L’HYPERSEXUALISATION

L’HYPERSEXUALISATION

Denyse Marleau, Deborah

Il y a déjà quelques années, j’ai entamé une réflexion portant sur l’hypersexualisation. Un colloque auquel je participais en 2006 et qui avait pour titre «Le marché de la beauté, un enjeu politique» a été pour moi particulièrement interpellant. En tant qu’artiste et présidente depuis neuf ans du Comité des femmes artistes interprètes de l’Union des artistes, ce sujet, plutôt délicat, continue de me préoccuper. J’aborde donc dans cet article quelques éléments de la réflexion que je poursuis toujours.

L’hypersexualisation des jeunes filles! Qu’est-ce à dire? Selon Alain Desharnais, sexologue et enseignant,l’hypersexualisation ramène vite l’identité des individus à leur seule dimension sexuelle…«La valeur de chacun se mesure de plus en plus à ses capacités de séduction, à ses performances sexuelles et, par la même occasion, à son apparence physique.»1

Origine de l’hypersexualisation

L’hypersexualisation des filles découlerait des messages que leur envoient les images stéréotypées de jeunes femmes valorisant l’importance de leur apparence et de leur force de séduction pouvant aller jusqu’à érotiser l’enfance. À force de regarder ces modèles, les jeunes finissent par aspirer à leur ressembler.2 Serait-ce pour ces raisons que 75% des filles du secondaire affirment ne pas aimer leur corps ?

Il y a aussi la publicité qui est, à certains égards, « perverse ». S’appuyant sur l’importance qu’accordent les jeunes filles au besoin de plaire, de charmer et de séduire, elle leur inculque le girl power c’est-à-dire qu’elle reprend les stéréotypes sexuels connus pour y accoler des valeurs féministes d’empowerment.3 Ceci entraîne la pensée insidieuse que le pouvoir appartient aux filles les plus sexy. Cependant, c’est avec justesse que Sandrine Ricci souligne que le fait pour des femmes de devoir correspondre à des stéréotypes sexy leur enlève plutôt un pouvoir puisqu’elles n’arrivent plus à faire autrement leur place4.

Outre la définition donnée par certains chercheurs et chercheuses, que signifie exactement pour nous l’expression «hypersexualisation»? Depuis quelques années, nous pouvons observer que la mode pour les femmes est de plus en plus sexualisée: décolletés plongeants, chemises moulantes, pantalons serrés, jupes de plus en plus courtes. Certains ont pu s’amuser d’abord en voyant ces tenues plus ou moins excentriques. Or voici que ces modèles sont devenus la norme générale, même chez les toutes jeunes filles qui veulent imiter leurs aînées en s’habillant comme elles. Et il n’y a pas que l’habillement qui compte. L’attitude, la façon de se comporter sont aussi touchées.

Les responsables

Plusieurs parmi les têtes pensantes responsables de cette nouvelle mode sont des hommes qui ont voulu actualiser leur vision de la femme en créant pour elle des styles qui leur plaisent à eux. Ils créent, d’une façon sous-jacente, un rôle pour les femmes. Leur message: soyez belles, faites-nous plaisir et nous vous aimerons davantage.

Il est bien connu que c’est par l’expérience et l’observation que se module le comportement humain. Comme les médias et les technologies de communication sont les principaux agents de socialisation, nous avons à assumer une vigilance assidue au contenu qu’ils nous présentent. Aujourd’hui, même l’érotisation de la violence devient systémique.

Selon certaines statistiques, un ou une jeune qui regarde en moyenne 38 heures de télé par semaine, voit 3000 annonces par jour et 14 000 références sexuelles en un an. Le Web n’échappe pas à cette réalité puisque 70% de son contenu est également relié au sexe.5 Nous ne pouvons guère être surprises de constater que, plus les jeunes consomment de télé, plus ils et elles adhèrent aux stéréotypes sexuels: banalisation des pratiques sexuelles et confusion dans le rapport à l’intimité. Comment s’étonner alors que les filles pensent qu’il soit normal d’être une femme-objet?

Dans les téléromans, les télé-séries, comme au cinéma et même dans les publicités, tout indique que les femmes et les hommes qui gagnent au jeu de l’amour agissent de telle façon et sont vêtus de tel style. Les petites filles et les petits garçons qui veulent se sentir aimés et appréciés vont donc chercher à imiter ce qu’elles et ils voient. En conséquence, leurs gestes, leurs attitudes et même leur apprivoisement à l’amour se font dans cette même ligne d’approche.

La liberté perdue

Qui n’a pas entendu parler de cours de danse du ventre, de danse de poteau ? C’est ainsi que certaines personnes associent la libération des femmes davantage à des stéréotypes de femmes hors de la maison, libres dans leurs gestes, leurs mouvements, leurs façons de se vêtir. Mais au bout du compte, qui en profite vraiment ? Pas toujours celles que l’on croit.

