MARCHER VERS LA TERRE PROMISE

MARCHER VERS LA TERRE PROMISE

Au temps de Moïse et de Miryam, le peuple de Dieu a marché dans le désert pendant quarante ans. Il avait d’abord fallu traverser la mer des Roseaux à pied sec, grâce au Seigneur qui avait refoulé la mer toute la nuit par un vent d’est puissant (Ex 14, 21-22). C’est là qu’éclaté le chant de victoire de Moïse et de la prophétesse Miryam, soeur d’Aaron, [qui] prit en main le tambourin ; toutes les femmes sortirent à sa suite, dansant et jouant du tambourin. Et Miryam leur entonna: « Chantez le Seigneur, il a fait un coup d’éclat. Cheval et cavalier, en mer il les jeta ! » (Ex 15, 20-21).

Nous sommes à la suite de Miryam pour de nouvelles traversées de périodes arides et parfois très désolantes. Pourtant la marche est la meilleure façon de résister aux embûches. En effet, marcher, c’est exprimer son dynamisme, c’est se libérer des entraves, c’est avancer vers des lieux plus avantageux. Marcher, c’est mettre un pas devant l’autre à la suite d’une prise de conscience qu’il y a quelque chose à accomplir, c’est une forme et une force de l’existence. C’est refuser de rester stationnaire, de marquer des reculs, c’est savoir exulter comme la prophétesse Miryam, pour signifier les petites et les grandes victoires du quotidien. L’esprit s’exprime dans des avancés sur le plan physique et manifeste qu’il conquiert des espaces.

Le peuple d’Israël a appris à marcher ensemble, ce n’était pas un geste purement individuel, mais un désir ardent d’aller ailleurs avec d’autres. Un geste qui n’a pas été improvisé, mais que le Seigneur a dû imposer en demandant à Moïse : « Parle aux fils d’Israël : qu’on se mette en route. Et toi, lève ton bâton, étends ta main sur la mer et fends-la : que les fils d’Israël pénètrent au milieu de la mer à pied sec. » (Ex 14, 15-16). La solidarité s’annonçait comme un moyen de conquête, de réalisation. C’est tout un peuple qui s’avance, comme c’est une foule de femmes du Québec et de toutes les parties du monde qui signalent leur volonté d’en finir avec la pauvreté, la violence.

Les femmes ont depuis longtemps expérimenté la marche, à partir des mille pas quotidiens pour répondre aux multiples besoins de l’entretien de la maison et des proches que ce soit le conjoint, les enfants, les amis et amies. Elles ont traversé beaucoup de déserts depuis les débuts de l’humanité, mais, heureusement, elles ont aussi connu des victoires :comme les gains acquis depuis l’accès aux études supérieures, au droit de vote, à la sauvegarde du nom civil de la femme, à l’accès à tous les métiers et professions : de l’astronaute à la travailleuse pour la voirie, etc. Il reste encore à trouver l’équité et l’égalité dans plusieurs sphères de la vie économique et politique. Le message des évêques du Québec du 1er mai 1995 a bien fait ressortir le sens de la marche des femmes. Je prends le temps de transcrire leurs propos :

« La marche populaire est le reflet de la conscience d’un peuple, une occasion privilégiée de se solidariser avec d’autres et, chemin faisant, de comprendre ce qu’il y a de meilleur dans les aspirations à une vie plus digne de la condition humaine. L’Évangile ne nous présente-t-il pas Jésus lui-même constamment poussé par l’Esprit à marcher avec les femmes et les hommes de son temps ? C’est pendant qu’il faisait route ensemble que les disciples d’Emmaüs ont pu acquérir une plus grande intelligence des événements qui les concernaient.

La marche des femmes contre la pauvreté a une profonde portée symbolique. Nous y voyons un écho de cette humanité en marche depuis les temps les plus reculés : à Jérusalem au temps de Jésus ; aux États-Unis au siècle dernier avec les ouvrières des usines; à Tianamen avec la jeunesse étudiante et ouvrière. Plus près de nous, à l’Assemblée nationale (autrefois l’Assemblée législative), les femmes du Québec se sont rendues 14 fois pour obtenir le droit de vote : à chacune de ces marches, la voie de la justice s’est manifestée, elle a rendu possible un moment de vérité, et la conscience sociale de l’humanité a grandi. »

Moïse et Miryam sont morts avant d’atteindre la terre promise ; Moïse l’avait cependant aperçue de loin. Quant à nous, femmes de l’an 2000, nous voyons la terre promise qui se profile à l’avant, grâce aux luttes de plusieurs des nôtres qui nous ont déjà quittées en nous laissant un précieux héritage que nous devons protéger de façon vigilante. Les filles d’aujourd’hui et les petites filles de demain auront d’autres marches à poursuivre. Peut-être verront-elles une certaine accélération dans l’évolution de l’humanité qui est en train de s’accomplir. Après tout, la marche n’est-elle pas un état d’esprit qui traduit une volonté courageuse.

MONIQUE DUMAIS,

HOULDA, GROUPE DE RlMOUSKI