L’HYPERSEXUALISATION…UN DOSSIER CHAUD
Léona Deschamps, Houlda
Depuis quelques années, diverses tribunes signalentle phénomène de l’hypersexualisation sociale entraînant la sexualisation précoce des filles. L’apparition d’un tel phénomène à la fin de ma carrière de quarante ans d’enseignement à l’école primaire ne pouvait me laisser indifférente. Durant toutes ces années, j’avais rêvé d’une réussite humaine et harmonieuse pour les enfants qui m’étaient confiés. C’est pourquoi l’hypersexualisation de la société d’aujourd’hui avec toutes les conséquences qu’elle entraîne, me préoccupe infiniment
Comment justifier la sexualisation précoce des filles alors qu’elle les prive non seulement de leur enfance mais contribue à la remontée d’effets pervers chez ces femmes de demain? Toutes ces interrogations m’ont stimulée à bâtir un dossier chaud sur ce thème pour la revue L’autre Parole même si les vacances qui approchent nous convient davantage aux activités estivales qu’à des engagements cruciaux.
Afin d’alléger le parcours qu’exige une telle prise de conscience, j’invite mes lectrices et lecteurs éventuels à suivre le rythme qui a présidé à ma propre sensibilisation. Bien qu’encore élémentaire, cette sensibilisation, puisée à diverses sources documentaires, m’a animée durant toutes ces années.
Le déclencheur
Un bon matin, une de mes élèves de six ans se présente en classe toute joyeuse comme habitude. Discrètement, je lui fais remarquer que le bas de son gilet est roulé. Elle me répond sans hésiter : « C’est ainsi qu’il faut le porter maintenant ». Craignant les rires des autres élèves, je lui propose de leur demander s’ils ont le goût de voir son nombril toute la journée. Ce qu’elle accepte spontanément. Ses amiEs en riant lui ayant répondu par la négative, elle consent alors à dérouler son gilet. C’était en 2001… l’hypersexualisation venait de faire son apparition..
Mes sources :
1. Avis sur la sexualisation précoce des filles
Dans cet Avis déposé au printemps 2005 par le Comité aviseur sur les conditions de vie des femmes auprès de l’Agence de développement des réseaux locaux de services de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent, l’hypersexualisation de l’image corporelle n’est évoquée qu’une fois et à titre de phénomène récent (p.16).
Ce phénomène serait apparu tout d’abord dans le sillage de la révolution sexuelle des années 1960 durant lesquelles furent bannis tous les tabous et évacuée toute morale restrictive en même temps que s’organisaient de troublantes campagnes contre le sida.
On remarque alors qu’en général la société banalise d’abord les enjeux et les conséquences de ce phénomène vu comme une mode passagère, une manifestation de l’adolescence où confusion et malaise s’entremêlent… On veut être de son temps. Mais les ravages causés par la double obsession de la jeunesse et de la minceur provoquent un réveil brutal dans les milieux soucieux de la santé des gens.
La seconde partie de l’Avis développe l’impact de la sexualisation précoce sur la santé physique et mentale des filles. La valorisation de l’apparence entraîne des troubles liés à l’image corporelle : mauvaises habitudes alimentaires, baisse d’estime de soi, accompagnées d’abus de drogue et d’alcool. Comment développer l’estime de soi si liée à l’épanouissement de la personnalité quand la publicité ne diffuse que des messages de liberté de choix centrés uniquement sur des produits de consommation?
2. La Gazette des femmes
Sous la plume de Monique Durand, le dossier « Hypersexualisation des filles » de la Gazette des femmes (sept. –oct. 2005) et sous-titré « Échec du féminisme? » se présente comme une question soumise, après un échange de points de vue diversifiés et parfois défavorables au féminisme, à diverses intervenantes de professions différentes.
Nathalie Collard, journaliste, affirme que le féminisme ne peut être responsable de tout ce qui se passe dans la société et que ses deux filles ne vivent pas dans un aquarium. Elles côtoient des voisines et amies pour la plupart au régime.
Pour sa part, Pierrette Bouchard, directrice de la Chaire d’étude Claire Bonenfant de l’Université Laval, précise que les féministes ont été les premières à identifier le problème de la sexualisation des filles et à instaurer une recherche sérieuse de ses causes. (p. 17)
La philosophe Sylvie Rochon avoue que ses étudiantes, des filles de la génération des féministes, « se sentent obligées de répondre aux modèles, elles ont peur de ne pas plaire ». (p. 19)
À son tour, la sexologue – clinicienne Marie-Paule Ross ajoute que « les garçons privilégient la performance génitale et font chanter les filles qui doivent se prêter à des fellations pour être admises dans le groupe ». (p. 19)
Quant à la pédiatre Franziska Baltzer, directrice de la Clinique des adolescents de l’Hôpital de Montréal pour enfants c’est en contexte qu’elle met l’hypersexualisation des filles. « Vous savez, les jeunes d’aujourd’hui écoutent la même musique que leurs parents. Ils s’habillent souvent de la même façon. Ils se teignent les cheveux de la même couleur. Ils sont « cools » comme leurs parents. Et ils pratiquent le sexe comme leurs parents. Un des grands problèmes de notre temps (…) Les jeunes n’ont plus rien pour se distinguer de leurs parents.» (p. 18)
3. Une recherche incontournable
À l’automne 2006, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Rimouski confie à Pierrette Bouchard le mandat d’effectuer une recherche de type documentaire (recension des écrits) concernant le lien entre l’hypersexualisation, la sexualisation précoce et les agressions sexuelles.
