Machisme et autoritarisme

Machisme et autoritarisme

Marie-Andrée Roy*

Le drame d’une petite Brésilienne de 9 ans, enceinte de jumeaux après avoir été violée et agressée par son beau-père depuis l’âge de six ans, a ému la planète. Sa vie étant gravement en danger, il y a eu avortement comme le permet, dans des cas exceptionnels, la loi brésilienne. La mère qui soutenait la fillette et l’équipe médicale qui a pratiqué l’avortement ont été excommuniées par l’évêque du diocèse de Recife, Mgr José Cardoso Sobrinho qui a affirmé que « le viol est un péché moins grave que l’avortement ». Ce dernier a reçu l’appui du préfet de la Congrégation des évêques au Vatican, le cardinal Giovanni Battista Re, réputé être un proche de Benoît XVI. La semaine dernière, féministes, catholiques, athées de partout dans le monde ont dénoncé cette position rétrograde et cruelle. Cette semaine, dix jours après les événements, dans le sillage de l’intervention de Mgr Rino Fisichella, président de l’Académie pontificale pour la vie, dans le journal du Vatican l’Osservatore Romano, des évêques et des cardinaux se joignent au concert de paroles de compassion.

Comment lire ces événements et que faire pour qu’ils ne se reproduisent plus ? Je suggère deux pistes de lecture qui sont autant de voies de changements requis pour que cesse l’inacceptable : 1) la représentation des femmes dans l’Église marquée par le sexisme et le machisme clérical et 2) le rapport au pouvoir et à l’autorité dans l’Église.

Le machisme clérical

Si la fillette a été ainsi objectivée, c’est que les femmes ne sont pas comprises ni reconnues comme des personnes à part entière dans l’Église, elles sont assimilées à des choses. Après tout, n’est-ce pas une autre chose, la machine à laver, qui les a libérées affirme l’Osservatore Romano dans sa livraison du 8 mars ! Des choses au service des hommes, des mères dédiées à leurs enfants, des épouses attentives pour leur mari, des vierges servantes du clergé. Elles ne peuvent pas exister par et pour elles-mêmes. Certes le discours romain les glorifie, les louange ; il suffit de penser aux discours de Jean-Paul II exaltant « la femme » qui s’accomplit dans l’abnégation la plus totale, dans le don désintéressé d’elle-même. Mais les femmes ordinaires, avec un corps, des désirs et des ambitions autres que celles de servir leurs enfants, leur mari et le clergé, n’ont pas de légitimité, pas même d’existence dans le discours romain clérical. La jeune Brésilienne, une petite fille ordinaire n’a pas été reconnue comme une enfant en détresse, violée, abusée, qui devait avant tout recevoir amour et compassion. Non, elle a d’abord été comprise comme un utérus porteur de deux fœtus qui devaient être menés à terme peu importe les conséquences sur « la chose ». La fillette comme sujet, comme personne n’a pas eu d’existence dans la pensée de Mgr José Cardoso Sobrinho et du cardinal Giovanni Battista Re, ces défenseurs d’une vérité prétenduement divine. Ils l’ont regardée comme une « chose enceinte ».

Il ne s’agit pas d’un « cas isolé », d’une erreur de parcours de la part de quelques ecclésiastiques. Il s’agit d’un système religieux machiste qui n’a de cesse de reproduire ces aberrations sexistes.  En 2006, en Colombie, les membres d’une équipe médicale qui ont accepté de pratiquer une interruption de grossesse chez une fillette de 11 ans, enceinte à la suite du viol de son beau-père, ont été qualifiés par le Cardinal Trujillo de personnages infâmes. Chaque jour, des femmes, jeunes et moins jeunes, de partout dans le monde vivent des drames : viols de guerre, agressions sexuelles par des ecclésiastiques, incestes, etc., et se retrouvent en situation de grossesse non désirée. Chaque jour des femmes sont traitées comme des choses et se voient refuser la compassion de l’Église. Qui plus est, le discours de l’Église catholique sur la contraception, l’avortement, les relations sexuelles en dehors du mariage, etc., infantilise les femmes, nie leur autonomie sexuelle, de même que la capacité des femmes et des hommes de faire des choix responsables pour l’exercice de leur sexualité. Il s’agit donc d’un système religieux machiste qui se fonde non seulement sur une anthropologie patriarcale qui ne reconnaît pas aux femmes le statut de personne à part entière mais aussi une morale sexiste et légaliste qui cherche à enfermer les femmes dans la névrose cléricale du sexe. Ce système a également pour effet d’exclure les femmes des postes de responsabilité et des ministères ordonnés dans l’Église catholique.  Après tout, comme l’a si bien dit le cardinal Vingt-Trois de Paris sur les ondes de Radio Notre-Dame le 6 novembre dernier: « Le plus difficile, c’est d’avoir des femmes qui soient formées. Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête ». Les femmes, des choses qui peuvent bien avoir la tête vide, pourvu qu’elles aient le ventre plein.

