MA VIE, MON VISAGE

MA VIE, MON VISAGE

Judith Dufour Les Éditions Francine Breton

Réjeanne Martin, s.s.a.

Depuis la lecture du récit de la vie de Judith, mon amie, notre amie pour plusieurs femmes de la Collective L’autre Parole, je suis habitée par la finale d’une chanson de Félix Leclerc : « La mort, c’est plein de vie dedans! »

Plus qu’à une vie, plus qu’à son visage, le récit de Judith nous convie à un feu d’artifices. Épanouissement de son enfance! Floraison de son adolescence! Éclatement de sa vie de jeune femme! Mortel accident! Les filles et les jeunes femmes, qui ne sont pas de mon âge, y trouveront une mine de renseignements sur la société des années 1930-1965 … Des souvenirs multiples déferlent, s’accrochent aux us et coutumes des familles et de la société du Saguenay. Des jeux, des apprentissages, des tâches familiales, des aventures, des rêves et des essais amoureux, dans lesquels les «filles de mon âge» reconnaissent la vie de leur village d’origine, si éloigné fût-il de Chicoutimi ou d’Arvida.  Combien de fois aussi la verve de Judith a-t-elle allumé mon sourire en décrivant la vie disciplinée qui prévalait durant ses études et ses stages d’infirmière. Ou encore suis-je restée ébahie de la suivre sur les routes des campagnes et de l’entendre sensibiliser les femmes—parfois les hommes aussi—au contrôle des naissances. On y rencontre la Judith que nous connaissons audacieuse, frondeuse… Amoureuse, voyageuse, heureuse, jusqu’au jour du tragique accident.

Triple deuil alors! «VEUVE, AVEUGLE ET DÉFIGURÉE», nous confie-t-elle. Par delà les douleurs lancinantes de l’âme et du corps, de son visage abîmé, Judith s’accroche à vivre… pour elle et pour son tout jeune fils, Luc. Elle nous fait vivre les diverses étapes de reconstruction de sa vie et de son visage, toutes aussi dures les unes que les autres, moralement et physiquement. Les douloureux spasmes du trijumeau titillé par des fragments d’os lui créent fréquemment des handicaps qui l’amputent de ses énergies. Et pourtant, durant ces années si pénibles de sa vie, Judith s’active, étudie, enseigne, met sur pied des programmes qui portent encore sa marque—Les Belles soirées—, milite dans des organisations politiques et féministes. C’est au cœur de ses engagements qu’elle redevient amoureuse, découvrant du même coup qu’elle transcende son visage déformé. Ce beau visage de femme sera enfin reconstitué, en 1985, grâce à une greffe osseuse empruntée à son propre corps. Merveille!

Oh! oui, sous sa plume sensible, Judith livre beaucoup plus qu’un récit d’événements. Son œil scrutateur, sa méditation constante sur le sens de sa vie, l’acuité de son analyse habillée de mots tous en nuances, renforcent en nous la conviction que la vie est plus forte que la mort, qu’un parcours de ténèbres peut déboucher sur des espaces lumineux insoupçonnés.

À l’âge de Judith et le mien, la vie fraie plus souvent avec la mort. L’action militante prend d’autres avenues. Elle se range progressivement derrière la contemplation. En fait foi, ce très beau poème que nous lègue Judith en première page de son volume…

Frissons et lumières

Lorsque la lumière n’est plus qu’ombres et frissons que des gens sans visage s’agitent sur les trottoirs que les arbres se transforment en saules pleureurs que le corps fatigué tourne le dos à la course que le rêve des événements futurs perd son sens Alors assise à sa fenêtre la vieille dame se promène dans sa tête et prête aux nuages la forme de ses souvenirs.

Merci, Judith !

N.B. Le savez-vous ? Judith donne des conférences sur la force de vivre: Accepter l’épreuve sans baisser les bras.

8 mars 2004