Ayant déjà publié en 2003 Miroir, miroir…, sous-titré La précocité provoquée de l’adolescence et ses effets sur la vulnérabilité des filles et en 2005, en collaboration avec d’autres chercheures, La sexualisation précoce des filles, cette chercheure s’avérait la personne désignée pour un projet de ce genre.
Publié au printemps 2007, son rapport de recherche intitulé Consentantes? Hypersexualisation et violences sexuelles révèle l’impossible consentement des filles dans un contexte où le mode de fonctionnement s’effectue au sein d’une constante provocation sexuelle. La résignation, la soumission et la volonté de plaire croissent dans le terreau de l’obligation d’être sexy et séduisante. Car, les diverses industries de la mode et de la beauté exercent une pression énorme sur les jeunes filles afin qu’elles adoptent des styles qui les conduisent à tout miser sur l’apparence. Une centration qui contrevient au développement de leurs capacités artistiques, sportives et intellectuelles.
À l’instar de divers groupes sociaux, Pierrette Bouchard admet que l’hypersexualisation sociale émane de la culture pornographique qu’elle définit comme: « un ensemble de croyances et de représentations de ce que sont la sexualité et le plaisir sexuel, les relations sexuelles, les hommes, les femmes, les rapports entre les sexes et le plaisir sexuel. Celles-ci sont formalisées, entre autres, dans des images, des récits ou des mises en scène répandus socialement grâce notamment aux médias conventionnels (films, magazines, vidéos, etc.).» (p. 9)
Imprégnés de cette culture, les adultes et les enfants finissent par visualiser le monde en fonction d’une « mode pédophilique ». Dans un tel contexte social comment se surprendre de la remontée des stéréotypes de la femme avide sexuellement, pute ou salope, de la femme qui consent à n’importe quoi, de la provocante ou encore de l’homme viril infatigable? Le sadisme du XXIe siècle…
Après avoir repéré l’envahissement de la culture pornographique dans les médias à l’aune du phénomène de la sexualisation des filles, elle en rassemble les effets pernicieux dans sa conclusion :
« Les filles constituent un important marché pour les manufacturiers de vêtements, d’accessoires, de jouets, de produits de beauté, de magazines et, par voie de conséquences, pour les médias qui souhaitent capter leur attention. L’objectivation sexuelle des femmes est renforcée. Il existe une tendance à estomper la distinction entre les femmes et les filles sur un «mode pédophilique». Les magazines indiquent aux filles comment se rendre sexuellement désirables et se trouver un homme serait le centre de leur vie. Elles se questionnent beaucoup sur la sexualité. L’analyse des réponses à leur courrier révèle un «impératif des relations sexuelles ». Une majorité de vidéoclips utilisent des scènes sexuelles. Les femmes y sont présentées comme des victimes impuissantes ou des provocatrices qui s’exhibent; les hommes comme des prédateurs. Une recherche récente montre que les garçons et les filles qui écoutent de la musique aux contenus sexuels dégradants sont plus susceptibles que les autres d’avoir des relations sexuelles, et de s’engager dans d’autres activités sexuelles. Bon nombre de films sont aussi remplis des stéréotypes et de thèmes sexuels. Pour leur part, les contenus télévisuels sont devenus plus suggestifs. Des actes sexuels explicites sont maintenant montrés à la télévision alors qu’ils ne l’étaient pas il y a dix ans. Le harcèlement sexuel et sexiste est courant. Le contenu des émissions de téléréalité devient « quasi-pornographique ». «Une étude montre que les adolescents et les adolescentes qui regardent beaucoup d’émissions aux contenus sexuels sont deux fois plus susceptibles que les autres de s’engager dans des relations sexuelles précoces et dans d’autres types d’activités sexuelles. Une autre source indique que les jeunes hommes s’attendent à expérimenter une large gamme d’activités sexuelles dans leurs relations futures.» (p. 79)
Après une telle prise de conscience, il faut admettre que la culture pornographique fausse et banalise souvent l’interprétation des attitudes et des comportements sexuels. Pensons entre autres à Star Académie. Loft Story, Occupation double qui remportent une haute cote d’écoute. Cependant, la même prise de conscience suggère un questionnement dont les réponses convient à l’engagement.
