Monique Dumais. Un féminisme créatif, une persévérance de l’engagement et une théologie du corps interpellante

Monique Dumais Un féminisme créatif, une persévérance de l’engagement et une théologie du corps interpellante

Denise Couture

Je désire rendre hommage à Monique Dumais comme amie et complice à L’autre Parole et comme collègue théologienne à l’université. Sa mort laisse un vide immense. Je la vis comme un choc, je n’y étais pas préparée intérieurement.

Pionnière de la théologie féministe au Québec, Monique lui a donné une direction claire à travers la collective L’autre Parole et à travers ses propres publications. Elle a donné à sa théologie une couleur écoféministe, enracinée dans la terre qu’elle habitait, le Bas-du-Fleuve, d’où venait des images pour évoquer les mouvements de la vie, la mer, les marées, les vents, l’île, la flore, les saisons…

Je soulignerai trois qualités de Monique qui me touchent et qui me restent, son féminisme créatif, sa persévérance dans l’engagement et la force d’interpellation de sa théologie du corps.

Un féminisme créatif

J’ai rencontré Monique pour la première à L’autre Parole et ce qui m’a tout de suite impressionnée, c’était sa manière d’être féministe, ses manières créatives et artistiques d’exprimer sa posture. Dans le cadre d’activités de L’autre Parole, pour transmettre des idées au-delà de la rationalité patriarcale enfermante, elle arrivait souvent déguisée, avec ses compagnes du groupe Houlda, pour performer une saynète ou lire une poésie, avec humour, le tout afin de rendre possible l’expression de quelque chose d’essentiel, d’indiscernable, à propos des vies des femmes.

Monique a exprimé son féminisme entre autres par l’écriture de textes de chanson, par la danse, par le théâtre, par les arts. C’était voulu, délibéré. Ces modes d’expressions nous font sortir du cadre, ils nous font sortir de la boite patriarcale et de la raison technicienne, dualiste, objectivante, hiérarchisante. Je m’emporte ! Mais, justement, emportons-nous ! Déguisons-nous ! Dansons ! Récitons ! Inventons ! Faisons intervenir tout le corps ! Merci, Monique, de ton audace et de l’avoir si bien fait.

Ce féminisme créatif, de type artistique, détruit les dualismes. Il ouvre des espaces de non-jugement. Il s’inscrit dans l’ouverture et dans l’accueil de la singularité de chaque femme. Monique se situait dans cette lignée. Elle était profondément accueillante de chaque personne, pour le développement de l’autre à partir de ses propres forces. J’ai vécu ma relation avec Monique ainsi. Je lui dois énormément.

Une persévérance dans l’engagement

Je désire souligner sa persévérance dans l’engagement, sa ténacité. On nous dit que Monique a participé à tous les colloques de L’autre Parole depuis la fondation de la collective il y a 40 ans. On comprend la douleur qu’elle a ressentie lorsqu’elle a dû reconnaitre son incapacité physique de participer au colloque d’août 2017 à cause de son état de santé. L’engagement de Monique dans divers groupes et lieux se caractérise par sa continuité, par sa fidélité, par une forme d’indéfectibilité.

Sur le plan professionnel et universitaire, Monique a également participé de manière assidue aux congrès de la Société canadienne de théologie où elle a agi comme membre du conseil de 1999 à 2005. Ces dernières années, la Société lui a décerné le titre honorifique de membre honoraire. J’ai répertorié douze articles publiés par elle dans les ouvrages collectifs de la société, entre 1986 et 2016. Sur le plan quantitatif, c’est considérable. Je puis témoigner que peu d’autres membres ont produit autant de textes.

La société canadienne de théologie a toujours été très masculine sur le plan de ses effectifs et du contenu théologique. Monique a été une intervenante majeure pour y maintenir une présence féminine et féministe. À titre informatif, les ouvrages collectifs de la société regroupent entre 15 et 20 auteurs. Dans une vingtaine de ces volumes que j’ai consultés, on trouve en moyenne 1,5 auteure femme. C’est dire dans quel monde masculin Monique a œuvré. Deux collectifs font exception pour la parité entre femmes et hommes, et les deux ont été codirigés par Monique. Il est à souligner que tous les articles qu’elle a signés dans la collection de la société développent une théologie féministe.

