Marie Gratton : la femme, la collègue, la sœur, l’amie
Louise Melançon, Sherbrooke
Mon premier souvenir de Marie, c’est à l’automne 1977, lors de mon séjour à l’hôpital Saint-Vincent : quand je me suis éveillée à la suite d’une intervention chirurgicale majeure, j’ai senti qu’on me mouillait les lèvres, j’ouvris les yeux et aperçus Marie. Pour la première fois, je faisais l’expérience de la bonté de Marie, de son souci de venir en aide aux autres, de sa grande sensibilité.
Par la suite, j’ai eu connaissance de cette attitude qu’elle avait dans tant de circonstances, pour tant de gens, étudiants et étudiantes, amis et amies, et dans tant de ses engagements, pour une famille d’immigrants vietnamiens, pour une famille défavorisée… et dans son engagement à la Maison de soins palliatifs Aube-Lumière, pendant 20 ans. En apprenant à la connaître, avec les années, j’ai pu déceler à la base de cet aspect de sa personnalité, l’expérience de la souffrance qu’elle avait connue dans son milieu familial, auprès de sa mère qu’elle perdit jeune. Ses propres blessures intérieures lui rendaient familières celles des autres qui l’approchaient ou qu’elle-même approchait.
J’ai aussi fréquenté pendant 40 ans une femme pionnière dans la conscience et dans l’engagement féministe. Avant même son arrivée à L’autre Parole, elle s’était engagée au Conseil du statut de la femme, et avait commencé à donner des conférences. Même si nous n’avions pas eu le même cheminement pour venir en théologie, nous partagions le même projet de penser la foi comme femmes. Dans un article que nous rédigions en collaboration sur cette question, en 1996, nous terminions en faisant une référence à un écrivain québécois, Jean Le Moyne, qui l’avait inspirée dans son choix des études théologiques par l’idée qu’il avançait, au début des années 1960 : « La foi sera à moitié pensée aussi longtemps qu’elle ne sera pas pensée par les femmes »[1].
Par la suite, à L’autre Parole, nous nous sommes côtoyées aux diverses étapes du groupe de Sherbrooke, nommé Myriam, formé d’étudiantes ou de femmes venues de l’extérieur, même de Montréal, à un certain moment. J’ai retenu un souvenir particulier de la période où des femmes venaient avec leur enfant, certaines monoparentales, ce qui donnait un climat plutôt spécial à nos réunions. Et je me rappelle que je comptais beaucoup sur Marie pour l’animation et pour le partage des expériences de ces jeunes mères, car nos réflexions féministes se devaient d’être bien ancrées dans la réalité de ces femmes. Et tout au long de la vie de notre groupe, quand il s’agissait de préparer le colloque de L’autre Parole, nous avions la chance de pouvoir compter sur les grands talents de Marie, ses dons pour l’écriture, son dévouement pour organiser nos participations et sa joyeuse énergie pour nous stimuler.
Avec les années, nous avons eu des amitiés communes en dehors de la Faculté ou de L’autre Parole, qui enrichissaient le lien entre nous, de manières diverses. C’est ainsi que nous avons grandi dans la connaissance réciproque et l’approfondissement de notre amitié. Marie nous a quittées un mois après avoir appris qu’elle était gravement atteinte. Une seule visite où je n’ai pu vraiment lui faire mes adieux m’a confirmé la force et la grandeur d’âme de cette femme. Et je garde dans mon esprit et mon cœur ce moment où, à peine quinze jours avant le diagnostic fatal, je l’avais accompagnée pour sa chirurgie des yeux. Elle me disait être très fatiguée, et en partant de l’hôpital, je la pris par le bras, et la sentis s’appuyer sur moi. Et en silence, nous nous sommes rendues à ma voiture.
Je garde précieusement la mémoire de ce moment d’émotion profonde
[1]Louise MELANÇON et Marie GRATTON. « De l’entêtement ou de l’espérance ? » dans Michel DION et Louise MELANÇON (dir.), Un théologien dans la cité: hommage à Lucien Vachon, Saint-Laurent (Qc), Bellarmin, 1996, p. 288.