Liminaire
Lors de l’assemblée générale de L’autre Parole à l’automne 2021, une nouvelle membre, Mariannick Lapierre, animatrice de pastorale dans un établissement de détention, propose d’adopter comme thème pour la revue l’accompagnement spirituel et l’animation pastorale des femmes en détention. Criminologue de formation, j’embarque et nous caressons également le projet d’organiser une célébration avec, par et pour les femmes en dedans et hors les murs.
Depuis 1981, L’autre Parole avait déjà abordé dans la revue ou dans les Brèves différents aspects de la réalité des femmes en prison, dont la spiritualité à l’intérieur des murs et les services offerts aux femmes judiciarisées. Le thème de la revue fut adopté avec enthousiasme et nous avons plongé dans la préparation du contenu dudit numéro, mais c’était sans compter sur la pandémie, qui là plus qu’ailleurs, a fait changer bien des plans. Outre les isolements préventifs et les éclosions de COVID-19 à l’intérieur des murs qui menaient au confinement des femmes en cellule ou dans un secteur, s’ajoutent l’annulation des activités de groupe et des visites des proches, des bénévoles et des partenaires. L’organisation d’une célébration en prison n’a donc pu se matérialiser. Enfin, une grossesse impliquant un long repos pour l’une et des problèmes de santé pour l’autre ont ralenti les opérations. De plus, depuis 2016, pour les mauvaises raisons, l’établissement de détention Leclerc de Laval fait l’objet des actualités. En effet, les conditions insalubres de détention à la prison provinciale pour femmes et le non-respect des droits des personnes incarcérées sont dénoncés tant par la société civile que par le Protecteur du citoyen et de la citoyenne. Un volet « justice » a ainsi pris de l’ampleur dans le numéro. Il sera le sujet de la deuxième partie de Femmes en détention : Spiritualité et justice.
La première partie, qui porte le titre SPIRITUALITÉ, donne la parole à des femmes incarcérées et à des accompagnatrices de pastorale en détention. Trois articles présentent les paroles de femmes qui ont connu la vie en détention. Elles signent Isabelle-Stéphanie et Vanessa pour l’un, Nancy Labonté pour un autre et finalement, F-12, le numéro de cellule pour la dernière. Nous avons respecté la manière de chacune de signer son texte. Le fil conducteur : une spiritualité qui croit aux capacités de cheminement et de changement des unes et des autres. On voit aussi à l’œuvre l’importance de la solidarité et de la sororité des femmes. Ces femmes découvrent comment faire leur temps, chacune a les mots pour le dire. Mariannick Lapierre partage ses réflexions sur son cheminement dans l’accompagnement spirituel des femmes en prison et Réjeanne Martin fait part des étapes qui l’ont menée à présenter à sa communauté un projet d’ateliers bibliques pour les marginalisées en prison, car des femmes dans la Bible sont à l’image des femmes détenues. Enfin, Mariannick Lapierre revient, proposant une réécriture de la femme courbée de l’évangéliste Luc. Son actualisation du récit biblique se situe en droite ligne du travail fait par la collective lors de ses colloques.
La deuxième section, nommée JUSTICE, est teintée par l’actualité. Été 2022, nous lisons Délivrez-nous de la prison Leclerc ! — Un témoignage de l’intérieur, un écrit percutant de Louise Henry. Début novembre 2022, la Ligue des droits et libertés (LDL) organise un colloque avec un titre qui dit tout : « Perspectives critiques sur l’incarcération au Québec ». Dans les premiers jours de décembre, dans son Rapport annuel, le Protecteur des citoyens somme le ministre de la Sécurité publique de fournir une date pour la construction d’une nouvelle prison pour femmes ; à la mi-décembre, le ministre répond que cette construction est prévue en 2030 ! ; et, enfin, en mars 2023, la LDL rétorque que celle-ci n’est pas la solution. Ce sont là les événements que nous abordons à travers les interventions et les actions d’organismes qui œuvrent en soutien aux femmes et aux personnes issues de diverses identités de genre qui sont judiciarisées.
Aleksandra Zajko décrit les services offerts par la Société Elizabeth Fry du Québec (SERQ) ainsi que sa philosophie d’intervention. Nathalie Tremblay présente la Coalition d’action et de surveillance sur l’incarcération des femmes au Québec (CASIFQ), un organisme qui a vu le jour en 2016 quand les femmes ont déménagé de la Maison Tanguay à l’établissement Leclerc qui avait été fermé quelques années plus tôt par le gouvernement conservateur, car la vétusté des lieux n’était plus acceptable pour y maintenir les hommes dont les sentences étaient de plus de deux ans. Enfin, Monique Hamelin présente dans les grandes lignes 60 ans de réflexion et d’actions de la Ligue des droits et libertés (LDL), du rôle joué par l’Office des droits des détenu·e·s (ODD) et un bref hommage à Lucie Lemonde, une avocate, professeure, chercheuse et militante, qui a créé le droit carcéral pour défendre les personnes détenues quand leurs droits humains sont bafoués.
S’ensuivent quelques recensions d’écrits marquants et d’un balado sur femmes, détention, violence. Finalement, dans Pour aller plus loin, je vous présente deux projets de recherche et deux revues engagées dont la thématique concerne l’enfermement de femmes et de filles et la justice. J’espère vous convaincre d’aller lire ces documents marquants entre autres ceux sur la question autochtone, car les femmes des Premières Nations sont surreprésentées dans nos prisons provinciales et fédérales au Canada dont au Québec. La CASIFQ joue son rôle de coalition et par ses actions nous aide à réfléchir aux impacts de la prison sur les femmes incarcérées et leurs proches. Nous y ajoutons notre petite pierre…
Monique Hamelin avec la collaboration de Mariannick Lapierre Pour le comité de rédaction
P.S. Quelques mots plus personnels. Je signe mon dernier Liminaire comme secrétaire de rédaction pour la revue L’autre Parole. Je quitte le comité de rédaction, mais pas la collective et je reste une plume disponible. J’aurai été 20 ans au comité de rédaction de la revue L’autre Parole et plusieurs de celles-ci à titre de secrétaire de rédaction. Je veux remercier les membres du comité et plus particulièrement Denise Couture — elle m’a accueillie au comité et elle continue avec la relève. Merci pour les solides connivences. Merci à celles qui au fil des années ont œuvré au travail d’édition de la revue. L’amour des mots et des mots sur la page, comme du travail bien fait rendaient les heures qu’on y mettait agréables. Merci à nos autrices, qu’elles soient membres de la collective ou alliées et à vous, notre fidèle lectorat, les abonné·e·s ou les visiteurs et les visiteuses occasionnelles du site Internet. J’ai beaucoup appris des unes et des autres. Merci aussi à Mariannick Lapierre qui, nouvellement arrivée à la collective, a osé proposer un thème qui me rejoint particulièrement. C’est un beau dossier de départ sur les luttes pour la justice avec, par et pour des femmes très marginalisées, les femmes judiciarisées. J’encourage chaque membre à oser écrire ou à travailler à une étape ou l’autre de la production de cet outil de réflexion et d’action qu’est la revue L’autre Parole, la voix de la collective depuis 1976 !