Ce système a un visage politique. Par exemple, le Saint-Siège, comme État observateur aux Nations Unies, s’oppose systématiquement à toutes les résolutions onusiennes qui font la promotion de l’autonomie des femmes en matière sexuelle. Il fait pression auprès des pays catholiques, notamment d’Amérique latine, pour qu’ils adoptent des politiques conformes à la morale sexuelle du Vatican.

L’autoritarisme

L’Église catholique est une organisation centralisatrice, non-démocratique, qui exi-ge des évêques une promesse d’obéissance au pape. Celui-ci est l’instance suprême en matière de définition de la doctrine (pensons à la fameuse infaillibilité papale). L’Église est régie par le Droit canon qui prévoit des sanctions quand il y a dérogation à la loi. L’une de ces sanctions, l’excommunication, a pour effet « symbo-lique » de priver la personne de l’accès au salut (le ciel ! ). À une autre époque, une telle condamnation était socialement stigmatisante. Faut dire qu’elle était fréquemment assortie d’une peine particulièrement convaincante, appliquée par le « bras séculier » (pensons aux bûchers de l’Inquisition). Aujourd’hui, l’excommunication est davantage un mode d’exclusion de l’Église.

Mgr Sobrinho, en prononçant l’excommunication de la mère de la jeune Brésilienne et de l’équipe médicale qui a pratiqué l’interruption de grossesse, était convaincu, avec le cardinal Battista Re du Vatican qui l’a soutenu, qu’il avait la loi catholique de son côté ; une loi pensée abstraitement, en dehors de la vie concrète des personnes. Il n’a fait que son devoir en appliquant dans toute sa rigueur cette loi qui fait abstraction de la souffrance des personnes et qu’il importe d’appliquer dans son intégralité pour assurer la préservation de la pureté de la doctrine. Qu’importe que des personnes vivent des états extrêmes de détresse ou que les conséquences de cette condamnation injuste soient désastreuses pour la vie des personnes. Comme Benoît XVI  qui, cette semaine, dans le cadre de son voyage en Afrique, ce continent ravagé par le sida, a maintenu sa condamnation du condom, prétendant que l’usage de ce dernier aggravait l’épidémie du sida, Mgr Sobrinho a fait fi du réel, du nécessaire devoir de compassion face à la souffrance humaine et il a rappelé la loi dans toute sa rigidité. Il n’a même pas utilisé les quelques possibilités offertes par le Droit canon pour considérer des circonstances atténuantes et modérer ses transports de grand justicier. Voilà l’autoritarisme à l’œuvre.

Mais ce système est en train de se fissurer. L’Église catholique qui produit machisme et autoritarisme, a encore en son sein une mouvance capable de justice sociale, de compassion, de reconnaissance des personnes. Admettons cependant que la première tendance prédomine depuis quelques décennies et qu’elle est cause de désertion chez nombre de catholiques progressistes. Mais commence-t-elle à s’essouffler quand on voit l’accumulation des bêtises sexistes et racistes (réintégration de l’évêque intégriste qui nie l’Holocauste), des décisions irresponsables qui soulèvent un tollé général, même chez les pratiquants et quelques évêques ? En fait, cette fissure a commencé à opérer dès 1968, avec l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI qui condamnait l’usage des moyens de contraception mécanique et chimique pour réguler les naissances. À partir de ce moment-là, nombre de femmes et d’hommes ont mis le clergé à la porte de leur chambre à coucher et ont décidé que c’en était fini de l’ingérence cléricale dans leur vie sexuelle. Dans cette tentative d’encadrement de la vie sexuelle des femmes et des hommes catholiques, l’Église a perdu beaucoup de sa crédibilité et a étalé son incompétence en cette matière. Les croyants sont devenus autonomes et ont pris leurs responsabilités. Reste que l’Église se réessaie régulièrement, sans grand succès au Québec, de convaincre des vertus de l’abstinence sexuelle, de l’immoralité de l’usage du condom et de la nécessité absolue de condamner sans appel et en toutes circonstances l’avortement. Les événements des dernières semaines ont profondément creusé la fissure qui est devenue une véritable béance, à un tel point que la théologienne Ivone Gebara parle aujourd’hui de schisme, de schisme provoqué par la hiérarchie catholique.