La force d’interpellation de sa théologie du corps

La troisième qualité de Monique que je désire souligner est la force d’interpellation de sa théologie du corps. Pour préparer ce mot, je suis restée dans les limites des textes publiés dans la collection de la Société canadienne de théologie. Au début de mes lectures, je pensais que je parlerais de sa théologie de la liberté. Ce serait juste aussi. Mais, à la fin, je suis revenue au thème central de sa recherche, une théologie du corps. Elle utilise l’image des femmes qui se trouvent — je la cite, « à corps perdu dans le monde patriarcal » (2009, p. 155).

En exergue du même texte (p. 149), elle écrit :

« Corps effacé
oublié
exalté
offert
porté
donné
perdu
aimé »

Elle souligne que « c’est dans leur corps réel que les femmes sont dénigrées et contrôlées » (1988, p. 150).

Monique nomme les deux moments de la théologie féministe : la dénonciation « des ornières patriarcales » et la création de « nouvelles avenues » à partir d’un retour à soi et à son propre souffle (2007, p. 295, voir 2002). Elle décrit ce mouvement — je la cite — comme une « sortie d’un corps clos à la façon patriarcale et [une] entrée dans un corps habité par des émotions et libre de donner » (2009, p. 157).

Elle affirme adopter une perspective écoféministe (1994). Elle dit que le péché des femmes est un « manque d’affirmation d’elle [s]- même [s] » (1986). Monique accorde une importance cruciale à la ruah, au Souffle de l’Esprit, qui inspire les femmes. Pour elle, « les bases théologiques de L’autre Parole » sont la ruah et l’incarnation de la Parole de Dieu dans les corps des femmes (2016, p. 199).

« […] Pentecôte, écrit-elle,
où l’Esprit qui souffle
nous pousse dans un courant de transformation.
Le mouvement des femmes bien vivant se déploie avec éclat et démesure » (1997, p. 204).

Merci, Monique, pour cette théologie du corps des femmes.

Hommage à ta vie, hommage à ta vitalité, hommage à ton engagement féministe pour la justice, qui nous a marquées. Merci.

Denise Couture, membre de L’autre Parole et présidente de la Société canadienne de théologie

Références

DUMAIS, Monique. « Témoignage. Des lieux de sollicitation », dans Étienne Pouliot, Anne Fortin et Élaine Champagne (dir.), Pratiques émergentes en théologie. Des ‘printemps théologiques’ ?, Leuven, Peeters, (Terra Nova 2), 2016, p. 197-203.

DUMAIS, Monique. « À corps perdu dans la vie des femmes religieuses », dans Maxime Allard, Denise Couture et Jean-Guy Nadeau (dir.), Pratiques et constructions du corps en christianisme, Montréal, Fides, (Héritage et Projet 75), 2009, p. 149-157.

DUMAIS, Monique. « Pour une éthique du souffle et du nomadisme », dans Monique Dumais (dir.), Franchir le miroir patriarcal. Pour une théologie des genres, Montréal, Fides, (Héritage et Projet 72), 2007, p. 291-298.

DUMAIS, Monique. « Un processus nomadique », dans Michel Beaudin, Anne Fortin et Ramón Martinez de Pisón (dir.), Des théologies en mutation. Parcours et trajectoires, Montréal, Fides, (Héritage et Projet 65), 2002, p. 261-272.

DUMAIS, Monique. « La Pentecôte des femmes », dans Camil Ménard et Florent Villeneuve (dir.), Projet de société et lectures chrétiennes, Montréal, Fides, (Héritage et Projet 57), 1997, p. 203-218.

DUMAIS, Monique. « Dieu selon des perspectives écoféministes », dans Camil Ménard et Florent Villeneuve (dir.), Dire Dieu aujourd’hui, Montréal, Fides, (Héritage et Projet 54), 1994, p. 49-61.

DUMAIS, Monique. « Femme et Église catholique : un corps à corps », dans Jean-Claude Petit et Jean-Claude Breton (dir.), Le christianisme d’ici a-t-il un avenir ? Montréal, Fides, (Héritage et Projet 40), 1988, p. 141-150.

DUMAIS, Monique. « Le péché chez les théologies féministes », dans Arthur Mettayer et Jacques Doyon (dir.), Culpabilité et péché. Études anthropologiques, théologiques et pastorales, Montréal, Fides, (Héritage et Projet 33), 1986, p. 139-152.