Que ce soit sous le signe de la sensualité, de la thérapie du corps ou sous quelque forme d’expression artistique personnelle et originale, les petites filles sont amenées à agir en fonction de ce qu’on leur apprend. Les stéréotypes qui leur sont présentés n’invitent pas à la liberté. C’est ce qu’affirme Francine Duquet, professeure de sexologie à l’UQAM, lorsqu’elle écrit dans l’article «Être femme en 2007» que la médiatisation de la sexualité appelle à la banalisation de la sexualité. Pour elle, «la libération des mœurs et le déclin de la religion ont engendré une dégradation des valeurs morales en ce qui concerne la perception des autres et de soi»6. L’obsession de la beauté et de la performance éclipsent trop souvent pour les jeunes toute réflexion plus profonde sur le sujet.

Un modèle de la beauté

Pour s’adapter aux modèles restreints de la beauté chez les jeunes filles, nous pouvons aussi faire le lien avec ces autres problèmes de santé qui sont de plus en plus présents: anorexie, troubles alimentaires et dépressions…

Les femmes deviennent prisonnières de la sexualité commercialisée. Elles ne sont plus que des objets de plaisir pour les hommes. Que font-elles de leurs propres désirs, de leur santé, de leur bien-être, de leurs compétences, de leurs réussites ? D’une certaine façon, les filles deviennent aussi plus vulnérables face à la violence. Où va leur estime d’elles-mêmes quand elles se valorisent par ce qui est superficiel et non pas par leurs habiletés intellectuelles ?

La marchandisation et la promotion des vêtements, des souliers, du maquillage passent par les médias. Ces images sexuelles qui abondent ont un impact sur les jeunes. Dans les magazines populaires pour filles, on tend à placer la responsabilité de la réussite amoureuse dans les mains des adolescentes et à faire intervenir la sexualité comme moyen d’assurer la conquête ou la réussite du couple.7 Alors que de plus en plus de jeunes filles pratiquent le sexe oral, il y a chez les jeunes une augmentation des infections transmises sexuellement (ITS) par contact bucco-génital.8

Que deviennent alors les principes d’intimité, de respect, de partage dans une relation à deux?

Ce que nous pouvons faire

Toutes ces questions doivent être examinées avec tact et doigté. Nous pouvons aider à développer, chez les jeunes filles, un esprit critique. Les jeunes ont besoin de repères et de limites. Il nous faut rester vigilant-e-s, regarder ce qui se passe avec nos jeunes filles. Il faut réagir, parler, dénoncer partout où l’occasion se présente. Il faut réagir aux produits proposés qui ne conviennent pas.

Chacun-e doit oser s’exprimer et faire ce qui lui est possible dans son milieu. Ce n’est qu’en unissant nos efforts que nous pourrons faire changer les choses. Comme le disait une publicité et il faut nous-même y croire: «Il n’y a pas de mal à vieillir».

Enfin, même s’il existe actuellement une Convention relative aux droits de l’enfant, il faut savoir que si les États membres des Nations Unies ont adhéré relativement facilement à la Convention, il en va autrement de l’actualisation et là tant dans les pays industrialisés qu’en développement9 Dans un tel contexte, il est clair que nos attitudes auprès de nos jeunes ont plus que jamais une part essentielle à jouer pour faire une différence dans l’encadrement de l’hypersexualité. Donc, redoublons de complicité avec nos jeunes et place à la vigilance!

1. Desharnais, Alain cité par Claire Gaillard dans «Être femme en 2007 », Reflet de Société, Vol. 16, No 1, oct/nov 2007.
2. «Le marché de la beauté…un enjeu de santé publique», Cahier de présentation, p. 3. (Colloque Le marché de la beauté… un enjeu de santé publique, organisé par le Réseau Québécois d’Action pour la Santé des Femmes et al, Montréal, 23-24 novembre 2006.)
3.  Idem.
4. Sandrine Ricci citée par Claire Gaillard dans « Être femme en 2007 » Reflet de Société, Vol. 16, No 1, oct/nov 2007.
5. Goldfarb Lilia, conférence L’hypersexualisation des fillettes, Colloque le marché de la beauté… un enjeu pour la santé publique, Montréal, 23-24 novembre 2006.
6. Francine Duquest citée par Claire Gaillard dans « Être femme en 2007 », Reflet de société, Vol. 16, No 1, Oct/Nov 2007.
7. « Adorables, les filles d’aujourd’hui » , La Gazette des femmes,Vol 26, No2, Sept/Oct 2004.
8. Remez, L. “Oral Sex Among Adolescents…” Family Planning Perspectives, Vol 32, No 6, (2000), p. 298-304.
9. Tiré du site d’Unicef http//www.unicef.org