MADELEINE PARENT
1918-2012
Une vie consacrée à défendre les droits des travailleuses
Carmina Tremblay, Phoebé
Dès l’âge de 7 ans, Madeleine Parent est indignée devant les injustices commises envers les employées du couvent où elle est pensionnaire. Ces injustices la scandalisent tellement, qu’elle en tombe malade et que ses parents doivent la retirer du pensionnat.
Cette indignation devant les injustices la poursuivra tout au long de sa vie, qui sera consacrée à lutter pour améliorer les conditions de travail des travailleuses du textile en particulier, et les droits des femmes en général.
Ce qui impressionne dans le parcours de Madeleine Parent, c’est cette fidélité et cette constance dans l’engagement qui ne se sont jamais démenties. Après plus de quatre décennies de travail dans le monde ouvrier et de militantisme syndical, on la retrouve à sa « retraite », active militante au sein du mouvement féministe, au Centre des travailleurs immigrants, à la Ligue des droits et libertés, dans les associations d’appui aux femmes autochtones et issues des communautés culturelles, etc.
Après des études en sociologie à l’Université McGill, où elle milite dans plusieurs organisations étudiantes, elle scandalise sa génération en devenant, non pas une simple intellectuelle de gauche, mais aussi une organisatrice syndicale, un métier alors réservé aux hommes. Les dirigeants d’alors ne la considéraient que comme une secrétaire. Qu’à cela ne tienne, on la retrouve quand même aux premières loges des grandes luttes syndicales de l’époque, notamment au sein du syndicat des Ouvriers unis du textile d’Amérique (OUTA). Défendant les ouvrières et les ouvriers du textile, elle sera arrêtée et emprisonnée à plusieurs reprises sous Maurice Duplessis. Elle subira d’ailleurs un procès pour sédition qui se soldera par un non-lieu en 1957 et qui aura été le plus long procès dans les annales judiciaires du Québec. Dans une entrevue diffusée à Radio-Canada le 19 mai 1974, dans le cadre de l’émission Gens de mon Pays, Madeleine Parent estime qu’« Au-delà de son antisyndicalisme, le ’Chef’ lui portait une haine personnelle qui n’était pas étrangère au fait qu’elle était une femme. Qu’une femme incite d’autres femmes à s’organiser, revendiquer et monter aux barricades apparaît comme une transgression à l’ordre établi. » « Ils (Duplessis et les patrons) cherchaient à démontrer qu’il y avait quelque chose de pas naturel, d’étranger chez une femme qui se bat pour les travailleurs », confiera plus tard la militante, en entrevue à Denyse Baillargeon1. Mais rien n’arrête Madeleine Parent car elle a choisi son camp depuis longtemps et la profondeur de ses convictions et sa passion pour la justice l’appellent à poursuivre son combat dans ce camp des exploité-e-s et des laissé-e-s pour compte. L’avenir prouvera d’ailleurs que ses convictions étaient inébranlables, car jusque dans les dernières années de sa vie, on la retrouvera, infatigable, frêle, mais droite sur les tribunes, dans les événements et les manifestations, intervenant pour défendre les mêmes causes qui lui tiennent à cœur, entre autres à la Marche du pain et des Roses en 1995, à la Marche mondiale des femmes en 2000, au Sommet des Amériques en 2001, où elle marchera plusieurs kilomètres, malgré ses 83 ans, portant une bannière par cette chaude journée du 21 avril.
Madeleine Parent militera aussi pour que les syndicats canadiens deviennent indépendants des grands syndicats américains auxquels, dit-elle, les syndicats canadiens sont trop inféodés. Au début des années 60, après plus de 15 ans de luttes, elle fonde avec son mari Kent Rowley le Conseil des syndicats canadiens, car le couple considérait que c’était aux travailleurs d’ici de décider ce qu’ils devaient faire ici.