Des catholiques engagés et quelques évêques ont eu le courage de prendre position la semaine dernière et de condamner les excommunications. Je pense ici à Ivone Gebara qui soutient que les évêques sont devenus des défenseurs de principes abstraits ; à Mgr Veillette, président de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec qui a manifesté sa compassion à l’endroit de la fillette brésilienne et de sa mère ; à Mgr Farine de Genève qui affirme que l’Église doit cesser la sanction de l’excommunication ; à Mgr Francis Deniau, évêque de la Nièvre, qui reconnaît avoir accompagné des femmes avant et après une IVG. Je dis bien courage parce que ces personnes, en manifestant leur dissidence vis-à-vis des autorités ecclésiastiques, ont pris le risque de subir les foudres de Rome : mise au silence, carrière épiscopale brisée, etc. Mais le vent a tourné. Lundi de cette semaine, est-ce par conviction ou parce que quelqu’un à Rome a compris qu’il y avait plus à perdre qu’à gagner dans cet entêtement à excommunier, toujours est-il que le président de l’Académie pontificale pour la vie, Mgr Rino Fisichella, a signé dans l’Osservatore Romano un texte où il a pris ses distances vis à vis des excommunicateurs et dit toute sa compassion pour la mère et l’enfant. Est-ce une heureuse coïncidence, ou avaient-ils besoin du feu vert romain, en tous les cas on peut prendre note que, dans les heures qui ont suivi la publication de ce texte, le cardinal Ouellet et le cardinal Turcotte, qui n’avaient rien à dire sur cette question la semaine dernière, ont trouvé des mots pleins de compassion pour la mère et l’enfant.

La fracture est bel et bien là et elle ne pourra être colmatée par des vœux pieux. D’un côté, il y a un système rétrograde, machiste et autoritaire qui a du plomb dans l’aile et qui multiplie les dérapages. De l’autre, il y a une poignée de catholiques convaincus qui ont des aspirations de justice sociale et d’Église plus évangélique. Ces derniers auront-ils les moyens de leurs aspirations ?  Chose certaine, il y a pour ce « petit reste » toute une traversée du désert à parcourir pour annihiler le machisme clérical et déconstruire l’autoritarisme romain. Telles sont pourtant les conditions essentielles à remplir pour parvenir à bâtir une église différente, une église féministe, démocratique, égalitaire, plus juste et solidaire. Le pari est loin d’être gagné.

* Marie-Andrée Roy est professeure au Département de sciences des religions et Directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM. Elle est une membre fondatrice de la collective L’autre Parole.

Les groupes suivants appuient ce texte: Collective L’autre Parole; Association des Religieuses pour la Promotion des Femmes (ARPF) et ses membres; Citoyennes averties, Alma; Soeurs Auxiliatrices du Québec; Intervenantes communautaires de la Maison Orléans; Centre de Femmes Au Quatre-Temps Inc., Alma ; des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame.
Les personnes suivantes appuient également le texte: Lise Baroni; Édith Richard, Hélène Pelletier-Baillargeon, Martha St-Pierre, Marie-Josée Baril, Dominique Blondeau, Francine Breton, Mimi Legault, Huguette Matte, Thérèse Martin, Claude Giasson, membre du Réseau Culture et Foi, Ella McCormick, Linda Denis, Germain Pelletier, Andrée Noël, Michelle Beauchemin, Marie-Claire Bombardier, Rachel Prud’homme,Yvette Teofilovic, Yvette Laprise, Agathe Lafortune, Huguette Laroche, Nusia Matura, Marie Gratton, Claude Boucher, Anita Caron; Louise Garnier, Monique Hamelin, Pierre Brosseau.
Une version abrégée est parue dans Le Devoir du 24 mars 2009, p. A9 sous le titre « Une Église machiste et autoritaire » .
http://www.ledevoir.com/2009/03/24/241384.html
Cette version abrégée se retrouve également sur plusieurs sites dont:
Sisyphe:
http://sisyphe.org/spip.php?article3262
Culture et foi: http://www.culture-et-foi.com/
Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU):
http://fqppu.org/babillard/des-profs-se-prononcent.html
Netfemmes: http://netfemmes.cdeacf.ca/les_actualites/lire.php?article=13770
Vigile: http://www.vigile.net/Une-Eglise-machiste-et-autoritaire
Il a fait l’objet d’une traduction en portugais.