été blessée par balle…et puis, l’armée israélienne est venue leur rendre une petite visite. Cela a encore demandé des bougies, vous pensez bien ! Aujourd’hui, ils ont trouvé du pétrole et une lampe à pétrole. Ils sont heureux. Des tirs dans tous les coins, pas de télé, ni de radio, ni de frigo, ni internet, mais ce soir, ils vont manger des crêpes – stock d’œufs à épuiser. Certains sont profs, d’autres travaillent pour le consulat. Ils économisent les piles de leurs ordinateurs portables. Ils sont de bon conseil pour moi. Je dois me préparer au couvre-feu et me mettre à la recherche d’une lampe à pétrole. (…)
Guerre absurde.
Parmi les amis palestiniens, une fille, C., qui a quitté sa maison mercredi soir. Elle habite à proximité du quartier général d’Arafat à Ramallah. Une de ses voisines lui a raconté comment les soldats israéliens sont entrés chez elle, ont tout saccagé et volé plusieurs objets (magnétoscope, camescope, etc.). “ Tsahal ”, ça veut dire “ armée de défense d’Israël ”. C’est pour défendre Israël qu’ils ont volé toutes ces choses ? Honte à cette armée de soudards ! Mon amie a été obligée de fuir sa maison. Elle a perdu beaucoup. Mais, grâce à Dieu, elle est vivante.
L’armée occupe le cœur de la ville de Ramallah. Le Centre culturel français est apparemment en piètre état. Impossible d’en savoir davantage. Les gens de Ramallah sont terrés chez eux. Silencieux. L’armée israélienne – qui décidément n’aime pas la culture, ni les moyens de communication – vient de réduire au silence télévision et radio locales. Le ministre de la Défense d’Israël a cru bon de dire et de redire que les journalistes et les étrangers n’étaient pas les bienvenus dans les territoires occupés. En clair, il prévient qu’il y aura des bavures. (…)
Évidemment , on se sent rassurée de savoir que désormais, les Nations Unies se penchent sur le problème palestinien ! Merci monsieur Kofi Annan de veiller sur nous et sur la paix. Vous avez juste quelques mois, pour ne pas dire quelques années de retard. Et ce retard, et cette non prise de décision de l’ONU, nous allons désormais les payer de nos vies ! (…)
Aujourd’hui, c’est le branle-bas de combat. On attend l’armée israélienne. Le camp est désert. Personne dans la salle d’informatique, mêmes les Italiens l’ont désertée… Les nouvelles de Ramallah arrivent au compte-goutte. On a tous les yeux rivés sur l’écran de télé. Je finis par rejoindre mes amis français à Ramallah. Ils se sont tous rassemblés dans une maison assez loin des zones de tirs. Pas d’électricité. Couvre-feu partout dans la ville. C’est la guerre. Mais d’un côté il n’y a pas d’armes. Une guerre vraiment ?
Savez-vous comment on dit “ vendredi saint ” en arabe ? On dit “ al Jom’a al Hazine ”, ce qui se traduit par “ vendredi triste ”. Jamais autant que ces jours-ci je n’ai eu l’impression de tant “ coller ” aux évangiles. Parce que pour être triste, il l’a été ce vendredi. (…) Des amis palestiniens coincés à Jérusalem m’écrivent avec leur portable : rentre chez toi au plus vite. Les rumeurs veulent que des tanks soient en route pour Bethlehem. Fais attention ! Éloigne –toi des fenêtres. Les heures passent. On ne vit plus. On ne dort plus. On sursaute au moindre bruit, une porte qui claque, des chiens qui aboient. Hier soir, un orage. Le tonnerre…ou les tanks ?
J’en ai marre du silence des responsables politiques de l’Occident. (…) J’ai pris une décision, hier, celle de boycotter les élections françaises parce que nos principaux candidats n’ont rien à offrir. Ils se battent comme des chiffonniers pour une place à l’Élysée. Pas de programme, pas d’idée. Surtout pas de position courageuse à l’égard de la Palestine qui est à feu et à sang.
Je ne vais pas vous demander de participer à une manif ni à aucune autre action démocratique en faveur de la paix. Non. Je voudrais seulement vous conseiller la lecture ou la relecture de “ 1984 ” d’Orwell.
C’est samedi saint aujourd’hui pour les chrétiens de rite latin. Et, en arabe, cela veut dire le samedi de la lumière. ”
Agathe Lafortune