Dans toutes ces luttes, ce qui impressionne toujours chez Madeleine Parent, c’est la grande douceur avec laquelle elle agit. Au cours des négociations syndicales, « elle rendait fous les négociateurs patronaux en y allant toujours tout en douceur. Après une nuit de négociation, c’était habituellement les avocats qui avaient l’air abattus et épuisés alors qu’elle paraissait toute fraîche, calme, coiffée, avec son collier de perles, continuant de se battre pour chaque principe »2, relate l’écrivain et journaliste Rick Salutin. Dans le Globe and Mail du 16 mars 2001, on retrouve d’ailleurs un article sur Madeleine Parent, signé par le même auteur et intitulé : « Une volonté de fer et un collier de perles ». En effet, dans tous ses combats, Madeleine Parent ne perdra jamais sa douceur et sa dignité pour dénoncer des situations inacceptables et dire des choses très radicales.
Si Madeleine Parent est connue d’abord et avant tout pour son militantisme syndical, son action militante s’étend à plusieurs autres causes dont notamment le féminisme, où on la retrouve dans tous les combats : équité salariale, droit à l’avortement, congé de maternité, services de garde, pensions, défense des droits des immigrantes et des autochtones, etc., car dit-elle : « si les femmes ne sont pas toutes pareilles, elles peuvent toutes vivre dans la dignité ». Elle fut de la fondation du Conseil consultatif canadien de la situation de la femme et y a longtemps siégé comme déléguée du Québec.
Madeleine Parent, c’est aussi une « tisserande de solidarités », comme le relate le film de Sophie Bissonnette réalisé en 2002 : Madeleine Parent, Tisserande de solidarités. Dans ce film, Madeleine Ferron (signataire du Refus global) nous fait remarquer qu’alors que les médias attribuent souvent au Refus global le déclenchement de la Révolution tranquille, « La plus grande figure de l’époque, celle qui a le plus fait pour changer le Québec, n’est pas parmi les signataires du Refus global, c’est la syndicaliste Madeleine Parent qui menait à l’époque les grèves dans le textile ». Elle aura syndiqué plus de 25 000 travailleuses et travailleurs, tant au Québec qu’en Ontario, où elle travaillait à créer des liens de solidarité entre les travailleurs québécois et les travailleurs ontariens malgré la crainte de ces derniers face au mouvement souverainiste québécois. De même, au sein du mouvement des femmes, Françoise David rappelle que « Madeleine Parent a beaucoup plaidé – et avec succès – pour une solidarité qui dépassait les frontières du Québec »3. Une solidarité, aussi, entre les femmes issues de différentes réalités à l’intérieur même du Québec. « Dans les années 1990, je trouvais, ajoute Françoise David, qu’elle nous avait vraiment fait prendre conscience de la diversité, de la pluralité du mouvement des femmes. » Madeleine Parent bâtissait des ponts entre le mouvement des femmes québécoises francophones et les groupes de femmes anglophones ou immigrantes.
Comme le dit si bien Josée Boileau en éditorial: « Les monuments de notre histoire, souvent, parlent fort, sont éclatants, excentriques, mythiques, idolâtrés. […] Il faudra bien pourtant apprendre à construire d’autres statues maintenant que Madeleine Parent, la menue, la discrète, est disparue. Se rappeler que le courage, celui d’affronter un Duplessis et de porter le syndicalisme dans des lieux qui y étaient réfractaires, n’est pas synonyme de grosse voix, de gros bras. C’est un message immense que de souligner ce qu’une force tranquille peut accomplir quand entrent en jeu des convictions profondes. »4 Andrée Lévesque, la biographe de Madeleine Parent, souligne quant à elle que si « Madeleine Parent impressionne par l’étendue et l’éventail de son militantisme […] c’est la profondeur de son engagement, qui n’a jamais défailli, qui force le respect et l’admiration. »5
Pour moi, une question demeure comme un mystère : d’où tirait-elle cette ardeur, cette détermination, cette persévérance dans l’engagement? Car, comme le dit Monique Simard : « Elle était totalement dévouée à la cause […]. C’était l’engagement d’une vie, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. […] C’était comme une mission pour elle. »6 D’où lui venaient cette force, cette ténacité, ce courage? Car, comme le dit encore si bien Josée Boileau : « C’est une grande exigence que de chercher à mener une vie aussi cohérente, qui résiste au chant des sirènes de la popularité, du confort, des compromis, de sa place dans l’histoire. Qui ne se grise pas non plus de sa marginalité? »7
Souhaitons qu’à défaut d’être un modèle à suivre, Madeleine Parent soit une inépuisable source d’inspiration pour nous et pour les générations à venir.