En annexe, dans la recherche de Pierrette Bouchard, diverses pistes d’action sont proposées : réfléchir, éduquer à la sexualité, aux médias et à la consommation, parler des ravages de la pornographie, développer un esprit critique, établir des limites, présenter une sexualité responsable et accompagner.
4. À Bâbord! été 2007
La revue sociale et politique À Bâbord! , publication indépendante, éditée au Québec depuis l’automne 2003 a longuement traité le dossier de l’hypersexualisation dans sa revue d’été 2007.
Déjà en 2006 (no 15, p. 9) sous la plume de Nesrine Bessaïh (Militante de la Coalition pour la santé sexuelle et reproductive) paraissait « La médicalisation de la sexualité » où elle affirmait : « Une sexualité artificielle et mécanique soutenue par des hormones dangereuses pour la santé et un imaginaire pornographique, voilà le modèle que nous offrons. Qui ose encore s’étonner de l’hypersexualisation des jeunes filles et des jeunes garçons? »
Un an plus tard, dans son texte « Le sexe fait vendre », Nesrine Bessaïh démontre comment la consommation empêche sournoisement les individus de «devenir des agents de leur propre sexualité».
« Cette réduction de la sexualité à un rapport de consommation marque les relations entre les humains mais aussi la relation de l’individu à lui-même. En effet, l’impossibilité de répondre aux standards de beauté associée à l’obligation de répondre à des comportements prescrits diminue l’estime de soi et augmente la vulnérabilité aux pressions sociales et médiatiques pour répondre à ces mêmes standards.» (p. 18)
Et notre jeunesse demeure inconsciente de cette sexualisation artificielle. La sexologue Sylvie Pinsonneault expose ainsi les importantes conséquences de l’hypersexualisation par et dans la société : « En objectivant le corps des filles notre société les rend plus vulnérables aux abus sexuels, à la pédophilie, à la prostitution. La pornographie montre déjà des images de ‘femmes – filles’ de plus en plus jeunes et les chercheures remarquent une augmentation de mythes reliés au viol, au harcèlement sexuel et aux stéréotypes sexistes.» (p.25)
La multiplication des cas d’anxiété, d’anorexie et de dépression provoque le questionnement relatif au manque de véritable éducation à la sexualité. Coordonnatrice à la Fédération de Québec pour le planning des naissances (FQPN), Nathalie Parent s’inquiète du fait qu’avec la réforme scolaire l’éducation sexuelle soit devenue une « discipline interdisciplinaire ». Ainsi, les jeunes reçoivent cette éducation de façon plutôt aléatoire et selon la bonne volonté des intervenantEs de leur école. Une éducation qu’elle verrait obligatoire puisque : « L’omniprésence des médias et le développement rapide du cybersexe, entre autres, ont influencé le type de préoccupations des jeunes. Ces derniers ont besoin d’informations et de points de repère de la part des adultes ayant des convictions éprouvées du bien-fondé d’une démarche d’éducation à la sexualité.» (À bâbord, no 20, p. 21)
L’être humain naît sexué, mais l’expression de la sexualité est acquise socialement à travers une éducation largement laissée aujourd’hui aux médias. Pour Jocelyne Robert : « L’objectif d’un véritable programme d’éducation à la sexualité devrait être le développement global de la personne, l’atteinte d’une fierté d’être, comme fille ou comme garçon. Cela implique la prise en compte de l’affectivité et surtout une réflexion sur la liberté, sur l’orientation, l’identité et les choix sexuels, sur la façon de vivre sa sexualité.» (À bâbord no 20, p. 28)
Après l’analyse de la loi C-2 sur l’âge du consentement sexuel (À bâbord, no 23 p. 7-8), Monika Dunn (Coordonnatrice à la Fédération du Québec pour le planning des naissances) affirme y voir davantage une répression des jeunes qu’une véritable lutte contre le crime sexuel. À son avis, l’éducation plus que la répression serait la façon de protéger les jeunes contre la prédation sexuelle : « Une éducation sexuelle de qualité, qui favorise les rapports sexuels dans un contexte égalitaire, respectueux et sans violence, dans laquelle on leur donne les outils nécessaires pour qu’ils soient en mesure de faire des choix éclairés, d’agir de manière responsable et de discerner une relation abusive d’une relation consentante, aurait de meilleures chances d’avoir un impact positif sur les jeunes que le fait de hausser l’âge du consentement sexuel.»
Elle croit que l’application de cette mesure législative rendra les jeunes plus vulnérables. Cette loi risque d’avoir des conséquences désastreuses sur leur santé et leur sexualité car plusieurs vivront une sexualité clandestine, souvent avec un accès difficile aux services de santé et d’information pouvant les entraîner à recourir aux diverses ressources d’aide.